Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Couillard et la colère du 9%

J’ai toujours trouvé que le slogan de Occupy Wall Street du 99% contre le 1% était brillant mais probablement exagéré. Au Québec, semble-t-il, il faut gagner plus de 170 000$ par année pour se qualifier comme membre du 1%. Croyons-nous vraiment que les personnes qui ont un revenu dans les six chiffres peuvent faire partie du même camp populaire que celles qui bossent au salaire minimum, vivent dans la précarité ou doivent se contenter d’un revenu qui stagne comme les centaines de milliers de travailleuses et travailleurs du secteur public ? Mon estimation était plutôt que la barre devrait être placée à un seuil de 90% contre un 10% de personnes très confortables avec le statu quo.

C’est le gouvernement Couillard qui est en train de rendre possible la grande convergence des 99% en adoptant une série de mesures qui mécontentent grandement ceux et celles qui font partie de sa base naturelle, ces 9% qui nous manquaient peut-être encore il n’y a pas si longtemps. Qui sont ces personnes ?

Selon un rapport d’économistes produit pour la CSQ, il fallait gagner, en 2010, plus de 70 800$ par année pour faire partie de ce groupe. On y trouve donc les personnes responsables de l’administration de bien des services publics, comme les écoles, les CLSC, la plupart des hôpitaux, les cégeps, les municipalités, etc. Bref, toutes ces personnes qui doivent maintenant assumer l’odieux de « faire plus avec moins » au nom de la nième vague de compressions budgétaires, et ce, avec une marge de manœuvre de plus en plus restreinte en raison de la centralisation du pouvoir dans des mégastructures sensées réduire la bureaucratie.

Les signes du mécontentement de cette couche sociale se sont multipliés au cours des derniers mois. Il y a les commissions scolaires qui refusent d’équilibrer leur budget ou qui le font en coupant dans des services aux élèves qui, en principe, devaient être épargnés. Il y a les maires et mairesses des villes petites et grandes qui sont en colère contre les menaces d’ingérence et l’arrogance du Ministre Moreau. Il y a les médecins omnipraticiens à qui on va demander de soigner plus de monde, sans égard pour la qualité des soins ou leur qualité de vie. Il y a les scientifiques qui en ont assez de voir leurs budgets de recherche toujours passer en dernier parce que c’est trop facile de les négliger. Même le milieu des affaires, celui des petites et moyennes affaires en particulier, a des raisons de s’inquiéter de la restructuration unilatérale des outils de développement économique.

Mais, pour les 9%, ces nouvelles politiques sont bien plus qu’une question de sous. Après tout, ils et elles vivent dans un confort appréciable, malgré les compressions. C’est leur dignité et leur statut social qui sont attaqués. Le gouvernement Couillard les traite de mauvais gestionnaires, d’irresponsables, de gaspilleurs de fonds publics. Il cherche à les encadrer de près, sans respect aucun pour leur professionnalisme et leurs compétences. Comme les gouvernements précédents (péquistes ou libéraux) l’ont fait tout récemment pour d’autres groupes comme le personnel enseignant.

Afin de ratisser aussi largement que possible et de rassembler les 99% (ou à tout le moins puiser dans cette majorité théorique pour former une majorité effective), la gauche politique et sociale doit tenir compte de cette nouvelle donne. Elle devrait mettre l’accent sur ses propositions qui visent les privilèges des grandes entreprises et des plus riches, tout en répondant aux préoccupations des 9%. Par exemple, on aurait intérêt à développer une vision du développement économique régional qui fasse une place importante aux PME. La décentralisation du pouvoir vers des structures démocratiques locales et régionales constitue aussi un projet qui pourrait rallier cette partie du 9% qui œuvre dans le secteur public. Les mesures fiscales comme le rétablissement de l’impôt sur le capital financier devraient rallier les 99%, contre les privilèges éhontés des banques et des compagnies d’assurance.

Est-ce qu’on peut imaginer la mairesse d’une ville importante, un homme d’affaire socialement responsable ou un gestionnaire du secteur de l’éducation faire le saut et porter les couleurs de Québec solidaire en 2018 ? D’ici là, on peut à tout le moins espérer retrouver une partie de ces gens à l’aise mais mécontents parmi les manifestantes et manifestants du printemps 2015.

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