Édition du 7 mai 2024

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Environnement

L'empreinte carbone des ménages québécois selon leur revenu

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) publiait en avril 2022 une toute première estimation de l’empreinte carbone des ménages québécois basée sur la consommation [1]. On y apprenait qu’en 2017, les ménages du Québec ont occasionné l’émission de 66 474 milliers de tonnes équivalent CO2 (Kt éq. CO2) sur la planète. La présente analyse évalue l’empreinte carbone des ménages selon leur niveau de revenu.

tiré du site de l’Observatoire québécois des inégalités

PRINCIPAUX CONSTATS

  • L’empreinte carbone des ménages correspond à la quantité totale de gaz à effet de serre émise pour répondre aux besoins de consommation de ceux-ci.
  • En 2017, les dépenses courantes des ménages au Québec ont généré en moyenne 18,4 tonnes équivalent CO 2 par ménage.
  • L’analyse selon le niveau de revenu révèle que les dépenses courantes des ménages les mieux nantis conduisent à des émissions de gaz à effet de serre au moins trois fois plus élevées que celles des ménages les moins nantis.
  • Cet écart s’explique notamment par l’importance des dépenses en énergie et combustibles réalisées par les ménages se trouvant au sommet de la distribution de revenu.
  • Une prise en compte des investissements privés, exclus de la présente analyse, aurait pour effet d’accroître significativement l’empreinte carbone des ménages à plus hauts revenus. En suivant une telle approche à l’échelle canadienne, des évaluations ont obtenu une empreinte carbone jusqu’à 19 fois plus élevées chez les 1% plus hauts revenus que chez les individus faisant partie des 50% moins nantis.
  • Alors que les ménages à faible revenu ont, en moyenne, une empreinte carbone moindre que les ménages plus fortunés, ceux-ci sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques.

UNE APPROCHE BASÉE SUR LA CONSOMMATION

L’empreinte carbone des ménages correspond à la quantité totale de gaz à effet de serre émise pour répondre aux besoins de consommation de ceux-ci, tels que se loger, se nourrir ou se divertir. Elle inclut les gaz à effet de serre émis directement par les ménages, mais également les émissions issues de la fabrication, du transport et de la distribution des biens et services qu’ils consomment, ainsi que celles des produits importés. Les émissions sont ainsi calculées tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et ce, peu importe où ces émissions ont lieu et qui les a générées.

Cette approche basée sur la consommation permet de sensibiliser les citoyens et citoyennes à propos des conséquences de leurs comportements sur les changements climatiques à l’échelle mondiale. Contrairement à une approche basée sur la production qui évalue les émissions de gaz à effet de serre selon les secteurs qui les génèrent à l’intérieur d’un territoire précis, l’approche basée sur la consommation permet de saisir les répercussions des choix de consommation des individus sur l’ensemble de la planète.

La présente analyse s’appuie sur le rapport de l’ISQ sur l’empreinte carbone des ménages au Québec et s’intéresse exclusivement aux dépenses courantes des ménages québécois. Elle ne concerne donc pas l’empreinte carbone totale de la société québécoise. Par exemple, les émissions découlant des investissements privés ou des dépenses gouvernementales ne sont pas prises en compte.

L’EMPREINTE CARBONE PAR DOLLAR DÉPENSÉ

Cette analyse récrée, à l’aide du fichier de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête sur les dépenses des ménages de 2017, les 10 grandes catégories de produits de consommation utilisées dans le rapport de l’ISQ. Le tableau des intensités d’émission de gaz à effet de serre par millier de dollars de valeur ajoutée permet alors d’évaluer, pour chaque dollar dépensé par les ménages québécois, l’empreinte carbone en lien avec chacune des catégories de dépense.

Tableau 1. Émissions de GES par million de dollars de dépense des ménages, selon la catégorie de
biens et de services, 2017

Source : Institut de la statistique du Québec, compilation réalisée sur base du Compte des émissions de GES québécoises et canadiennes en date de l’été 2022 et basée sur l’édition 2021 du Contenu en émissions de dioxyde de carbone des échanges internationaux (OCDE). Note : Les émissions hors Canada sont sous-estimées, car seules les émissions de CO2 sont comptabilisées.

En 2017, les dépenses courantes des ménages au Québec ont généré l’émission d’au moins 66 474 Kt éq. CO 2 , ce qui équivaut à 18,4 tonnes éq. CO 2 par ménage. On constate que les émissions associées à la catégorie énergie et combustibles sont les plus importantes, avec 8,2 tonnes éq. CO 2 par ménage, suivi des aliments et boissons, avec des émissions de 3,6 tonnes éq. CO 2 par ménage et le transport, avec 1,9 tonnes éq. CO 2 par ménage.

Figure 1. Empreinte carbone par ménage issue de la consommation au Québec (Kt éq. CO₂), selon les catégories de biens et de services, 2017

Source : Calculs de l’auteur basés sur l’Enquête sur les dépenses des ménages 2017 et la compilation réalisée par l’Institut de la statistique du Québec sur base du Compte des émissions de GES québécoises et canadiennes en date de l’été 2022 et basée sur l’édition 2021 du Contenu en émissions de dioxyde de carbone des échanges internationaux (OCDE).

LES MÉNAGES LES MIEUX NANTIS ONT UNE EMPREINTE CARBONE 3 FOIS PLUS ÉLEVÉE

L’analyse de l’empreinte carbone des ménages selon le niveau de revenu révèle que les dépenses courantes des ménages les mieux nantis conduisent à des émissions de gaz à effet de serre trois fois plus élevées que celles des ménages les moins nantis. En effet, alors que les ménages appartenant au quintile inférieur de la distribution des revenus – soit les 20% les plus pauvres de la population – émettent en moyenne 9,8 tonnes éq. CO 2 sur une base annuelle, ceux au sommet de la distribution émettent 28,1 tonnes éq. CO 2 , soit près de trois fois plus.

Figure 1. Empreinte carbone par ménage selon le quintile du revenu disponible ajusté du ménage, 2017

Source : Calculs de l’auteur basés sur l’Enquête sur les dépenses des ménages 2017 et la compilation réalisée par l’Institut de la statistique du Québec sur base du Compte des émissions de GES québécoises et canadiennes en date de l’été 2022 et basée sur l’édition 2021 du Contenu en émissions de dioxyde de carbone des échanges internationaux (OCDE).

Cet écart est encore plus saisissant lorsqu’on compare l’empreinte carbone des ménages ayant un revenu se situant parmi les 40% les plus bas de la population à celle des ménages ayant un revenu faisant partie des 10% ─ ou encore 1% ─ les plus hauts de la distribution de revenus. Les émissions carbones de ces groupes étaient respectivement de 12, 31 et 44 tonnes éq. CO 2 en 2017.

Figure 2. Empreinte carbone par ménage selon le revenu disponible ajusté du ménage, 2017

Source : Calculs de l’auteur basés sur l’Enquête sur les dépenses des ménages 2017 et la compilation réalisée par l’Institut de la statistique du Québec sur base du Compte des émissions de GES québécoises et canadiennes en date de l’été 2022 et basée sur l’édition 2021 du Contenu en émissions de dioxyde de carbone des échanges internationaux (OCDE).

Cet écart s’explique notamment par l’importance des dépenses en énergie et combustibles réalisées par les ménages se trouvant au sommet de la distribution de revenu. En effet, cette catégorie, qui regroupe les dépenses en électricité, en carburants, en gaz naturel et autres combustibles, est responsable de près de la moitié (45%) des émissions de gaz à effet de serre des ménages appartenant au 1% plus hauts revenus, soit une moyenne de 20,1 tonnes éq. CO 2 par ménage seulement pour l’énergie et les combustibles.

Bien qu’en termes absolus, les émissions découlant des dépenses d’alimentation des ménages à hauts revenus soient plus élevées, elles occupent une part plus faible de l’empreinte carbone de ces ménages. Les dépenses de consommation liées à l’alimentation représentent 16% des émissions moyennes de gaz à effet de serre des ménages faisant partie des 1% plus hauts revenus, alors qu’elles représentent 21% des émissions des ménages faisant partie des 40% plus faibles revenus.

Figure 3. Empreinte carbone par ménage selon les catégories de biens et de services, 2017

Source : Calculs de l’auteur basés sur l’Enquête sur les dépenses des ménages 2017 et la compilation réalisée par l’Institut de la statistique du Québec sur base du Compte des émissions de GES québécoises et canadiennes en date de l’été 2022 et basée sur l’édition 2021 du Contenu en émissions de dioxyde de carbone des échanges internationaux (OCDE).

LA CONSOMMATION : UNE FRACTION DE L’EMPREINTE CARBONE DES MÉNAGES À HAUTS REVENUS

Tel que souligné précédemment, la présente analyse rend compte des émissions de gaz à effet de serre découlant exclusivement des dépenses de consommation des ménages. Cette approche ne tient donc pas compte des émissions découlant des investissements de ceux-ci. Or, certains investissements sont particulièrement intensifs en carbone. La prise en compte des investissements privés aurait pour effet d’accroître significativement l’empreinte carbone des ménages à plus hauts revenus, puisque ceux-ci dédient une part moins importante de leurs revenus à la consommation au profit de l’épargne.

En effet, alors que les ménages appartenant aux deux quintiles inférieurs de la distribution des revenus ont des dépenses de consommation qui excèdent leur revenu disponible, les dépenses de consommation des ménages appartenant au quintile supérieur de la distribution de revenus ne représentent que 70% de leur revenu disponible. L’épargne résultant de cette différence peut alors faire l’objet d’investissements privés et ainsi accroître l’empreinte carbone des ménages plus fortunés.

Tableau 1. Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages, Québec, 2017

Source : Statistique Canada. Tableau 36-10-0588-01 Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages, revenu, consommation et épargne, Canada, provinces et territoires, annuel.

À titre comparatif, le World Inequality Database calculait – qu’en tenant compte de l’ensemble des émissions au Canada, notamment celles découlant des investissements privés – l’empreinte carbone des canadiens faisant partie des 1% plus hauts revenus étaient de 193 tonnes éq. CO 2 en 2017, soit 19 fois plus élevées que les canadiens faisant partis des 50% les moins nantis. 2 Bien que l’économie québécoise soit moins intensive en émissions de gaz à effet de serre que le reste du Canada, 3 il est probable que la prise en compte des investissements privés dans l’empreinte carbone des ménages québécois plus fortunés serait significative.

LES MÉNAGES MOINS NANTIS PLUS VULNÉRABLES AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Alors que les ménages à faible revenu ont, en moyenne, une empreinte carbone moindre que les ménages plus fortunés, ceux-ci sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques. En effet, les ménages se trouvant au bas de la distribution de revenu – qui sont majoritairement locataires – habitent souvent des logements mal adaptés aux écarts de températures et se retrouvent ainsi en situation de précarité énergétique. En 2021, 22% des ménages locataires se déclaraient insatisfaits de leur logement au regard de l’efficacité énergétique, contre 12% chez les ménages propriétaires.

Insatisfaction du logement au regard de l’efficacité énergétique selon le mode d’occupation du logement, Québec, 2021

Source : Statistique Canada. Enquête canadienne sur le logement 2021. Fichier de microdonnées à grande diffusion.

CONCLUSION

L’analyse ci-haut dresse un portrait inédit des émissions de gaz à effet de serre des ménages québécois selon leur niveau de revenu. En empruntant une approche basée sur la consommation, elle met en lumière l’écart important entre l’empreinte carbone des ménages moins nantis et des ménages plus fortunés. En mettant également en relief les disparités en termes de précarité énergétique, elle soulève des questions de justice climatique.


[1Institut de la statistique du Québec (2022). Empreinte carbone des ménages au Québec. Une première estimation basée sur la consommation.

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