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Québec

Jusqu'où iront les laïcards ?

CHRONIQUE / Le débat semblait réglé, ou à tout le moins apaisé, mais voilà qu’une nouvelle polémique s’ajoute à la longue liste des polémiques liées à la laïcité au Québec. Cette fois, il s’agit des locaux de prière à l’école. Effectivement, nous avons récemment appris que des écoles acceptent d’aménager un local de prière ou de recueillement pour les élèves qui le souhaitent. Scandale ? Personnellement, cela ne me choque pas du tout, bien au contraire. Qu’est-ce que cela peut bien faire que des élèves s’enferment dans un local pour prier ? Et surtout, en quoi est-ce pire que si des élèves utilisaient un local pour jouer à des jeux de société ou pour répéter une pièce de théâtre ?

16 avril 2023 | Tiré du journal Le Quotidien

Sébastien Lévesque enseigne la philosophie au Cégep de Jonquière depuis 15 ans. Celui qui est surtout intéressé par les questions relatives à l’éthique et à l’épistémologie des sciences publie des textes de façon régulière dans Le Quotidien depuis plus de 10 ans.

Évidemment, je comprends la différence entre la religion et les loisirs, mais pour les autres, qu’est-ce que ça change ? Si cela ne perturbe pas les activités régulières de l’institution ni ne brime les droits d’autrui, en quoi est-ce un problème ? Pourquoi devrions-nous le leur refuser ?

Au nom de la laïcité ? Soit, mais en quoi le fait que des élèves prient dans un local contrevient-il au principe de laïcité ? Il est peut-être utile de rappeler que l’école québécoise n’a pas attendu la loi 21 et l’interdiction des signes religieux pour être laïque. D’ailleurs, la laïcité n’implique pas forcément une telle interdiction. La laïcité scolaire, c’est d’abord et avant tout la déconfessionnalisation des écoles, et plus particulièrement des contenus pédagogiques. L’important, donc, c’est que l’école soit neutre sur le plan religieux, c’est-à-dire qu’elle ne favorise ni ne défavorise une religion au détriment des autres, ou encore l’absence de religion.

La laïcité est un arrangement institutionnel, non une valeur qu’il conviendrait d’imposer aux individus, tant que ces derniers ne s’adonnent pas à une forme quelconque de prosélytisme. Et à ce propos, je ne vois pas en quoi le fait de s’enfermer dans un local pour prier constitue du prosélytisme ou un manquement au principe de laïcité. En acceptant d’aménager un tel local, l’école ne prend pas parti pour la religion, elle ne fait que créer un milieu de vie inclusif où quiconque peut se sentir bienvenu, qu’il soit croyant ou non. Quant à lui, le contenu de l’enseignement dispensé par les enseignants demeure laïque, c’est-à-dire neutre sur le plan religieux, et c’est finalement tout ce qui compte.

Qu’à cela ne tienne, cette approche ne satisfait évidemment pas tout le monde. Pour certaines personnes qu’il convient d’appeler des laïcards, l’école – et plus largement l’État – ne devrait pas se contenter d’être neutre sur le plan religieux, mais chercher aussi à éliminer toute trace de ce qui est lié à la religion, y compris chez les individus. Ce sont notamment ces gens qui ont réclamé l’abolition du cours Éthique et culture religieuse, qu’ils jugeaient trop complaisant envers les religions. Sur cet enjeu aussi ils ont obtenu gain de cause, mais ce n’était apparemment pas suffisant.

« Laïcard », c’est un mot péjoratif qui fait référence à une personne qui défend fortement la laïcité, au point où cette dernière devient carrément une position antireligieuse. D’ordinaire, j’évite d’utiliser ce genre de mot, qui flirte avec l’insulte, mais il faut parfois appeler un chat un chat.

Pour avoir longuement débattu avec ces gens, je sais qu’ils ne s’arrêteront que lorsque les religions auront été complètement évincées. Cela a commencé par les signes religieux, mais il y a plus. Je me souviens très bien qu’on me répondait que l’interdiction des signes religieux était une mesure raisonnable, car limitée aux personnes en position d’autorité. Mais maintenant que c’est chose faite, croyez-vous vraiment qu’ils vont s’arrêter là ? Pour les laïcards, ce n’est jamais assez. Pour eux, il s’agit d’une guerre ouverte contre les religions.

Dernièrement encore, certains d’entre eux s’offusquaient de voir une musulmane voilée à la télévision, ou encore dans une publicité de Tim Hortons. Et puis quoi encore ? Maintenant que ces femmes ne peuvent plus accéder à certains postes au sein de l’appareil étatique, va-t-on tenter de leur interdire de travailler dans un Tim Hortons, voire carrément de déambuler dans la rue ?

Bon, je caricature un peu, mais il n’en demeure pas moins que je trouve cette posture très préoccupante. Je la trouve préoccupante, car bien qu’étant moi-même athée, je me méfie de cette volonté affichée de « mater » les religions. Et surtout, je sais faire la différence entre laïcité et athéisme. La laïcité a pour vocation d’assurer la neutralité religieuse de l’État et de protéger la liberté de conscience et de religion de tous les citoyens, pas de leur imposer une morale antireligieuse. Ainsi donc, tant que les croyants n’utilisent pas la religion à des fins malveillantes ou importunes, il n’y a pour l’État aucune bonne raison de s’y opposer.

À ce propos, se pourrait-il, comme certains l’ont laissé entendre, que cette histoire de local de prière soit une sorte de « cheval de Troie », c’est-à-dire une tentative de faire entrer la religion à l’école par la porte d’en arrière ? Honnêtement, je ne vois pas en quoi et pourquoi ce serait le cas, car tant et aussi longtemps que l’on s’assure que les contenus pédagogiques ne sont pas basés sur des préceptes religieux, la laïcité scolaire est sauve. Le reste n’est qu’accommodement visant à faire des écoles québécoises des milieux de vie ouverts et tolérants. Vivre et laisser vivre, est-ce si difficile à comprendre ?

Sébastien Lévesque

Professeur de philosophie au cégep de Jonquière.

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