Édition du 7 mai 2024

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Québec

Réflexions autour de l’entrevue de Gabriel Nadeau Dubois donnée à Pénélope McQuade

Vous avez dit, Premier ministre du Québec en 2022 ?

Certains auront pu être étonnés, voire agréablement surpris de l’entrevue que Gabriel Nadeau Dubois a accordée à Pénélope McQuade, le 4 novembre 2021, peut-être même satisfaits de l’importance politique qu’on aura ainsi conférée —via Radio Canada— au chef parlementaire de Québec solidaire. Pourtant, même si Pénélope ne l’a pas ménagé, ni non plus n’est passée à côté de thèmes polémiques, il en est ressorti une étrange impression : celle de la reconnaissance médiatique officielle, de l’intronisation dans le monde de la politique institutionnelle québécoise… du personnage politique qu’est devenu Gabriel Nadeau Dubois, mais d’abord et avant tout présenté comme un possible premier ministre et sans que celui-ci n’ait jugé bon —comme on s’y serait attendu— de prendre ses distances avec tout ce qu’une telle approche impliquait. Analyse !

Il est vrai qu’il a su répondre avec habileté à nombre des questions posées, se servant notamment de l’exemple du projet caquiste de tunnel sous-fluvial pour illustrer comment QS est capable d’avoir des positions claires et tranchées (son refus du 3ième lien), tout en ayant de très bonnes raisons pour le faire dans le contexte de la dérive climatique, et en n’étant pas à priori politiquement isolé de larges franges de l’électorat.

Il est vrai aussi qu’il a su montrer comment, en particulier dans le domaine de la santé, on doit impérativement faire des transformations de fond dont se sont cependant montrés incapables non seulement la CAQ, mais plus généralement autant le Parti libéral que le Parti québécois. Le tout, avec un ton à la fois assuré et modéré, donnant l’impression d’un leader en pleine maîtrise de lui-même.

Il est vrai enfin que c’était Pénélope qui menait l’entrevue et qu’elle lui a tout de suite imprimée une dimension personnaliste, s’adressant d’abord à l’individu vedette qu’il est devenu plus qu’au représentant d’un parti de gauche dont il devrait d’abord et avant tout rester redevable, le renvoyant en somme de manière implacable dans les cordes de la politique traditionnelle et provincialiste du Québec.

Et c’est justement ce qui peut étonner, voire inquiéter : que Gabriel Nadeau Dubois se soit laissé enfermer —et même semble-t-il avec un certain plaisir— dans ce rôle qu’était en train de lui construire, en parallèle avec d’autres, un des grands médias traditionnels du Québec.

Un René Lévesque pour les années 2020 ?

Car le projet socio-politique de QS —ce pourquoi ce parti s’est constitué il y a de cela maintenant 15 ans— n’était pas et n’est toujours pas celui de se glisser mine de rien dans les institutions laissées en héritage par le colonialisme britannique. Et encore moins d’imaginer que les changements structuraux —économiques, sociaux, écologiques, politiques, etc.— auxquels QS aspire, proviendraient du surgissement d’un homme providentiel sur la scène électorale. Pénélope a même fait référence à ce sujet à René Lévesque, tentant de le pousser à se comparer à lui. Or, au-delà même de la réponse attendue de Gabriel Nadeau Dubois (il n’en est rien !), ce que l’on tend trop souvent à oublier, c’est que René Lévesque fut tout autant un acteur décisif de l’affirmation nationale et populaire au Québec des années 60/70/80, que l’expression d’un vaste mouvement social et collectif sans lequel il n’aurait rien été, et dont il n’a fait que refléter (et incarner sous une forme politique.. réformiste) les aspirations à l’émancipation sociale et nationale.

Tout cela pour rappeler que si l’on veut aujourd’hui en 2021/2022 renouer avec ces volontés de changement qui ont tant marqué les années 1960 et 1970 et qu’il serait si nécessaire de retrouver aujourd’hui pour faire face aux crises climatiques et sanitaires ou encore pour se lancer dans l’aventure d’une constituante indépendantiste, il y a une pente glissante qu’il ne faut surtout pas emprunter : celle du personnalisme et de de l’électoralisme...qui au mieux ne sont que des raccourcis trompeurs, au pire de formidables pièges aux projets d’émancipation pensés depuis la gauche.

Bien sûr cela ne veut pas dire, qu’il ne faut pas se préparer aux élections de 2022, ni non plus ne pas chercher à gagner plus de députés. Mais cela veut dire qu’il faut s’y préparer en ne se cachant rien de l’ampleur de la tâche et surtout des conditions socio-politiques auxquelles il faut parallèlement travailler pour que les changements de fond souhaités par QS deviennent réalité.

Sans un mouvement social fort

Sans un mouvement social fort et vivant, animé par une multitude de groupes politiques et communautaires, d’organisations citoyennes et étudiantes, de regroupements écologiques, féministes, autochtones, etc., sans donc un vaste mouvement social et collectif qui, partout au Québec, sur les lieux de travail ou de vie, à la ville ou dans les régions, se serait remis en marche autour d’un même projet politique pour faire entendre son protagonisme au quotidien, rien de toutes les promesses de QS ne pourra voir le jour.

Or c’est ce qu’on semble oublier à QS. Il n’y a pas aujourd’hui un tel mouvement, ni de telles volontés de changement communes. Il reste à les relancer, les stimuler, les reconstruire, apprendre à nouveau et à travers leur diversité à les coordonner. Laisser croire, en pleine montée de la droite, avec une CAQ, et un ministre Legault omnipotent, que QS pourrait l’emporter aux prochaines élections (faisant ainsi de Gabriel Nadeau Dubois un premier ministre) sans que l’on ait travaillé par ailleurs à reconstituer un vaste mouvement social, est non seulement présomptueux mais aussi et surtout dangereux. Dangereux, car ainsi on risque de définitivement enfermer QS dans les travers de l’électoralisme ou de la politique spectacle dont tant de partis de gauche (Syriza, France insoumise, Podemos) ont si durement pâti ces dernières années.

C’était justement pour éviter de telles dérives qu’on avait imaginé que QS puisse se développer autant comme « un parti des urnes » que comme « un parti de la rue ». Ou encore, autre formule possible et plus d’actualité, comme « un parti mouvement ». C’est-à-dire comme un parti qui sait que les objectifs qu’il poursuit sur la scène électorale ne s’atteindront pas sans un peuple qui puisse être activement mobilisé autour d’objectifs communs dans tous les domaines de son existence.

Ce n’est donc qu’en s’appuyant sur ces deux pieds –celui des urnes et celui de la rue— que QS aura quelque chance d’avancer dans la bonne direction. À oublier cela, il risque bien à l’avenir d’être condamné à douloureusement à claudiquer. N’est-ce pas ce que cette entrevue devrait nous rappeler ?

Pierre Mouterde
sociologue, essayiste
Québec,

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

Messages

  • Très bonne réflexion Pierre,
    J’ajouterais une question au paragraphe suivant :
    « on risque de définitivement enfermer QS dans les travers de l’électoralisme ou de la politique spectacle dont tant de partis de gauche (Syriza, France insoumise, Podemos) ont si durement pâti ces dernières années. »

    Quels seraient les indices actuels démontrant que QS n’est pas sur la voie des Syriza, FI ou PoDemos ?

    Personnellement, je n’en voit pas.

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