Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

De quoi l'obligation du passeport vaccinal est-elle le symptôme ?

Peut-être faut-il avoir eu l’occasion de séjourner en France récemment et de toucher du doigt le tollé général causé dans de larges secteurs de la population par l’imposition d’un passeport vaccinal, pour s’étonner du peu d’opposition argumentée que ce dernier semble rencontrer au Québec ? Comme si, de ce côté-ci de l’Atlantique, on était en train d’oublier bien des dimensions de la crise sanitaire qui n’en continue pas moins à nous tenir en alerte aujourd’hui, notamment via les prévisions alarmante d’une quatrième vague.

Il est vrai que les médias "mainstream" ont fait grand bruit autour du passeport vaccinal, mais en ne s’arrêtant qu’aux problèmes de confidentialité et de préservation des données personnelles qu’il risquait de poser, et sans jamais oser aller sur le fond et questionner la mesure pour elle-même : en quoi est-elle —dans le contexte actuel, une mesure judicieuse, non seulement en terme sanitaire mais aussi en terme social et politique ?

Le vaccin n’est pas la panacée

En fait, une fois encore, on a cru trouver la panacée miraculeuse, ou plus exactement les groupes dirigeants des sociétés libérales occidentales ont pensé tenir enfin la solution à leurs dilemnes : avec une immunité collective vaccinale d’au moins 75%, acquise grâce aux vaccins (et aux profits !?) des grandes pharmaceutiques occidentales, il devenait possible d’arrêter les effets de la pandémie et par conséquent de revenir enfin "à la normale"... en particulier en termes de relance des flux marchands et de la machine économique néolibérale. Tel est le mantra officiel repris aujourd’hui par bien des gouvernements et dont la le président français Émmanuel Macron a tenté de se faire le porte-parole déterminé, en n’hésitant pas à emprunter le premier une voie autoritaire en la matière.

Il reste que les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît et qu’on est en train de frapper, comme le rappelle Francine Pelletier dans son dernier billet au Devoir, un véritable mur.

Les données scientifiques rigoureuses et vérifiées sur de larges échantillons qui sont actuellement à notre disposition le montrent : face au variant Delta et à bien d’autres variants possibles et plus meurtriers, les vaccins actuels —qui sont encore, faut-il le rappeler en phase d’expérimentation (leur troisième phase n’ayant pas été encore conclue !)— sont loin d’être aussi efficaces qu’on l’imaginait, n’empêchant pas toujours la transmission de la maladie, ni non plus l’apparition de symptômes maladifs, se contentant d’en réduire l’acuité ou la portée, le tout pour une durée de seulement quelques mois.

Et c’est là l’étrange : au moment même où l’on commence à prendre conscience hors de tout doute de leurs douloureuses limitations, voilà qu’on veut en faire une obligation impérative, et qu’on est prêts à en passer par des mesures autoritaires croyant ainsi conjurer —amendes et renvois à l’appui— les effets ravageurs d’un virus dont on ne cesse de se désoler.

Il manque une stratégie socio-sanitaire large et diversifiée

Or c’est bien tout autre chose qu’il faudrait faire : bien sûr continuer à promouvoir le vaccin (il reste dans le contexte actuel une parade nécessaire), mais sans distiller de faux espoirs à son sujet ni l’imposer autoritairement, et en l’accompagnant non seulement du maintien des gestes barrières et de mesures de distanciation sociale (masques, désinfectants, tests gratuits, etc.), mais aussi d’une stratégie socio-sanitaire large et diversifiée qui fait actuellement cruellement défaut.

Cette dernière devrait ainsi comprendre le soutien déterminé à la recherche de nouveaux médicaments efficaces (c’est là aussi une voie prometteuse et peu explorée du fait semble-t-il des lobbyes pharmaceutiques)) ainsi que l’appui décidé aux pays du sud pour qu’ils puissent tout comme nous disposer de vaccins accessibles. Elle devrait aussi comprendre le renforcement généralisé de nos systèmes de santé (et la revalorisation, notamment financière, des personnes qui y travaillent), et plus généralement favoriser le déploiement d’une médecine communautaire et préventive (voir les clsc d’antan !), faisant du patient l’agent principal de sa santé et ne craignant pas de mener des recherches approfondies tant sur les effets secondaires des vaccins eux-mêmes que sur les conséquences à long terme des maux liés à la covid. C’est là, la seule garantie pour que le pouvoir biomédical hégémonique actuel n’impose pas —à l’occasion de la pandémie et des peurs qu’elle soulève— une vision autoritaire, étroitement technicienne, utilitaire et réductrice de la santé humaine.

À ne pas oser aller sur ce terrain, en craignant de confronter le gouvernement à propos d’orientations sanitaires des plus discutables, la gauche perd ainsi une belle occasion de faire entendre, et surtout de se confronter au monde des complotistes, dont le désarroi et la colère ne se comprennent que trop, mais qui se trompent de cible lorsqu’ils dénoncent grossièrement les vaccins et ne voient pas que la source de leur désarroi git dans les profonds disfonctionnements de nos sociétés contemporaines.

Pas de doute : l’obligation du passeport vaccinal est le symptôme d’une vision étroite et autoritaire de la santé... et qui plus est socialement et politiquement totalement contreproductive...

Il serait temps que la gauche le dise haut et fort !

Pierre Mouterde
Sociologue et esayiste

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

Messages

  • On a trop longtemps ignorer ou voulu ignorer que les maladies infectieuses proviennent de la déstructuration de notre environnement (expl. Déforestation).
    Si l’on ne met pas de l’énergie à soigner la nature détruite nous n’en aurons pas fini avec les pandémies.

  • Bonjour Pierre,

    Vous avez tout à fait raison de vouloir élargir le débat et un aspect très important est le confinement démocratique que l’on nous impose depuis un an et demi. Les conseils municipal et d’arrondissement continueront de se faire sans la présence physique des citoyens,nes alors que plusieurs enjeux nous interpellent notamment à l’occasion de la campagne électorale municipale en cours. Même chose pour à l’échelle fédérale alors qu’un débat aura lieu dans ma circonscription dans les prochains jours encore une fois sur le mode virtuel. Et encore plus désolant la grande majorité des 125 députés,es du Québec ne siègent plus depuis un an et demi et Québec Solidaire accepte ce confinement démocratique, alors que là aussi des enjeux collectifs sont à discuter à environ un an des prochaines élections québécoises. On se demande ensuite pourquoi les citoyens,nes se désintéressent de la chose politique et perdent confiance en leurs institutions, et n’accordent plus de crédibilité aux élus,es, mettant en danger notre ’’ démocratie ’’ avec les conséquences que l’on peut voir notamment aux Etats-Unis.

    Au plaisir

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