Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Dans quelle société vit François Legault ?

Pour la deuxième fois, la population de Québec vient de commémorer l’attentat du 29 janvier 2017, perpétré contre la Grande mosquée de Québec, qui a enlevé la vie à six Québécois musulmans. Une grande solidarité envers les rescapés et les familles endeuillées s’y est exprimée. La volonté de se rassembler et de construire ensemble une société dans laquelle nos enfants vivront en paix était présente.

Le premier ministre du Québec lui-même, M. Legault, y a pris la parole pour affirmer : « Nous sommes à vos côtés et on va le rester pour toujours. Jamais la haine de personne ne va arriver à nous séparer ». Or, à peine 48 heures après, il déclare : « Je ne pense pas qu’il y ait de l’islamophobie au Québec. » ! Puis son cabinet se rétracte : « Oui, de l’islamophobie, mais pas de courant islamophobe ». Trop peu, trop tard ; le mal était déjà fait. L’appareil médiatique était lancé et la salve de commentaires et propos islamophobes était déjà bien incontrôlable.

Ne jouons pas sur les mots. Nous maintenons qu’il y a de l’islamophobie au Québec, et ça ne veut pas dire que “les” Québécois-e-s sont islamophobes.

Regardons-la bien en face, cette islamophobie. Regardons la répétition d’actes haineux. Fenêtres brisées à la mosquée de la Capitale en mars 2015, tête de cochon et message haineux à la Grande mosquée de Québec en juin 2016, incendie criminel du véhicule du président du Centre Culturel Islamique de Québec en août 2017. D’autres agressions sont moins connues et moins médiatisées, par exemple les foulards arrachés aux femmes qui les portent, les refus de servir les personnes dans les commerces, les insultes dans les lieux publics. Il n’est plus possible de parler d’actes isolés : il s’agit de manifestations d’une réalité plus large, dont le nom est : islamophobie.

Là où on voit bien comment l’islamophobie est largement répandue, c’est dans les médias. Il n’y a pas besoin de faire un grand travail journalistique. On a seulement à consulter les sections des commentaires sous les articles traitant de la tuerie de la mosquée. Dès le premier jour et encore maintenant, la majorité des commentaires - qui sont d’ailleurs souvent les plus aimés - dénigrent ou attaquent les musulman-ne-s.

Les médias sociaux sont également truffés de propos dénigrants et de fausses nouvelles accusant les personnes musulmanes de tous les maux. Ce n’est pas surprenant lorsqu’on prend le moindrement la peine d’analyser le discours de certains animateurs et chroniqueurs en vogue comme Martineau et Duhaime. À ce sujet, tout le monde peut visiter le site « Sortons les poubelles », qui présente des extraits de propos tenus en ondes auprès de milliers d’auditeurs, incluant même des enfants qui les subissent dans des autobus scolaires (voir bit.ly/2S0tD8f). Un exemple parmi tant d’autres, Jeff Fillion a été condamné en 2017 par le Conseil de presse pour ses propos discriminatoires alors qu’il affirmait en onde que« Leur technique [aux musulmans] est de s’intégrer pis de vivre comme nous pis de se rapprocher de nous, pis à un moment opportun de frapper ». Ces positions nourrissent le climat raciste, comme le dénoncent des gens de tous horizons.

Le racisme et l’islamophobie, c’est aussi qu’encore aujourd’hui, à compétence équivalente, le CV de Mohamed ou Kadiatou a moins de valeur que celui de Pierre ou d’Isabelle, tout comme leur diplôme. C’est le refus de leur louer un logement. C’est la place tout à fait disproportionnée
que prennent dans le débat politique et électoral le foulard porté par des femmes musulmanes, la nourriture halal, le burkini et une série de nouvelles anodines, souvent fausses et surtout sensationnalistes. Le paysage médiatique en a été saturé, des accommodements raisonnables à la charte du PQ. Le tout est camouflé par un vernis de laïcité qui maintient le financement public des écoles religieuses et le crucifix de Duplessis à l’Assemblée nationale… pour le patrimoine. C’est enfin des groupes d’extrême-droite qui défilent dans les rues de Québec aux cris de « l’islam dehors ».

L’islamophobie s’est construite progressivement. Elle a pris de la place dans le discours occidental avec la croissance des conflits pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient, entraînant invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, guerres civiles et terrorisme. Oubliant l’immense majorité des populations musulmanes qui ne désire que la paix, le discours actuel rend responsables « les » musulmans des attentats d’une minorité d’intégristes. Pourtant, après la polytechnique, ce ne sont pas tous les hommes qui ont été accusés de terrorisme, après l’attaque de l’Assemblée nationale par le caporal Lortie ce ne sont pas tous les militaires qui ont été accusés de terrorisme, après le Métropolis, ce ne sont pas tous les fédéralistes qui ont été accusés de terrorisme. Après l’attentat terroriste de la Grande mosquée de Québec, ce sont surtout les appels au rassemblement, à la paix et à l’unité qui ont été lancés par les Québécois-e-s de confession musulmane dont les familles endeuillées et les rescapés.

À Québec, des citoyennes et des citoyens se sont rassemblé-e-s pour ouvrir un espace de solidarité après le 29 janvier 2017. C’est 15 000 personnes qui ont bravé le froid le lendemain, puis des milliers l’année suivante, puis plusieurs centaines encore cette année. Le collectif « 29 janvier, je me souviens », responsable de l’organisation de ces commémorations citoyennes, reçoit comme une insulte la position négationniste face à un phénomène incontournable de notre paysage social et médiatique. M. Legault se doit de représenter tous les Québécoises et les Québécois et de ne pas nier la présence de l’islamophobie, mais plutôt de s’engager à la combattre.

Le collectif citoyen “29 janvier, je me souviens”
#Jemesouviens29j

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