Édition du 23 avril 2024

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Déstabiliser la parole patronale en dénudant les fils et en avançant des exigences qui visent à unifier plutôt que cliver

« Que s’est-il passé ?
A quelles limites s’est-on heurté ?
Quelles erreurs ont été commises ?
Sur toutes ces questions le débat est vif. Il est indispensable
Mais il peut être ravageur. Il convient de le mener avec beaucoup de liberté et de sérieux.

Publié le 19 novembre 2015 | Entre les lignes entre les mots.

Le présent dossier de la revue ContreTemps no 27 vise, avec cet état d’esprit, à y aider. Il propose plusieurs contributions porteuses d’approche différentes, voire opposées »

Quelques éléments de ce dossier Grèce, sans chercher à exposer l’ensemble des positions.

Certains points sont abordés dans plusieurs textes : la défaite en Grèce, le caractère insoutenable de la dette, la couverture des risques des banques privées, la question du « plan B », l’irruption démocratique, les questions de souveraineté…

Sur l’Europe, je me retrouve plutôt sur les positions développées dans le livre Attac, Fondation Copernic : Que faire de l’Europe ?. Désobéir pour reconstruire : strategie-de-desobeissance-et-dextension-europeenne/), positions reprises ou contestées par certains ici. Je n’aborderais donc pas ici les questions de l’euro.

Pierre Salama aborde plus particulièrement les problèmes de construction européenne, l’absence de mécanismes de solidarité, les problèmes de légitimité, le fonctionnement « comme un Etat » de ce qui ne l’est pas… Il propose de sortir d’une « vision économico-technocratique forcément réductrice », rappelle que les nations modernes sont de création récente. J’ai particulièrement été intéressé par les paragraphes sur les relations entre violence, pouvoir et légitimité, les régimes politiques comme formes d’existence de l’Etat, la recherche de légitimation, ou sur le fédéralisme et les assemblées démocratiquement élues… « Ne pas penser la solidarité et ce qui peut conduire à l’institutionnaliser, c’est laisser libre cours à la domination de certains pays sur d’autres ».

Stathis Kouvelakis aborde plus particulièrement l’autonomisation des membres du gouvernement du parti Syriza, le sectarisme et l’incapacité de certains groupes politiques. Il parle de potentiel anti-systémique, d’ouverture de brèche. Il reprend une phrase de Marx et Engels « Comme le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie ». Assez curieusement ce texte de 1848 n’est ni historicisé ni contextualisé. Quel(s) sens pouvai(en)t avoir le mot « nation » ? Quels sont les rapports/recouvrements entre « nation » et futur « Etat nation » ? Quels rapports aujourd’hui entre « nation », « Etat », « État-nation » et « mondialisation capitaliste » ? A ne pas poser ces questions, l’auteur semble considérer que la « nation » est trans-historique et me semble sous-estimer les tensions/contradictions actuelles entre entre « nation » et « Etat-nation », ce qui est évidement plus que problématique…

Antoine Artous souligne, entre autres, l’absence de courant radical au plan européen. Il parle de rapport socio-politique « historiquement l’internationalisation du capital a toujours cristallisé comme rapport socio-politique davantage que sa simple domination directe », de souveraineté populaire basée sur « la citoyenneté égalitaire sur un territoire donné », du risque de « survalorisation de la nation comme cadre d’exercice de la démocratie », de phase historique de dynamique d’expansion de l’Etat-nation appartenant au passé, de « période transnationale de construction de la souveraineté populaire »,

Francis Sitel insiste, entre autres, sur les dégâts européens de la défaite en Grèce. Il rappelle que « Aucun gouvernement ni aucune fore politique endogène au système européen » n’a « fait entendre une voix discordante », que cette défaite est aussi celle la défaite des gauches radicales européennes. Le problème posé était et reste celui des moyens pour parvenir à des ruptures d’avec les situations actuelles…

Je voudrais souligner quelques points développés dans l’article de Claude Gabriel : « Evolution de la société, des entreprises et segmentation du salariat », publié avec l’aimable autorisation de la revue : evolution-et-segmentation-du-salariat-evolution-des-entreprises-et-de-la-societe/

L’auteur parle, entre autres, de « réorganisation planétaire de la chaîne productive », de formes inédites d’organisation productive, de concentration financière et de décentralisation productive, d’isolement et de fractionnement des salarié-e-s… Il critique les courants ouvriéristes, l’idée d’une « petite bourgeoisie latente » et souligne « La multitude des situations, des formes de travail et des expériences n’est pas antinomique avec le dénominateur commun de l’exploitation ». L’auteur parle des emplois précaires, des qualifications, de la forte montée de l’emploi féminin, de dispersion des formes d’emploi, de la stabilité de l’emploi permanent, du temps partiel, d’individualisation et de diversification du temps de travail, de travail nomade, de dispersion du type de contrat de travail, de la massification des cadres et de leur rôle croissant dans la production de valeur (« la prolétarisation des couches supérieures du salariat »), du patrimoine (et non seulement des salaires) comme facteur du clivage au sein des salarié-e-s (« plus de 50% des ouvriers et employés entre 35 et 44 ans sont propriétaires »)…

J’ai notamment été intéressé par le chapitre « Segmentation productive et fractionnement du salariat », et ceux sur les impacts de la féminisation des emplois, le poids du « hors travail » sur le travail, le droit social diviseur, la division syndicale… Claude Gabriel insiste sur la place décisive de l’intervention politique, au sein du salariat, sur la combinaison entre « entreprises et « places » dans les mobilisations, de « complémentarité entre le dedans et le dehors », entre la/le salarié-e-s et la/le citoyen-ne, « entre l’entreprise et la cité », de la possibilité de « soulever d’autres préoccupations, « intermédiaires » mais néanmoins capitales, pour dessiner une société alternative ».

Nous sommes ici loin des simplifications sociologiques ou des réductions économistes ou ouvriéristes. Le salariat est abordé comme rapport socio-politique, traversé de contradictions, les salarié-e-s aussi comme citoyen-ne-s…

Le titre de cette note est extraite de ce texte.

Didier Epsztajn

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