Édition du 7 mai 2024

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Charte des valeurs québécoises

Intervention de Michel Seymour à la commission parlementaire sur le projet de loi no. 60

M. Seymour (Michel) : Alors, tout d’abord, merci, M. le Président, M. le ministre, messieurs et mesdames les députés de m’avoir permis de prendre la parole ici, parmi vous. Cet exercice m’apparaît plus qu’essentiel, et c’est à l’honneur de l’Assemblée nationale que d’ouvrir ses portes aux citoyens, aux intellectuels, aux groupes qui ont des avis concernant la charte, le projet de loi n° 60.

Je dois dire d’entrée de jeu que je m’accorde avec l’idée que le Québec doit se doter d’une charte de la laïcité. Je m’accorde aussi avec le fait que les employés de l’État doivent éviter le prosélytisme et oeuvrer à visage découvert pour des raisons de sécurité, d’identification et de communication. Je suis en plus d’accord avec le fait de baliser les demandes d’accommodements. On pourrait créer en ce sens une commission des accommodements chargée d’informer toute personne ou organisme qui cherche à savoir comment et si une démarche… une demande d’accommodement doit être accordée. Je précise toutefois que les demandes d’accommodement ne doivent pas être seulement balisées par le droit à l’égalité hommes-femmes, mais aussi par la nécessité de ne pas comporter de mesures discriminatoires contre les groupes minoritaires en général, qu’ils soient des LGBT, lesbiennes, gays, bisexuels, transexuels, des personnes handicapées, des minorités ethniques ou quelque groupe minoritaire que ce soit.

Mais le problème majeur de cette charte, de ce projet de loi n° 60 renvoie aux articles 5 et 10. L’interdit des signes ostentatoires dans la fonction publique ne peut se justifier en invoquant la laïcité, la neutralité et l’indépendance de l’État par rapport aux religions instituées. Il ne peut être justifié de cette manière, car la laïcité, la neutralité et l’indépendance de l’État sont non seulement compatibles avec la diversité des signes religieux, on peut même dire que la diversité de ces signes est une preuve additionnelle de la laïcité, de la neutralité et de l’indépendance des institutions. En effet, la diversité des signes religieux témoigne du fait que des individus ayant des croyances très différentes peuvent néanmoins travailler au sein de ces institutions. Et cela est une preuve de neutralité, de laïcité et d’indépendance de ces mêmes institutions.

L’interdit des signes religieux ostentatoires n’est pas neutre non plus et ne garantit pas l’indépendance de l’État par rapport à la religion pour au moins trois raisons. La première raison : par cet interdit, l’État échoue à réaliser l’objectif de neutralité parce qu’il outrepasse sa sphère de compétence qui concerne la laïcité des institutions en se mêlant de ce qui peut être appelé la sécularisation de la société. Le gouvernement ne doit pas s’engager dans un « social engineering », pour employer une expression en anglais. Il ne doit pas se mêler des débats concernant les habitudes de vie des gens. Il n’a pas à forger les mentalités, à imposer un mode de vie particulier. Il ne doit pas se prononcer, je dirais, contre les Yvettes ou pour les Jeanettes. Ces débats sont des débats de société et mettent en jeu la société civile. Les habitudes de vie, les tenues vestimentaires concernent les gens de la société civile et non l’État. L’État ne doit pas entrer dans la chambre à coucher des gens, mais il ne doit pas non plus rentrer dans leur garde-robe. Alors, c’est la première remarque que je voulais faire, qui démontre qu’en se mêlant de ces choses, l’État se trouve à aller à l’encontre de son mandat qui est la laïcité des institutions, et non la sécularisation de la société. En outre, en imposant l’interdit des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique, l’État n’est pas neutre, car sa laïcité , comme plusieurs l’ont dit, est en fait une catholaïcité. Les règles qu’on cherche à imposer conviennent parfaitement en effet aux chrétiens…

M. Seymour (Michel) : …fonction publique, l’État n’est pas neutre, car sa laïcité, comme plusieurs l’ont dit est, en fait, une catholaïcité. Les règles qu’on cherche à imposer proviennent… conviennent parfaitement, en effet, aux chrétiens, qui peuvent avoir des signes religieux discrets ou absents, mais pas aux sikhs, aux juifs et aux musulmans, qui ont des signes ostentatoires.

Enfin, l’interdit imposé par l’article 5 ne tient pas compte du fait qu’il y a non seulement une diversité de religions, mais aussi une diversité de rapports à la religion, c’est-à-dire une diversité de façons de vivre l’expérience religieuse. Pour certains, la foi religieuse est essentiellement une affaire qui relève de leur liberté de conscience et qui se vit dans la sphère privée. Mais pour d’autres personnes, l’identité religieuse est intimement liée à une appartenance communautaire et elle se vit en groupe. Pour ceux-là, le port de signes ostentatoires devient un marqueur identitaire important, car en même temps qu’il sert à exprimer la foi religieuse, il indique une appartenance communautaire, l’appartenance à une communauté de religion. Ceux qui vivent l’expérience religieuse dans l’intimité de leur conscience n’ont pas besoin de signes extérieurs pour l’exprimer. Mais ceux qui vivent leur expérience en communauté ont besoin d’un signe extérieur pour manifester cette appartenance communautaire.

La dénonciation française des communautarismes à la base de leur conception de la citoyenneté et de la laïcité est, en ce sens, une marque d’intolérance à l’égard d’une certaine façon de vivre son rapport à la religion et ne devrait pas nous servir de modèle, car elle trahit une incapacité à prendre en compte le mode communautaire du rapport à la religion. Si les chrétiens sont, à notre époque, surtout, mais pas seulement individualistes dans leur rapport à la religion, plusieurs musulmans, sikhs et juifs, à l’opposé, sont surtout communautaires, communautariens, dans leur façon de vivre la religion. Le respect par l’État de la diversité des religions doit donc être combiné au respect à l’égard de différentes façons de vivre la religion et si on respecte l’expérience religieuse de type communautaire, il faut alors respecter la liberté d’expression religieuse, y compris dans la fonction publique.

Alors, en conclusion, je demanderais à ce que nous ne fassions pas du corps des femmes un champ de bataille. Ne combattons pas l’imposition du voile par l’interdit du port du voile. Laissons aux femmes le soin de décider. La lutte à l’intégrisme ne repose pas sur le port du voile, car on peut porter le voile sans être intégriste et plusieurs intégristes ne portent pas le voile. N’excluons pas ces femmes qui ne demandent qu’à s’intégrer à la société québécoise. On ne leur facilite pas leur intégration en les excluant de la fonction publique. La très vaste majorité des femmes qui portent le voile ne sont pas intégristes. S’acharner contre elles est une erreur qui sème la division et l’exclusion et, je dirais donc, en conclusion, qu’à mon avis, le Québec sera inclusif ou ne le sera pas. Merci, M. le Président.

Michel Seymour

Profs contre la hausse

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