Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Contre-critique du rapprochement souverainiste

La motion qui fut votée au dernier Conseil national de Québec solidaire sur un possible rapprochement avec Option nationale a entrainé un certain nombre de commentaires réfractaires qu’il me semble bon de considérer avant qu’ils ne s’implantent trop profondément. C’est commentaires s’articulaient autour de quatre conceptions que je juge trompeuses lorsqu’elles sont considérées comme un obstacle au rapprochement des deux partis concernés : (1) Québec solidaire n’est pas un parti souverainiste ; (2) Québec solidaire ne veut que la souveraineté « à gauche » ; (3) le projet de Québec solidaire pourrait mener à une simple réforme du fédéralisme ; et (4) la technique d’accession à la souveraineté d’Option nationale n’est pas démocratique. Tentons d’y voir plus clair.

Québec solidaire n’est pas un parti souverainiste ?

C’est un truisme de dire d’Option nationale que c’est un parti souverainiste. Mais qu’en est-il de Québec solidaire ? Dans son programme officiel, Québec solidaire déclare « nous considérons comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays » et « le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. » Cette information est contenue dans le document Un pays démocratique et pluriel, adopté par le 5ème congrès de Québec solidaire, en 2009. La souveraineté fut d’ailleurs l’une des quatre priorités de Québec solidaire lors de la campagne électorale de ce printemps, si je me souviens bien. Les commentateurs de bonne foi doivent donc admettre que Québec solidaire, comme Option nationale, est un parti souverainiste.
Cependant, que les deux partis « soient souverainistes » n’est pas suffisant. Il faut encore considérer la technique qu’ils veulent employer afin d’atteindre la souveraineté et la force avec laquelle ils font la promotion de ce projet. 

Québec solidaire accepterait uniquement une souveraineté « à gauche » ?

Ici, je pense principalement à la déclaration de Jean-Martin Aussant, qui dit que « leur priorité [Québec solidare], c’est la gauche. Ils veulent que la souveraineté se fasse à gauche, c’est une condition. » En tout respect pour M. Aussant, cette affirmation n’a pas de résonnance pratique. Québec solidaire cherche à réaliser la souveraineté en mettant sur pied une Assemblée constituante qui aura pour but de rédiger une constitution québécoise. Son programme déclare explicitement que l’Assemblée nationale devra s’abstenir de toute ingérence dans les travaux de l’Assemblée constituante, ce qui laissera toute la latitude nécessaire au peuple pour déterminer librement les orientations politiques d’un Québec souverain. À nul moment il n’est question de fixer des bases « de gauche » pour les travaux constitutionnels prévus. Au niveau programmatique, il est donc faux d’affirmer que Québec solidaire fait la promotion d’une souveraineté politiquement orientée.

Néanmoins, il faut admettre que le programme de Québec solidaire, lui, est résolument à gauche. Le danger est donc qu’un électorat potentiellement favorable au projet souverainiste boude la formation par attachement à la droite économique. Dans ce cas, ne serait-il pas préférable de militer pour l’avènement d’une coalition souverainiste aux opinions politiques variées ? Soit ! Dans une telle coalition, Québec solidaire serait libre de promouvoir d’un coté la souveraineté et de l’autre, la gauche économique, puisque le parti ne les voit pas comme mutuellement inclusifs. Dans l’autre scénario, où les partis souverainistes prennent une orientation claire sur la question économique, l’opposition entre Option nationale et Québec solidaire ne fait toujours aucun sens, puisque la plateforme économique d’Option nationale est, elle aussi, résolument à gauche. Nationalisation du secteur minier, Banque du Québec, économie sociale, gratuité scolaire, Pharma-Québec ; voilà seulement quelques exemples des mesures « de gauche » proposées par Option nationale - et par Québec solidaire.

Le projet de Québec solidaire pourrait mener à une simple réforme du fédéralisme ?

La plateforme électorale de 2012 de Québec solidaire déclare :
« Québec solidaire reconnait au peuple du Québec le droit de choisir ses institutions et son statut politique. A cet effet, il enclenchera des son accession au pouvoir une démarche d’assemblée constituante. Tout au long de cette démarche, Québec solidaire défendra l’objectif de faire du Québec un pays, sans présumer de l’issue des débats. »

L’équation est simple : Québec solidaire défend la souveraineté, mais si, lorsqu’il est consulté, le peuple s’y oppose, Québec solidaire va respecter ce choix. Théories alternatives à part, je crois que la scène politique québécoise est principalement composée de démocrates. Qui, alors, va remettre en question le bon vouloir souverainiste de Québec solidaire sur la base que le parti ne désire pas « imposer » la souveraineté ? Il est effectivement possible que le projet de Québec solidaire mène à une réforme du fédéralisme. Mais ce ne sera le cas que si c’est le désir des Québécois, et ce désir, Québec solidaire s’est engagé à tenter de l’orienter vers la souveraineté. Dans une certaine mesure, Option nationale propose le même schéma de pensée, sauf qu’au lieu de se fier à une Assemblé constituante pour exprimer le désir des Québécois de devenir souverains, le parti se fie aux urnes électorales.

La technique d’accession à la souveraineté d’Option nationale n’est pas démocratique ?

Dans la plateforme d’Option nationale, il est dit qu’Option nationale « fera en sorte » que le Québec puisse passer ses lois, collecter ses impôts et conclure ses traités. C’est le concept de « faire son L.I.T. ». Ces décisions seront par la suite officialisées par l’écriture d’une constitution qui sera votée au référendum. Je n’entrerai pas dans le débat à savoir si cette proposition est assez démocratique ou inclusive ; c’est largement une question de valeurs et de calculs électoraux. Ce que je vais faire, par contre, c’est proposer que, peu importe le mode d’accession à la souveraineté, les deux partis ont à gagner de la coopération.

C’est un principe simple que les économistes connaissent comme la « théorie des jeux ». Lorsqu’on coopère, on gagne inévitablement plus que si on s’affronte et ce, même si les intérêts finaux sont divergents. Si Québec solidaire et Option nationale choisissent l’intransigeance et continuent à s’affronter lors des élections, le nombre commun de candidats qu’ils feront élire sera minime ; notre système électoral défaillant le garantit. Par contre, s’ils coopèrent, ils feront élire un total net de candidats bien supérieur. Cette situation présente trois avantages principaux pour les partis : (1) avoir plus de députés à l’Assemblé nationale défendant la souveraineté ; (2) avoir plus de députés à l’Assemblée nationale défendant sa technique d’accession à la souveraineté ; et (3) avoir plus de députés à l’Assemblée nationale défendant le système électoral proportionnel mixte (les deux partis proposent de mettre ce genre de système en place).

Voilà mon analyse de la situation. Je n’y discute pas du Parti québécois parce que le sujet est moins pressant tant au niveau de la ressemblance des idées qu’au niveau du temps. J’appelle également les commentateurs futurs à être moins sévères envers le courant naissant de coopération politique ; je considère personnellement que c’est sur l’opposition et l’affrontement que pèse le fardeau de la justification politique, non sur la coopération.

Sur le même thème : Québec solidaire

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...