Édition du 23 avril 2024

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Livres et revues

Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois – Mesurer la résistance de la classe dominante... et la détermination nécessaire à la mobilisation citoyenne

Faire un commentaire de lecture sur le livre paru récemment de Gabriel Nadeau-Dubois « Tenir tête » (Lux Éditeur, 2013, 222p.), pour une personne extérieure au mouvement étudiant peut être hasardeux. Jugement à l’emporte-pièce ou lecture a-critique, les dangers d’un commentaire hors contexte sur le mouvement du printemps 2012 est toujours présent. « Tenir tête », c’est un point de vue par l’un des acteurs central de cette mobilisation. Ce n’est pas LE bilan de l’événement mais ça apporte un angle de l’intérieur qui permet d’apprécier une certaine lecture des événements. Mais le livre ne contient pas que des commentaires sur la lutte en 2012 mais aussi sur ces conséquences récentes, sur les répercussion de cette mobilisation sans précédent sur la politique au présent qui sont parmi les plus intéressants. Ce sont peut-être ces premiers enseignements qui sont les plus forts du bouquin. Voici quelques-unes de mes impressions après une première lecture.

Construire la mobilisation

Premier constat : l’auteur n’insistera jamais assez pour souligner que la mobilisation du printemps 2012 est l’aboutissement de plusieurs mois de préparation : formation, discussions, production de matériel militant, etc. (pp. 36-37 notamment). Les auteurs du livre « De l’école à la rue » (Renaud Poirier-St-Pierre et Philippe Ethier, Écosociété, 2013, 218 p.) faisaient le même constat. La volonté des militantEs de l’ASSÉ de mobiliser contre la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest s’est traduite par des gestes qui allaient tous dans le sens d’une mobilisation de masse et unitaire. CertainEs dirigeantEs des centrales syndicales devraient en prendre bonne note. La mobilisation est possible lorsque l’on met l’épaule à la roue, lorsqu’on y croit sincèrement et que l’on y consacre l’énergie nécessaire. Ça n’assure pas la victoire mais ça la rend possible.

La question de la démocratie et de la délégation de pouvoir ont aussi été au centre des débats durant la mobilisation. Les porte-paroles de la droite et du gouvernement ont matraqué que ce n’était qu’une façon de se défiler pour le mouvement étudiant. On utilisait toutes sortes d’artifice démagogiques pour jeter le blâme sur les associations étudiantes et le prétendu déficit démocratique du mouvement. L’exemple du vote à main levée est significatif pour faire la démonstration de l’hypocrisie des haut-parleurs de la droite (une simple vérification aurait permis de constater que le PLQ procédait de la même façon dans ses instances, le conseil général qui s’est tenu à Victoriaville sur fonds de répression violente par exemple). L’auteur montre comment il fut à l’occasion difficile de manoeuvrer entre les mandats impératifs et les exigences des relations avec les médias, les séances de négociations, etc. L’auteur parle de la position fil-de-feriste (p. 120) pour illustrer la faible marge de manoeuvre que possédaient les éluEs de la CLASSE par rapport à la base. On pourrait n’y voir que des contraintes. Cependant, il faut comprendre qu’il s’agit fort probablement d’un sain réflexe face aux innombrables reniements des éluEs politicienNEs et d’une société qui n’a qu’une pâle version d’une démocratie à offrir.

Les élites se mobilisent

Les mobilisations du printemps 2012 ont fait la démonstration de la capacité de mobilisation des élites et de leurs porte-valises. Il faut prendre bonne note de cette capacité de mobilisation de l’oligarchie. Il faut constater qu’en cas de danger pour leurs privilèges, tout ce qui vient entraver leur agenda sera impitoyablement réprimé. La classe dominante possède une conscience aigüe de ses intérêts, surtout en période de crise sociale. Elle fait alors fi de ses divergences internes pour se regrouper autour de la stratégie perçue comme la plus à même de pacifier le mouvement, de le canaliser vers des voies cul-de-sac ou compatibles avec les intérêts supérieurs de la classe dominante. Les acteurs et actrices de la lutte contre la filière pétrolière et les énergies fossiles peuvent ainsi s’inspirer de l’expérience étudiante sur les obstacles qui se dressent et se dresseront devant elles et eux dans les prochaines semaines. L’élite ne lâche rien qui pourrait rapporter un juteux profit. Or, de tels profits dorment dans notre sous-sol et il est convoité par cette fraction de la bourgeoisie la plus avide : le lobby des énergies fossiles canadiennes. Mesurer la résistance de l’opposant doit faire partie d’une stratégie que les mouvements sociaux doivent adopter pour mobiliser, pour formuler les bons mots d’ordre, attaquer les points faibles, etc. Les étudiantEs en ont fait la douloureuse découverte en se frottant avec courage à la détermination du gouvernement Charest et de ses sbires.

Une critique profonde des médias

Si Simon Tremblay-Pepin a récemment publié un ouvrage sur les médias (Illusion : Petit manuel pour ue critique des médias, Lux éditeur, 2013, 150 p.) dont le cœur consiste à brosser un tableau des approches théoriques de l’étude des médias à partir des travaux de différents intellectuels de gauche, Gabriel Nadeau-Dubois en fait une démonstration à partir des luttes concrètes.

Le rôle des médias est particulièrement décrite avec soin à toutes les étapes de la mobilisation. De façon générale, les médias, de Quebecor ou des Gesca, se sont fait les relais du discours du gouvernement Charest, souvent en y ajoutant la touche de mépris pour entretenir le discours sur les enfants-roi, sur les privilégiés de l’université, etc. Toutefois, l’ampleur de la mobilisation a fait en sorte que quelques chroniqueurs ont exprimé une certaine solidarité avec le mouvement sans que la ligne éditoriale ne dévie de son orientation pro-gouvernementale. Il souligne notamment l’incapacité d’une grande majorité des journalistes et du personnel des médias à comprendre le sens de la démocratie directe, trop intégrés qu’ils et elles sont à la procédure du dirigeant éclairé qui dirige ses troupes et qui peut les amener où bon lui semble. La plupart des commentateurs ont fait preuve de mépris envers une approche qui se souciait avant tout d’assurer l’intégrité des mandats et des délégations, à ne pas reproduire les pires dérives de la démocratie bourgeoise formelle où les éluEs aussitôt en charge se font un devoir de renier leurs engagements.

Des zones d’ombres...

La principale lacune du livre demeure comme de la littérature qui est parue depuis la fin de la grève se situe dans le presque omerta sur les débats qui ont traversé la CLASSE avant et durant la mobilisation. On sent que l’auteur dévoile certains détails mais rien sur les positions qui se sont confrontées lors des congrès de la CLASSE ou dans les assemblées générales des associations locales. Il affirme qu’il « appartenait à une tendance politique à laquelle des militants ont reproché son pragmatisme, son souci de l’image publique » (p. 17). Ça en dit peu sur ce qui définissait cette tendance. Plus loin, il mentionne « N’en déplaise aux membres des franges les plus radicales du mouvement, je crois que notre printemps allait au-delà d’une confrontation traditionnelle entre la gauche et la droite » (p. 207). Pour comprendre ce qui définissait son courant et les autres qui ont animé les débats durant la mobilisation, sans parler des collectifs qui ont soutenu dans la société civile la mobilisation étudiante (les Profs contre la hausse, Mère solidaires et en colère, les casseroles, etc.), bien peu d’informations permettent de comprendre la dynamique des débats pour quiconque n’a pas eu l’occasion d’assiste aux congrès de la CLASSE et de ses associations membres. En fait, la littérature parue jusqu’aujourd’hui ne permet pas une lecture éclairante sur le sujet et c’est une lacune qu’il faudra bien combler un de ces jours.

Toutefois, il faut bien mesurer l’importance de ce type de publication pour assurer la mémoire collective des luttes qui parsème le long chemin de la remobilisation de la société québécoise. Le bilan n’est jamais totalement complet mais le livre de Gabriel Nadeau-Dubois en est surement une composante importante.

...et des passages lumineux

Plusieurs leçons peuvent être tiré d’ores et déjà à la lecture du livre. L’une des plus intéressante dans le contexte actuel concerne le débat sur la Charte des valeurs québécoises et la laïcité qui a court actuellement. C’et toute une leçon servit aux maitres de l’interdit et des codes vestimentaires en ce qui concerne les enjeux d’intégration des nouveaux et nouvelles arrivantEs. Laissons l’auteur raconter :

De toutes les rencontres qu’il m’a été donné de faire durant cette grève, une m’a particulièrement marqué et illustre bien ce que je tente d’expliquer. Pendant la manifestation du 22 mai, une jeune fille d’environ 18 ans s’approche de moi et me tend la main. Elle me regarde droit dans les yeux et dit : « Merci Gabriel. Merci à vous tous. Vous avez fait de ma mère une québécoise ! » Je lui souris un peu machinalement, mais rapidement ce qu’elle me raconte capte mon attention : « ça fait quatre ans qu’on est au Québec, ma mère et moi, mais ma mère n’avait jamais vraiment quitté notre pays ; elle ne lisait que les journaux libanais, ne regardait que la télévision libanaise. Dans sa tête, ce qui se passait au Québec, ce n’était pas de ses affaires, ça ne la concernait pas. Et puis, elle n’y comprenait rien de toute façon. » Puis, les yeux brillants, elle m’explique que le conflit étudiant a tout changé : ma sœur et moi, on portait le carré rouge et on allait manifester tous les soirs. Elle n’a pas vraiment eu le choix de s’intéresser à ce qui se passait. » Elle ajoute que peu à peu, sa mère s’est mise à lire et à écouter presque frénétiquement tout ce qui s’écrivait et se disait au sujet de la grève étudiante. Que chaque soir, elle assaillait ses filles de question sur l’évolution du mouvement : date d’assemblée, décisions du congrès de la CLASSE, elle voulait tout savoir. Puis, un soir, après une discussion animée sur le sujet, elle s’est écrié : « Mais c’est pas ce qu’on veut. Nous, au Québec, on veut une éducation accessible ! » La jeune fille me regarde droit dans les yeux, radieuse : » Nous, au Québec ! Je n’avais jamais entendu ma mère dire un truc comme ça... La grève l’a rendu québécoise. » (p. 209-210)

Gabriel Nadeau-Dubois, Tenir Tête, Lux Éditeur, 2013, 222 p.

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