Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2015

Le vote stratégique

Au début de la campagne électorale, la FTQ avait proposé de voter pour les candidat-es qui peuvent contribuer à la défaite de Harper. Plusieurs militant-es ont trouvé cela « minimaliste », comme si on n’avait rien à proposer à part d’éviter le « pire ». D’autres estimaient qu’il fallait continuer avec le Bloc Québécois. Pour d’autres camarades, un vote pour le NPD pouvait ouvrir des portes à des transformations progressistes. Maintenant que l’interminable campagne s’achève, l’heure des choix est arrivée. Par rapport au Canada, les enjeux sont un peu particuliers au Québec. Ce n’est pas ici que Harper va gagner beaucoup. La question est donc pour nous dans quelle mesure le vote québécois peut contribuer à faire élire autre chose que ce gouvernement d’ultra droite qui représente une réelle menace.

Par rapport à l’idée d’un vote « stratégique », l’option majoritaire est de voter NPD. Il faut le dire, il n’y a pas beaucoup d’enthousiasme pour cela. Cette situation résulte en bonne partie des positions et de la performance de Tom Mulcair, qui est perçu comme un homme essentiellement du « centre-droit », de par son passé de libéral fédéraliste « pur et dur », de par ses positions ambigües sur l’environnement, l’économie, la politique internationale. En reprenant la rengaine du « déficit zéro », il s’est mis à droite du Parti libéral du Canada (PLC). Des optimistes comme mon amie Judy Rebick disent que cela ne change pas au fait que le NPD est encore un parti progressiste avec des députés qui sont à gauche (on peut penser, par exemple, à Alexandre Boulerice). J’espère qu’elle a raison, mais je ne suis pas totalement convaincu. En réalité, un peu partout, les partis de la tradition social-démocrate ont perpétué les politiques néolibérales. En tout cas, c’est ce que le NPD a fait au niveau provincial au Manitoba et antérieurement en Ontario. Est-ce que cela peut changer ? Récemment, les travaillistes anglais ont élu un chef plutôt à gauche (Jeremy Corbyn), donc en principe, cela n’est pas impossible. Si jamais le NPD subit un important recul, il pourrait avoir un « backlash » contre Mulcair.

Qu’en est-il des autres options ? À l’époque où il était très présent à Ottawa, le Bloc a souvent défendu des positions progressistes (dans des dossiers comme l’assurance-emploi par exemple), tout en étant un partenaire dans la bataille pour l’émancipation nationale. Sur des dossiers controversés comme l’identité et les droits, Gilles Duceppe s’est retrouvé davantage dans le camp du nationalisme civique. Mais voilà que le vent a tourné. Pour des considérations électorales, Gilles Duceppe se retrouve avec Stephen Harper. Malgré les entourloupettes sur les droits de femmes, cette histoire du nikab est instrumentalisée par une campagne réactionnaire qui mise sur les préjugés contre les Musulmans et les minorités visibles, et reflètent la vision tordue du « eux » contre « nous » à saveur identitaire. Ce positionnement du Bloc s’aggrave avec l’appui apporté à la « guerre sans fin », comme si les attaques actuelles des États-Unis et de ses alliés-subalternes (comme le Canada) visaient autre chose de « reconquérir » le Moyen-Orient. Au-delà de cette fracture, le Bloc reste un acteur mineur dans l’éventualité d’une alternative à Harper. Il pourrait peut-être détenir ce qu’on appelle la « balance du pouvoir » et appuyer un gouvernement anti-Harper (on se souvient que cette possibilité avait été esquissée il y a quelques années lors d’une tentative d’alliance entre le PLC, le NPD et le Bloc), mais dans le contexte actuel, il est probable que l’émiettement du vote « anti-Harper » entre trois partis va plutôt favoriser les (néo)conservateurs.

Lors d’une discussion récente aux Nouveaux Cahiers du socialisme, c’est en gros ce portrait qui a émergé. Le vote « stratégique en fin de compte, cela veut dire voter pour le NPD, sans espérer beaucoup sinon que de faire échec à Harper. Ce n’est pas une position confortable, car elle reflète la faiblesse des forces de gauche dans le contexte canadien qui n’ont pas su, et ce depuis longtemps, construire une alternative, soit avec le NPD, soit en dehors de ce parti. Si à court terme le vote stratégique est ce qu’il faut faire, il est cependant nécessaire d’amorcer un virage qui pourrait, à plus long terme, déboucher sur autre chose. C’est dans ce sens que les discussions amorcées l’an passé au Forum social des peuples et d’autres rencontres réalisées depuis entre progressistes du Québec, du Canada et des Premières Nations, ouvrent une autre porte, même si on sait déjà que le chemin sera laborieux et prolongé pour arriver éventuellement à un « Canada solidaire ».

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