Édition du 7 mai 2024

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Nucléaire

Japon : les experts calculent, les populations subissent

L’autorité de sûreté nucléaire japonaise considère que les accidents survenus à la centrale de Fukushima Daichi doivent être classés au niveau 7, le plus élevé

Compte tenu de la quantité de produits radioactifs rejetés dans l’atmosphère, l’autorité de sûreté nucléaire japonaise [1] considère que les accidents survenus à la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI doivent être classés au niveau 7 de l’échelle INES, niveau maximum réservé jusqu’à ce jour à la catastrophe de TCHERNOBYL [2].

L’autorité de sûreté nucléaire japonaise (NISA) précise que ce classement est provisoire, basé sur des calculs estimatifs et que les rejets ne représenteraient que 7 à 12% des rejets de TCHERNOBYL.

Que les rejets de FUKUCHIMA DAIICHI soient inférieurs ou équivalents à ceux de la centrale ukrainienne 5, ils ont provoqué une contamination préoccupante qui affecte des millions de personnes. Les calculs auraient dû être faits bien plus tôt et mis au service de leur protection.

La série d’accidents survenus depuis le 11 mars 2011 à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi est reclassée du niveau 5 au niveau 7 de l’échelle INES (International Nuclear Event Scale). Le reclassement est basé sur les évaluations de rejets atmosphériques effectuées par l’agence japonaise de sûreté nucléaire (NISA , nuclear and industrial safety agency) et par la commission de sûreté nucléaire japonaise (NSC, nuclear safety commission). Les hypothèses et calculs ne sont pas communiqués [3].

Le critère pris en référence est celui défini par le manuel INES (version 2008) : pour évaluer l’importance d’un rejet de produits radioactifs dans l’atmosphère, à savoir 50 000 TBq (5.1016 Bq) en équivalent d’iode 131 (cf. page 17 du manuel). Le système de pondération de l’activité des radionucléides sélectionnés s’effectue en référence à l’iode 131. Pour le césium 137, le facteur multiplicatif est fixé à 40 (cf. page 16 du manuel).

L’évaluation du NISA donne pour FUKUSHIMA DAIICHI un rejet 7 fois supérieur au seuil de classement au niveau 7 ; celle du NSC (basée elle aussi sur un calcul expérimental) aboutit à une valeur près de 13 fois supérieure (voir tableau ci-après). Il s’agit des rejets effectués à ce jour. Cela ne préjuge pas des évolutions à venir. Par ailleurs, ces évaluations ne concernent que les rejets de produits radioactifs dans l’atmosphère.

Les rejets dans l’Océan Pacifique (massifs mais non documentés) ne sont pas pris en compte.

Il est utile de rappeler que le 12 mars, les autorités japonaises avaient d’abord classé au niveau 4 l’accident survenu au réacteur n°1 (« rejet mineur de matières radioactives n’exigeant probablement pas la mise en œuvre de contre-mesures prévues autres que la surveillance des aliments locaux »). Ce classement a été maintenu du 12 mars au 18 mars, pendant toute la phase de rejets intenses (dégazage, explosions, incendies..).

Le 18 mars, les accidents survenus sur les réacteurs n°1, 2 et 3 étaient classés chacun au niveau 5 de l’échelle INES [4] : « accident ayant des conséquences étendues » mais « rejet limité de matières radioactives », par opposition au « rejet important » du niveau 6 et au « rejet majeur » du niveau 7.

Concernant la population et l’environnement, le niveau 5 correspond à un rejet supérieur au seuil de 5.10puissance 14 Bq mais inférieur à 5.10puissance 15 Bq (seuil de classement en niveau 6). Le fait de classer séparément chaque unité de la centrale nucléaire permet évidemment un classement a minima. Pour la population, évidemment, tous les rejets se confondent et se cumulent.

Critère de classement au niveau 7 de l’échelle INES : 5.10p.16 Tchernobyl
Référence *
Fukushima n°1
Estimation NISA
Fukushima n°1
Annonce NSC
Valeur pondérée : iode 131 + (40 x césium 137)
Pourcentage par rapport à Tchernobyl
5,2E+18 3,7E+17
7%
6,3E+17
12%
Rejet d’iode 131
Pourcentage par rapport à Tchernobyl
1,8E+18 1,3E+17
7%
1,5E+17
8%
Rejet de césium 137
Pourcentage par rapport à Tchernobyl
8,5E+16 6,1E+15
7%
1,2E+16
14%

(*) Comparaison avec Tchernobyl : comme la CRIIRAD l’écrivait le 14 mars, vu la situation des réacteurs et des piscines de stockage des combustibles irradiés, les bilans sont prématurés. Ceci étant, si les autorités de sûreté japonaises souhaitent effectuer des parallèles sur les rejets, il importe de prendre en compte tous les éléments, notamment : 1/ la composition isotopique des rejets (et pas seulement l’iode 131 et le césium 137) : du fait de l’explosion et du feu de graphite, le cocktail de Tchernobyl était probablement plus radiotoxique ; 2/ l’estimation des activités rejetées dans l’océan Pacifique. 3/ le tonnage du combustible nucléaire présent sur les installations : 1760 tonnes à Fukushima Daiichi ; 180 tonnes pour le réacteur n°4 de Tchernobyl [5] ; etc.

Pour la CRIIRAD, ce classement arrive trop tard.

Hypothèses et calculs auraient dû servir à protéger les habitants

Le classement s’effectue le 12 avril sur la base des rejets qui se sont produits pour l’essentiel 4 semaines plus tôt ! Qu’importe d’ailleurs le classement ! La question de fond n’est pas de savoir où se situent les rejets de FUKUSHIMA DAIICHI par rapport à ceux de Tchernobyl. Les experts auront tout le temps de le déterminer.

L’urgence, c’est d’évaluer les niveaux de risque et de dimensionner en conséquence les mesures de protection. OU, PLUS EXACTEMENT, C’ETAIT L’URGENCE D’IL Y A 4 OU 5 SEMAINES ! Il aurait fallu anticiper, évaluer les doses que les habitants étaient susceptibles de recevoir et décider en conséquence des contre-mesures à prendre pour limiter, autant qu’il est possible dans de telles conditions, l’irradiation et la contamination des habitants des zones les plus affectées.

Rappelons que l’exposition des habitants, résulte du cumul de différentes voies d’exposition : 1/ l’irradiation externe par les rayonnements émis par les particules présentes dans l’air, puis par les dépôts radioactifs accumulés sur les sols et surfaces ; 2/ l’irradiation interne du fait des gaz et aérosols radioactifs inhalés en continu depuis le début des rejets radioactifs ; 3/ l’irradiation interne par ingestion involontaire de particules radioactives et du fait de la consommation d’aliments contaminés .

L’addition de toutes ces contributions et l’accumulation des doses dans le temps conduit à un tableau particulièrement préoccupant, et bien au-delà des 30 km retenus par les autorités pour la mise en œuvre des actions d’évacuation, de confinement et de distribution d’iode stable.

De fait :

 des débits de dose de plusieurs microSieverts par heure (µSv/h), voire de plusieurs dizaines de µSv/h, ont été, sont encore, couramment mesurés que ce soit dans la zone de mise à l’abri (20-30 km) ou à l’extérieur, avec des valeurs dépassant même les 100 µSv/h ;

 une augmentation brutale de la radioactivité de l’air a été enregistrée à TOKYO, à 230 km au sud de la centrale de FUKUSHIMA DAIICHI, le 15 mars au matin (jusqu’à 240 Bq/m3 à 11h pour l’iode particulaire et on ignore encore la quantité d’iode gazeux !). Les conditions météorologiques ont heureusement limité à 3 heures la phase de forte contamination. Avec quelques heures supplémentaires, il aurait fallu administrer de l’iode stable aux groupes critiques et les autorités n’en auraient jamais eu le temps. Si Tokyo a été relativement épargné, ce n’est pas le cas des villes et villages situés plus au nord.

 le niveau de contamination des légumes à feuille a atteint des centaines de milliers, voire des millions de becquerels d’iode 131 par kilogramme (Bq/kg) : 690 000 Bq/kg à IWAKI, ville de 345 000 habitants à 45 km au sud de la centrale ; 2 540 000 Bq/kg à IITATE, gros village de 7 000 habitants, à 40 km au nord-ouest. A ce niveau de contamination, ce ne sont plus des aliments, ce sont des déchets radioactifs : il suffit qu’un jeune enfant avale 2 ou 3 grammes de ce légume pour recevoir la limite maximale admissible sur 1 an.

 Ces premières mesures datent du 18 mars (rien avant !) et leur publication du 22 mars. Elles posent avec acuité la question des activités incorporées par les populations avant la mise en œuvre des contrôles. Certes, il faut tenir compte des terribles conditions créées par le séisme et le tsunami mais sachant que plusieurs réacteurs n’étaient plus refroidis et que les opérations de dégazage allaient probablement provoquer des rejets radioactifs massifs, comment expliquer, plusieurs jours durant, l’absence de mesure dans la préfecture de Fukushima, secteur géographique le plus exposé ?

 Autre question, celle des incorporations liées à l’ingestion d’aliments contaminés mais à des niveaux inférieurs aux limites applicables aux situations accidentelles (2 000 Bq/kg pour l’iode 131 dans les légumes par exemple) ? Les limites instaurées par les autorités japonaises sont globalement un peu plus protectrices que celle mises en œuvre en Europe mais elles restent elles aussi trop élevées.

 Compte tenu des quantités d’iode radioactif que les habitants des zones contaminées étaient susceptibles d’inhaler et d’ingérer, et sachant que l’iode stable n’est efficace qu’à condition d’être ingéré AVANT l’arrivée de la contamination, et en tout cas le plus précocement possible, comment se fait-il que le NISA indique que l’ordre d’administrer les comprimés n’a été donné que le 21 mars, soit plusieurs jours après la survenue de rejets radioactifs massifs.

La CRIIRAD travaille à la rédaction d’un document de référence sur les niveaux d’exposition des habitants des régions qui subissent depuis un mois l’impact des rejets radioactifs de la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI. Tous les éléments ci-dessus y seront repris et développés.

Documents annexes

1. Dans son communiqué du 14 mars 2011, la CRIIRAD critiquait le classement au niveau 4 de l’échelle INES par les autorités japonaises. « La CRIIRAD dénonce la sous-évaluation de la gravité des accidents survenus sur la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI et le manque crucial d’information tant sur les quantités de radioactivité rejetées depuis vendredi que sur les niveaux de contamination de l’air. Faute de ces données, il est impossible de se prononcer sur les niveaux de risques radiologiques. Les rares chiffres disponibles empêchent en tout cas de qualifier les rejets de « mineurs » (niveau 4 dans l’échelle INES) ou de « faibles » (déclaration télévisée de Mme KOSCIUSKO-MORIZET dimanche matin). »

2. L’échelle INES : présentation synthétique en français ; manuel complet en anglais (version 2008) :
http://www.criirad.org/actualites/d...

Notes

[1] « The Rating of the International Nuclear and radiological Event Scale (INES) on the events in Fukushima Dai-ichi Nuclear Power Station (NPS), Tokyo Electric Power Co. Inc., caused by the Tohoku District - off the Pacific Ocean Earthquake is temporarily assessed as level 7, considering information obtained after March 18th. » NISA news release, April 12, 2011.

[2] Explosion du réacteur n°4 le 26 avril 1986, il y a près de 25 ans.

[3] En tout cas ne l’étaient pas lors de la publication de ce communiqué le 12 avril à 18h. Le NISA précise qu’il s’agit d’un calcul expérimental utilisant notamment le résultat des analyses de la situation des réacteurs, conduites par le JNES, Japan Nuclear Energy Safety Organisation.

[4] Les incendies, explosion et la perte de refroidissement sur la piscine de stockage des combustibles irradiés du réacteur n°4, et les incendies et l’explosion qui s’y sont produits ont été classés au niveau 3 : « incident grave ».

[5] Cf. Annexe : Fukushima radioactive fallout nears Chernobyl levels – Newscientist.com – 25 mars 2011.

Le site du CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.criirad.org/

CRIIRAD

Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (France)

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