Édition du 23 avril 2024

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Débats

Le Forum social mondial, notre Forum social, reste-t-il pertinent ?

Observations (très) préliminaires)¸

Dans l’histoire des sociétés en général, et dans celle des mouvements sociaux qui cherchent à changer le monde, les mythes occupent une place importante. Ils servent à relancer des débats, à projeter des idées. Pour la plupart des grands mythes, le lien avec la réalité n’est pas le facteur principal. La forme « mythes » effectivement exclue, occulte, invisibilise : en bout de ligne, ce n’est pas ce qui est arrivé qui compte le plus. En tant que phénomène politique contemporain, c’est ce qui est arrivé avec le Forum social mondial. Essayons de décortiquer un peu.

Pierre Beaudet, Alternatives

Personne n’a inventé le Forum

Au tournant des années 1990, les mouvements sociaux et les partis progressistes ressortaient à peine d’une pénible série de catastrophes dont l’implosion de l’URSS. Quelques nostalgiques ont essayé ici et là de repeinturer le socialisme « réellement existant », mais cela ne pouvait pas marcher. Entretemps, l’étincelle de la vie, l’étincelle de la résistance, surgissait un peu partout contre l’infâme (dé)ordre mondial imposé au nom de la mondialisation. Des grandes et des moins grandes luttes, des rencontres et des expérimentations, prenaient forme dans ce qui n’était pas vraiment un mouvement, l’antimondialisation. En même temps apparaissaient de nouvelles propositions et de nouvelles méthodologies, axées sur une plus grande démocratisation, l’irruption de subalternes longtemps mis de côté par les mouvements (autochtones, paysans, femmes, etc.). Cela n’excluait aucunement les partis (à part pour quelques idéologues mal inspirés), puisque de toutes façons, dans la « vraie vie », partis et mouvements agissent de manière interactive, tant sur le plan des luttes contre le « macro pouvoir » que dans le quotidien de toutes les batailles sociales).

Et c’est comme cela, par hasard, qu’une rencontre au début imprévisible a eu lieu en 2001 à Porto Alegre. Sur le coup, peu de gens en ont saisi le sens, mais rapidement, on a senti un vent de convergence, autour des luttes d’émancipation, en Amérique du Sud principalement. En 2002, une sorte de structure bancale émergeait. On voulait un espace de débats, on voulait éviter l’instrumentalisation et on espérait, sans le comprendre, que cela déboucherait sur des convergences. Et effectivement en 2003, il y a eu le moment magique des millions de manifestants dans le monde contre la guerre impérialiste.

Un Forum pour qui et pourquoi ?

Sans le Forum, il y aurait eu de toute évidence ces convergences, mais cela importait peu. Et fait principal à noter, le Forum a joué un rôle très mineur, puisque les mobilisations ont d’abord et avant tout été le fait de convergences nationales. Cet élan a continué par après, en s’effilochant évidemment. Le Forum pouvait-il aller plus loin ? Oui. Non. Peut-être. Des tentatives généreuses voulaient étendre le Forum à d’autres contrées et régions où n’existaient pas, pour 1000 raisons, de processus structurants avec les mouvements populaires. Parallèlement, le Forum comme tant d’initiatives cherchait à se formaliser, à se confier (on peut faire ci, on ne peut pas faire cela). Une mini bureaucratie aux compétences limitées a tenté sans grand succès de gérer les débats, notamment au sein du Conseil international. Des « gros » mouvements (grands syndicats, ONG bien pourvues) avaient beaucoup d’influence, plutôt par défaut que d’autre chose. Le Forum s’est métamorphosé selon des conjonctures politiques très différentes, en se régionalisant, en se thématisant. Et finalement au tournant des années 2010 les mouvements ont vécu plusieurs transformations.

- En Amérique latine, la « vague rose » s’est effritée sous le poids des nouvelles élites politiques incapables de relancer la lutte pour la démocratie. Le vent de droite a soufflé très fort, en réduisant de beaucoup les espaces de mobilisation et de créativité politique.
  La traversée de la Méditerranée a boosté des mouvements hétérogènes en Europe du Sud, qui sont montés rapidement mais qui se sont essoufflé encore plus rapidement. Les « printemps » arabes et africains se sont révélés des expériences intéressantes, mais débouchés politiques, du moins à court terme. La « souche » Forum a échoué à fleurir dans l’immensité asiatique à part quelques exceptions. Et pas vraiment non plus au cœur du monstre aux États-Unis.
  Le Forum s’est rétréci, ritualisé, devant une série de rencontres, souvent intéressantes, mais pas plus. Cette limite, à mon avis, était une conséquence, et non une cause, des mouvements sociaux qui avaient atteint un certain point de saturation.
  Des intellectuels de renom, grandes ou petites personnalités, essayaient, en vain, de compenser cette glissade par des déclarations, opinions, manifestes, peu lus et largement déconnectés des luttes. Des propositions polarisantes (une « cinquième internationale ») devant la plupart du temps des généraux sans armée, avaient peu d’impact, outre que de meubler les réunions d’un conseil international ankylosé. Le sentiment général, faute de voir comment continuer d’une manière créative, naviguait entre un désengagement passif et le vain désir de s’accrocher à un Forum « idéal » où on pouvait discourir sans limite.
  Entre temps, c’est la droite qui a réorganisé son hégémonie autour d’un populisme vulgaire, aux accents racistes et misogynes. La stratégie du « tout-le-monde-contre-tout-le-monde » a réussi à déstabiliser nos sociétés, reléguant, dans la plupart des cas, les mouvements d’émancipation aux marges. Cette « révolution réactionnaire » est en plein essor actuellement.

Et maintenant ?

Rien n’arrête la force de la vie, de l’énergie, de la quête insatiable des humains pour la justice, la démocratie, la paix. Dans le tumulte des grandes défaites des dernières années resurgissent à l’infini des générations militantes, celles qui ont mis à mal la dictature chilienne, qui ont mobilisé des millions d’États-Uniens derrière la bannière de Black Lives Matter. Avec la pandémie, des centaines de millions de gens ont constaté la gigantesque arnaque du projet néolibéral et de ses pratiques austéritaires.

Dans tout cela, il est plus que probable que le Forum va continuer de se métamorphoser, en dehors ou au-delà des sentiers battus. À mon avis le fait de porter un label, « FSM » est secondaire. Les débats entre quelques nostalgiques sur le Forum-espace et le Forum-mouvement, n’ont pas beaucoup d’intérêt.

L’idée de la convergence, l’idée de s’entraider dans des causes communes et diversifiées, d’apprendre des autres, de confronter le dispositif du pouvoir à tous les niveaux, reste tout à fait valable et ne peut être codifiée. Il n’y a aucune possibilité, à quelque niveau que ce soit, de créer des structures rigides, prescriptives, ce qui n’exclut pas du tout des coordinations actives, spécifiques, entre des luttes et des mouvements. Pour moi, contrairement à plusieurs ami-es, ce Forum-espace-débats n’est pas une religion, une qualité sublime qui ferait du Forum quelque chose d’éternel (rien de l’est), mais simplement, c’est un état de fait.

D’autre part, chaque forum, qu’on l’appelle mondial ou national, est unique. Le Mexique n’est pas la Tunisie ni même l’Argentine ou l’Inde. Partout, ce sont des mouvements réellement existants qui veulent promouvoir un agenda de transformation, selon leurs termes et leurs définitions. Il n’y a pas de substitut, ni de garant, encore moins de « surveillant » (le conseil international) qui ont quelque chose à voir avec cela.

La contrepartie de cela, c’est que chacun a développé son projet, sans « grand frère ». La méthodologie, les ressources, le déroulement, doivent être assez strictement endogènes. C’est à chacun de définir « son » projet, et camarades, si vous ne pouvez pas le faire, personne ne le fera à votre place.

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