Édition du 23 avril 2024

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Pourquoi la bifurcation écologique est incontournable

L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan ont joint leurs réflexions pour imaginer les voies possibles vers une planification écologique afin d’arrêter la destruction des écosystèmes. 

13 mars 2024 | tiré de politis.fr | Illustration : Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique, Cédric Durand et Razmig Keucheyan, La Découverte/Zones, 256 pages, 20,50 euros.
https://www.politis.fr/articles/2024/03/cedric-durand-ramzig-keuchian-comment-bifurquer-pourquoi-la-bifurcation-ecologique-est-incontournable/

Bien que toutes les personnes raisonnables sachent parfaitement que la crise environnementale menace et mène à la possible destruction de tous les êtres vivants, humains compris, les décisions prises par nos dirigeants politiques, industriels ou technocrates supposés travailler sur le sujet ne sont toujours pas à la hauteur de « l’impasse dans laquelle nous nous trouvons ». Et si la question environnementale est paradoxalement omniprésente dans le débat public, les indicateurs écologiques sont aujourd’hui tous au rouge.

Devant cette impuissance, ou plutôt cette non-volonté de changer de voie pour sauvegarder notre environnement, les deux auteurs de cet essai novateur, l’économiste Cédric Durand (université de Genève) et le sociologue Razmig Keucheyan (université Paris-Cité), se sont d’abord penchés sur les raisons de cette absence de réactions et de modifications du développement économique planétaire, en dépit de l’évidence des destructions en cours. Mais leur livre est surtout une analyse du chemin qu’il est impératif de suivre pour « bifurquer ».

« Limite fondamentale »

Bifurquer vers un autre monde s’impose en effet sans traîner, soulignent les deux chercheurs, puisqu’il est certain que « le monde du capitalisme industriel, productiviste et consumériste n’est pas compatible avec la préservation des écosystèmes vivables pour les humains ». Depuis 2008 et la dernière grande crise du système capitaliste, les États ont dû « dissiper cette illusion – pour ceux qui étaient encore sous son emprise – de la vertu régulatrice des marchés ». Et donc intervenir, les économies étant depuis largement sous perfusion publique.

La crise du covid-19 n’a fait que confirmer ce processus, celui d’une « ’étatisation’ des mécanismes de marché », en phase avec un projet néolibéral qui, loin de réduire le pouvoir des États, s’emploie à s’en servir pour mieux protéger et développer les intérêts des marchés et des grandes entreprises productivistes, extractivistes, consuméristes, voire spéculatrices. Pourtant, « le cœur du problème actuel réside dans la crise environnementale » et « les solutions de marché à cette crise ne fonctionnent pas ».

Le capitalisme n’a d’autre boussole que le profit, et il n’investira que s’il en escompte un.

 
Cette crise, insiste les auteurs, se heurte à une « limite fondamentale », quand bien même le marché s’emploierait à « limiter » les destructions de l’écosystème : « Le capitalisme n’a d’autre boussole que le profit, et il n’investira que s’il en escompte un. » Et de souligner que « ’l’anarchie de la production’ – la concurrence entre capitaux privés – empêche que les investissements nécessaires à la bifurcation écologique soient collectivement hiérarchisés et réalisés ».

Ce système, datant de plus de deux siècles, voire trois, n’a que trop duré, car on sait désormais qu’il nous mène à une impasse, empêchant la perpétuation même de nos existences. [1] « Nous n’avons pas le temps d’attendre. » Il y a urgence et «  il nous faut un plan », s’exclament les auteurs. Leur livre se veut donc « une enquête sur les mondes possibles : ceux que l’on pourra conserver et ceux auxquels il faudra renoncer ».

Puisque le modèle de la croissance illimitée et de la centralité du PIB est clairement celui qui nous conduit à l’extinction prochaine de notre planète. Cette planification à laquelle appellent les auteurs est double : d’un côté, un « calcul écologique » inéluctable pour stopper les destructions des écosystèmes et assurer notre survie ; de l’autre, l’organisation d’un « espace démocratique » ou « processus de discussion » sur le devenir économique de nos sociétés, l’un et l’autre irrémédiablement liés.

L’importance de gagner le soutien des classes populaires.

Les difficultés politiques seront immenses, ne serait-ce qu’entre centralisation des impératifs écologiques et économiques et décentralisation politique capable de promouvoir une expérimentation institutionnelle de prise de décision au plus près des besoins humains et de la nature. Car « la planification écologique joue sur deux tableaux : côté pile, le calcul écologique ; côté face, la politique des besoins ».

Une planification indissociable de l’exigence d’un renouveau démocratique et donc de la constitution politique d’un « bloc social-écologique » soutenant un tel changement institutionnel et programmatique. Cela ne se fera pas sans mal puisque « travail et capital sont fracturés selon des lignes transclasses en fonction de l’intensité carbone des secteurs dans lesquels ils s’inscrivent ». Et de souligner l’importance de gagner le soutien des classes populaires à la planification écologique. Qui « sera sociale ou ne sera pas ».

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[1On ne saurait trop recommander, sur cette question vitale, la lecture du magistral essai écoféministe de la philosophe Émilie Hache, De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, La Découverte.

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