Édition du 26 mars 2024

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Planète

Sortir du système agroalimentaire extractiviste, destructeur de l’environnement et de la santé

L’extractivisme est le pillage des ressources naturelles, communes à nous tous, par les actionnaires des multinationales, avec en prime la destruction des écosystèmes. Minerais, énergies fossiles, poissons, forêts, terres fertiles, eau douce, climat existent pour le bien-être de tous les êtres vivants, Bruno Latour parle des Terrestres. La privatisation de ces ressources pour le profit de quelques-uns est une dépossession, un vol, voire une destruction. L’exercice de « droits de propriété » ne peut en aucun cas le justifier.

tiré de : [CADTM-INFO] Palestine, Asie, Grèce, Extractivisme, RDC, Colombie, France...

Si, selon cette civilisation, ils sont légaux, pour la grande majorité de l’humanité, ils sont illégitimes car contraires à l’intérêt général et aux droits de la nature. Cela même si nous, les occidentaux et maintenant d’autres classes moyennes ailleurs, en profitent indirectement. La majorité des habitants de la planète n’y ont pas ou peu accès quand bien même, ces ressources seraient extraites sur leur territoire de vie. N’oublions pas que 80 % des ressources communes sont utilisées par 20 % de la population.

Au-delà de ce vol, ce que l’on nomme les externalités négatives - pollutions, casses environnementales, destructions diverses, pertes de territoires pour les populations, travail sous-payé résultant de ces pillages - sont mises à la charge de la nature et de l’ensemble des peuples. L’accumulation des profits capitalistes résulte de cette double action : privatisation de la ressource commune, et mise en commun de l’ensemble du négatif : dérèglement climatique, pollutions, déforestation, pertes de territoires, etc.

Doit-on se sentir responsables de polluer et de réchauffer en utilisant une voiture pour aller au supermarché et au travail ? Responsable oui, car le résultat multiplié par 1 ou 2 milliards de véhicules est dramatique en terme de réchauffement aussi bien pour le futur des enfants que celui de la nature, le biotope des Terrestres. Mais rien n’est organisé pour qu’il en soit autrement, coupable, non. Et pourtant... En France, l’absence, la disparition ou la privatisation des transports collectifs existants, la non relocalisation des productions, la désorganisation du territoire en général par la centralisation et la diminution des services publics de proximité participent à la catastrophe climatique et environnementale.

Pourquoi parler de système agroalimentaire extractiviste ?

La nature est autonome. Elle n’a pas besoin de nous pour exister. C’est par la biodiversité végétale et animale qui réussit cet exploit. La forêt en est un exemple parfait : pas d’irrigation, pas d’engrais, pas de machinisme. Une production de biomasse bien supérieure au meilleur champ de maïs irrigué, engraissé et empoissonné qui tue les insectes et les oiseaux et abîme la santé des humains. Les mono-cultures, et les mono-élevages sont à l’opposé de l’écosystème forestier. De nombreuses béquilles leurs sont indispensables.

Sans l’extraction du pétrole et du gaz, sans l’industrie chimique, les engrais azotés et les pesticides, sans l’extraction de la potasse et du phosphate, ressources non renouvelables, et sans la consommation, la pollution croissante d’eau douce et les robots agricoles énergivores, les terribles monocultures, comme les déserts verts de soja, ne seraient pas possibles.

Sans les immenses accaparements de terres et déforestations, le soja OGM
 d’Amérique du sud n’inonderait pas l’Europe. En autonomie, notre continent produirait la moitié ou peut-être moins, de lait et de viande. Ce qui serait encore bien suffisant pour nous nourrir et éviterait beaucoup de gaspillage énergétique, de terres et d’aliments. Les prix seraient certes un peu plus élevés, mais la nourriture d’une qualité nettement supérieure. Calories vides en quantité et peu chères, ou micronutriments et qualité avec un prix plus élevé, il faut choisir avant que les désastres s’accentuent.

Les surfaces de soja cultivées par le Brésil et l’Argentine sont de 60 millions ha, ce qui représente la moitié de la surface agricole européenne (128 millions ha), deux fois celle de la France 28 mha SAU (surface agricole utile). Sur les 185 millions de tonnes de soja produites dans le monde, la France en importe 4,5 mt, la plus grande part des protéines nourrissant ses animaux d’élevage. Les paysans sans terre, MST, les favelas surpeuplées et ultra violentes sont le résultat de l’accaparement des terres, de la pampa et des forêts brésiliennes par quelques riches exploitants. Et c’est en particulier nous, les occidentaux, qui en profitons depuis quelques décennies. Cela pour nous gaver inutilement de protéines animales aux conséquences dramatiques sur les peuples, l’environnement et notre santé.

Comment ce système agroalimentaire détruit-il l’environnement et le climat ?

Insecticides, fongicides, herbicides, charrues, engins lourds détruisent la vie des sols : la matière organique, la MOS, disparaît, la fertilité naturelle s’amenuise durablement. Les épaisseurs de terres arables se sont dangereusement amincies. Les causes sont connues : la destruction de la vie souterraine. Le labour et les sols mis à nu favorisent l’érosion hydrique et éolienne, cela depuis les années 1950-60. Dans quelques décennies, si rien ne change, il ne restera que la roche mère dans des endroits de plus en plus nombreux. Alors ce sera au revoir l’autonomie alimentaire, bonjour le désert.

Quand demain le pétrole sera trop cher

Sans ou avec très peu d’engrais, pesticides, irrigation, pollinisation et avec des sols morts, comment mangerons-nous ? Le système productiviste et extractiviste est incapable de produire sans béquilles artificielles et importations massives. Par son incapacité à retenir les leçons des effondrements de l’histoire et son absence totale de regards sur l’avenir, il nous prépare les pires famines que le monde ait jamais connues. Pour qualifier cette manière de fonctionner de la « Civilisation », Jérôme Baschet a écrit un livre dont le titre est « Défaire la tyrannie du présent ». Le présentisme résulte de cette recherche de profit immédiat qui recouvre de plus en plus d’activités humaines.

Jean Laherrere et Olivier Berruyer, spécialistes de l’énergie, ont réalisé un graphique dans lequel on voit la courbe de production du pétrole (conventionnel et non conventionnel) en légère baisse, croiser la courbe des découvertes qui, elle, s’écroule complètement en 2020-2025. Quant à la consommation, Le Monde du 17.04.18 titrait en première page : « La demande de pétrole va continuer à augmenter. » Sans nouvelles découvertes cela est pourtant improbable. Ainsi donc la montée des prix est inéluctable mais en plus d’être très forte, elle sera ingérable puisque non préparée par nos décideurs présentistes.

L’agro-alimentaire industriel, totalement dépendant du pétrole pour produire, transformer et distribuer, n’est pas préparé à soutenir un tel choc. Comment l’agriculture conventionnelle surendettée, largement subventionnée, pourra-t-elle continuer à nourrir la population alors que ses rendements sont en baisse tendancielle pour cause de sols appauvris, sans vie et érodés et que le climat est de plus en plus chaotique.

Sachant qu’il faut entre 5 et 15 protéines végétales pour produire une protéine animale, c’est l’ensemble du système de production et du mode alimentaire carné-laitier qui seront durablement bouleversés. Ne pas penser demain c’est vouer les populations urbanisées à des chocs d’une très grande brutalité aussi bien sur le plan physique que psychologique. La résilience, la capacité d’un écosystème ou d’un être vivant à se relever d’un choc prévisible est nettement améliorée si elle a été préparée. Nos gouvernants, comme l’ensemble du système agroalimentaire industriel, sont dans le déni. Tel est le résultat de cette tyrannie du présent qui gouverne le monde. Les décideurs ne veulent pas tenir compte des exemples du passé ni penser le futur. La Res-publica, la chose publique, est devenue, la res-actionnariale, la Ré-actionnaire. Le peuple vote, la finance décide, cela en fonction de profits à très court terme.

Pourquoi l’agriculture industrielle ne prend pas en charge ses nuisances ?

Imaginons que demain un gouvernement courageux décide enfin de faire payer les pollueurs : pour les pesticides et les nitrates, les entreprises productrices et accessoirement les agriculteurs. Le nettoyage de l’eau coûte entre 800 et 2 400 euros par ha en France, dixit Jacques Caplat. Il faut rajouter le prix de la disparition de 80% des insectes, la fin des abeilles à celui de la chute vertigineuse des oiseaux, 30 % ont disparu. Que l’on pense à l’ensemble des maladies induites par les perturbateurs endocriniens issus des pesticides que nous respirons ou mangeons, le total est affolant, non chiffrable mais colossal. Transformer les pollueurs-payés par la PAC, Monsanto-Bayer, Syngenta, etc, en pollueurs-payeurs des désastres qu’ils provoquent permettrait de donner une chance à la vie et à toutes les formes d’agricultures respectueuses du vivant.

Si nous complétons ce tableau par l’impact de l’ensemble du système agroalimentaire sur le climat, évalué par GRAIN, entre 44 et 57% de l’ensemble des émissions de GES - production, transformation, emballage, chaîne du froid, distribution, transport - nous comprenons instantanément qu’il est urgent d’aller vers un modèle permettant de diminuer rapidement et très fortement tous ces impacts négatifs.

Revenons sur la grande question de nourrir la population mondiale et de lui offrir une alimentation de qualité

Cette agriculture nourrit-elle le monde ? Non. Aujourd’hui environ 70 % de la population est encore alimentée par l’agriculture paysanne. De plus, avec le libre échange imposé par les PAS, les plans d’ajustement structurel
, aux pays les plus faibles depuis trois décennies et les subventions accordées aux agricultures des pays les plus riches, cette concurrence déloyale oblige les paysans du Sud à quitter leur territoire vers les bidonvilles. Donc, au lieu de les nourrir elle les affame. Ils se retrouvent sans terres, ni travail. Ce ne sont pas les différents ALE, accords de libre-échange que l’Europe est en train d’imposer aux pays africains qui les nourrira et ralentira les migrations, bien au contraire.

L’agroalimentaire industriel nourrira-t-il le monde dans les décennies à venir, comme il le prétend, pour pouvoir continuer sa folle trajectoire malgré les critiques de plus en plus nombreuses ? Pas plus,voire encore moins, qu’aujourd’hui si elle continue à : déforester, appauvrir les sols, polluer les eaux, imposer des semences clonées ne poussant qu’avec des intrants chimiques et non adaptables à leur environnement, réchauffer la planète, etc.

Comment sortir du système agroalimentaire industriel ? Créer de la résilience face à l’accélération des chocs énergétiques et climatiques ?

Agir collectivement est indispensable. Pour cela une bonne solution est de rejoindre les associations et de participer aux différents combats contre le réchauffement climatique et la destruction de la nature par les actionnaires des multinationales. Il faut aussi renforcer les luttes pour la relocalisation de véritables services publics, pour le maintien ou la réouverture de transports collectifs et locaux à prix abordables comme le train et les bus. Ils émettent 6 à 7 fois moins de CO2 qu’une personne seule en voiture et 10 fois moins que l’avion dont le kérosène n’est pas taxé. Se battre aussi pour l’annulation des dettes comme celle du gouvernement français analysées comme étant illégitimes à 59 % par le collectif d’audit citoyen, le CAC.

Ces dernières sont utilisées pour justifier les politiques d’austérité dont le but est de casser les grandes avancées sociales. Comment cela fonctionne-t-il ? Créer un déficit chronique à la sécurité sociale ou à l’assurance chômage en ne mettant pas les cotisations au niveau des besoins, investir des milliards dans les TGV déficitaires, sous-budgétiser les hôpitaux et les services publics en général, entraînent pour ces services l’obligation d’emprunter sur le marché des capitaux puis de payer des intérêts aux prêteurs. Lesquels, réfugiés dans des paradis fiscaux , ne payent pas d’impôts sur ces revenus versés par les contribuables. Ne pas augmenter le budget des universités quand le nombre d’étudiants croit chaque année est une autre technique.

Après quelques années de matraquage sur les mauvais fonctionnements, les déficits soit-disant structurels et/ou les salariés privilégiés, il devient beaucoup plus facile de proposer aux électeurs naïfs et désinformés de privatiser ces services publics au nom d’une soit-disant efficacité. Résultat, le chacun pour soi : la pauvreté et les inégalités augmentent. Ce qui entraîne, pour un nombre de personnes de plus en plus grand, l’obligation de se nourrir avec de la malbouffe pas chère mais empoisonnée des supermarchés, de prendre sa voiture pour aller travailler et faire ses courses. Mais aussi de ne pouvoir accéder à des soins de qualité et de proximité, de faire disparaître progressivement l’enseignement gratuit pour tous et de ne pouvoir offrir des conseils de santé et alimentation sans conflits d’intérêts, etc.

Il est d’une urgente nécessité de refonder une recherche fondamentale et agricole financée par le public pour qu’elle ne soit plus sous l’emprise des lobbies des pesticides, des semences, des engrais chimiques, du pétrole, des fabricants de machines voire des banques. Qu’elle se mette au service de la santé de la population, du sauvetage du climat et de l’alimentation de demain avant qu’une grande partie de la population mondiale ne puisse plus se nourrir. Que l’agriculture avec des sols de nouveaux vivants et des forêts de feuillus redeviennent les capteurs-stockeurs de CO2, ce qu’ils ont été jusque dans les années 1950-60. Et qu’ainsi ils soient capables de refroidir la planète en réabsorbant une grande part du stock émis par le productivisme agricole et la déforestation depuis les années 1950.

Recréer un système bancaire agissant pour l’intérêt général et contrôlé par les citoyens, au service d’une agriculture écologique. Que le vivant, le climat, la santé priment sur le profit.

Refonder la PAC, la politique agricole européenne qui, par ses subventions, pousse à l’agrandissement continu des exploitations et aux monocultures appauvrissant les sols et préparant la désertification. Lutter pour qu’elle soit au service de la population et non des lobbies déjà cités. Il faut une politique qui privilégie les petites exploitations en poly-culture et poly-élevage. À l’inverse des grandes monocultures qui reçoivent l’essentiel des subventions : 80 % de la PAC va à 20 % des exploitations. Ce qui revient à lutter contre l’accaparement des terres par des entités financières ou de riches exploitants, seuls aujourd’hui capables d’acheter les grandes fermes en monocultures.

Plaider pour une agriculture biologique faisant primer le vivant, la biodiversité et le local sur les transports longues distances des intrants et des produits exotiques ou importés. Que ce ne soit plus le moins-disant social, financier et écologique qui l’emporte sur le climat et la santé des peuples. Développer les expériences et la recherche en permaculture, agroforesterie, culture sur sols vivants.

Sur le plan individuel, il faut changer la manière de se nourrir. En allant vers la simplification des produits achetés, l’abandon des plats préparés en usine, refaire la cuisine à la maison, rechercher le plus d’autonomie alimentaire possible et privilégier les approvisionnements locaux. Il est temps de remplacer les pelouses par des légumes, produire une part de ses aliments, participer à des AMAP, créer des jardins collectifs et de soutenir toutes les mises en commun citoyennes de la production et de la distribution agricole.

Pour les amateurs de viandes et produits laitiers, il serait important de ne plus consommer que ce qui est produit dans des fermes locales n’utilisant aucun intrant, céréales, engrais chimiques et pesticides industriels qui sont en grande partie importés. Ce qui veut dire diviser environ par plus ou moins 10 la consommation actuelle. Passer de 180gr/jour de viande à 20gr, de 100gr de poissons à 10gr, d’1 litre de produits issus du lait à 100gr par jour et d’un œuf par jour à un œuf ou deux par semaine. Un tiers de la population mondiale étant en surpoids ou obèse, il y aurait tout à gagner sur le plan santé.

En 2014, 70 % des surfaces agricoles étaient dédiés à l’élevage. Diminuer très fortement la consommation de produits animaux permettrait de re-forestrer rapidement la planète avec des feuillus diversifiés, grands capteurs de CO2 et non avec des monocultures d’arbres stérilisant les sols. Beaucoup de machines agricoles seraient inutiles et les agriculteurs redeviendraient de réels soigneurs de la terre, et non plus des extractivistes-extractés, saignant la nature.

Comment remplacer ces produits d’origine animale ? Manger plus de végétaux crus et cuits est encore aujourd’hui la meilleure possibilité. Pour que cela fonctionne il faut que leur qualité gustative et leur contenu en micronutriments progresse, que les pesticides régressent. Bien sûr il faut aussi réapprendre à manger des aliments complets et des légumineuses (pois, haricots, lentilles, etc). Diminuer les protéines animales au profit des végétales implique de sortir de l’idée que puissance et santé sont liées à la viande. Notre imaginaire a été colonisé par la communication mensongère de l’agroalimentaire. Sans un engagement volontariste de l’état l’évolution sera trop lente.

Il est important de s’éloigner des mégapoles qui nous rendent dépendants de l’ensemble du système d’approvisionnement pétrolivore (supermarché, déplacements auto, chaîne du froid et, in fine, de l’énergie nucléaire. C’est aussi le bon chemin pour travailler sur la résilience à l’effondrement qui vient. Notre civilisation a beaucoup de difficulté à se transformer pour réduire l’impact des dangers considérables qui s’annoncent. Alors que d’immenses famines sont prévisibles, notre gouvernement envoie l’armée et des blindés pour casser la ZAD de NDDL et déloger quelques centaines de personnes qui réalisaient une expérience divergente de simplicité volontaire et de micro-fermes en construisant un essai in vivo de résilience par l’agriculture et le collectif.

Nicolas Sersiron

Nicolas Sersiron

Ex-président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme » Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD. Il donne régulièrement des conférences sur la dette.

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