Édition du 23 avril 2024

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Europe

Victoire/défaite grecque : le 25 janvier et ses échos

La victoire électorale de Syriza le 25 janvier 2015 en Grèce avait soulevé de grands espoirs en Europe. Le long hiver de l’austérité au profit du capitalisme financier, imposé par le chantage et le dévoiement des institutions parlementaires, cet hiver qui dure encore et qui condamne des millions d’hommes à la survie et au chômage, semblait être battu en brèche par un peuple debout ayant rejeté la dictature de la finance.

Dimitris Fasfalis – www.surleseuildutemps.wordpress.com

A la tribune du Parlement grec, Alexis Tsipras dévoile alors les axes de la politique de son "gouvernement de salut social" :

« Rétablir notre souveraineté populaires, restaurer l’égalité de notre pays avec les autres au sein de la communauté européenne, affronter la crise humanitaire, redonner la dignité à notre peuple, instaurer la justice sociale et permettre la reconnaissance culturelle de notre pays sont les objectifs fondamentaux de notre gouvernement de "salut social" formé après le choix souverain de notre peuple le 25 janvier. »

Cette victoire à la fois sociale et démocratique venait de loin : depuis les mobilisations syndicales du printemps 2010, en passant par le mouvement des places, dont celle de Syntagma l’été 2011. Cinq années de luttes et de crise avaient mis un terme à la domination sans partage de la bourgeoisie sur les esprits.

C’est donc à ce moment, en janvier 2015, alors que le gouvernement de droite (Nouvelle démocratie) n’avait plus de soutien au Parlement grec, que s’est écrit un épisode nouveau, mineur sans doute, dans la longue histoire de la lutte pour l’émancipation et la justice sociale.
Comment commémorer aujourd’hui ce moment précieux, alors que le gouvernement Tsipras a été mis au pas par les dirigeants européens et les créanciers ?

Peut-être en rappelant, à la suite de Walter Benjamin, que malgré l’impression de défaite, la partie n’est jamais tout à fait terminée. A l’image donc des luttes du mouvement populaire, de celles du mouvement ouvrier et démocratique, toujours cruciales mais la plupart du temps vaincues.

On s’en rend compte à lire certaines archives du rêve d’émancipation des classes subalternes.

Voici, parmi tant d’autres, une pétition des femmes lyonnaises, datant de septembre 1792, contre les taxes et la vie chère, illustration forte de ce que Jaurès désignait comme le "socialisme" de la Révolution française :

« Le peuple souverain de la ville de Lyon, lassé depuis longtemps sous le joug de la tyrannie des aristocrates monopoleurs, fatigué depuis quatre ans des pertes qu’éprouve surtout le papier-monnaie qu’il reçoit pour prix de son travail ; étant obligé de payer ce qu’il achète, presqu’une fois plus cher qu’auparavant, a arrêté qu’il ne payerait les marchandises servant à ses besoins journaliers qu’au prix fondé sur les bases de la Justice, de l’Équité et de l’Égalité. Pour pouvoir en un mot se procurer sa subsistance sans être dans le cas d’employer de ces moyens violents que nécessitent les calamités publiques. (...) [Suit une liste de denrées avec leur "juste prix"]. » Document cité dans Sophie Wahnich, éd., L’intelligence politique de la Révolution française, Paris, Textuel, 2012, p. 139.

Le mouvement populaire à Lyon n’avait cessé d’espérer que la Révolution annule les dettes importantes de la ville contractées avant 1789 par des consuls urbains préoccupés d’embellir leur cité aux dépens de ses travailleurs. L’enjeu était vital pour les boutiquiers, les artisans et les autres groupes populaires de la ville car ces dettes devaient être remboursées par des taxes sur les denrées.

Lorsque les femmes lyonnaises rédigent cette pétition après la chute de la monarchie en septembre 1792, l’ordre social et politique en France est en train de voler en éclats. L’intervention du peuple sur la scène politique locale et nationale constitue à Paris et en province le moteur qui propulse la dynamique d’approfondissement de la révolution sociale en cours.

D’où ces lignes, si actuelles en 2016, à propos de "prix justes" fondés sur "la Justice, l’Équité et l’Égalité". Une raison des subalternes qui apparaît seulement comme une déraison pour les groupes dominants de l’époque (noblesse, bourgeoisie), de même que l’annulation des dettes illégitimes relève de la folie pour les « décideurs » responsables de nos jours. Grèce 2015/France 1792 : les parallèles soulignent non seulement l’actualité de ce passé, mais aussi les possibles encore ouverts dans les luttes en cours en Grèce, pour les droits sociaux, contre l’austérité, pour la dignité et la justice, car si la pétition ci-dessous n’a pas « réussi » à régler la question sociale, il n’en demeure pas moins que ces femmes ont réussi à transformer, pour le meilleur, le monde de leur époque dans le sens du progrès.


Légende de l’illustration : estampe intitulée « A Versailles, à Versailles 5 octobre 1789 » montrant les femmes parisiennes parties à Versailles pour ramener le roi à Paris, réclamer du pain et faire reconnaître la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par Louis XVI. Source : www.gallica.fr

Mots-clés : Europe Grèce

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