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Environnement

Trains ou pipelines ? Les deux, malheureusement...

Pierre Ross, recherchiste à Nature Québec

9 juillet 2013

En 2011, aux États-Unis, le nombre de wagons transportant des produits
pétroliers a augmenté de 44 % par rapport à
l’année précédente. De 2008 à 2012, il est
passé de 9 500 à 97 000 wagons. Au Canada, entre 2009 et 2012, on
est passé de 500 wagons de brut à 130 000. Pourquoi ce retour
aussi fulgurant que soudain du transport pétrolier par trains, alors que
tous les yeux sont tournés vers la construction de pipelines ?

La réponse se trouve dans le pétrole de schiste, principalement
celui du bassin Bakken au Dakota du Nord. L’exploitation de ce
pétrole léger a fait du Dakota du Nord le deuxième
producteur du pays, devant l’Alaska. Ce pétrole est loin du
réseau de pipelines, conçu pour relier les secteurs de production
du Texas, de l’Oklahoma et autres, et les centres de consommation
à l’ouest et au nord-est des États-Unis. Il y a très
peu de pipelines au Dakota, mais comme c’est traditionnellement un
important producteur de bœuf relié aux marchés de
l’est par trains, le Dakota a beaucoup de voies ferrées. Au
début du 20e siècle, cet état disposait de trois plus de
voies ferrées par habitant que le reste du pays. Encore
aujourd’hui, il en compte 3 700 km, et on remet en service
d’anciennes lignes ferroviaires.

Plus de la moitié de la production du Dakota est transportée par
rail. À la fin de 2012, 800 000 barils/jours de pétrole de Bakken
prenaient le train, dix fois plus qu’en août 2011. Une entreprise,
BNSF Railway, a vu en cinq ans la part des produits pétroliers augmenter
de 7000 %. Deux acteurs majeurs, l’Union Pacific et le Canadien National,
sont dans la course. Le transport de produits pétroliers occupe une
place relativement petite dans tout le transport ferroviaire, probablement au
tour de 5 %. Mais c’est celui qui grossit le plus rapidement et il est
très rentable.

L’histoire de la production pétrolière américaine et
celle du chemin de fer vont de paire. Le chemin de fer a permis à John
D. Rockefeller de développer Standard Oil. Son monopole sera
ébranlé à partir de 1879 avec le succès du premier
pipeline en Pennsylvanie. Le transport par pipeline est moins dispendieux que
le transport par train. Est-ce dire que le Dakota de Nord est voué
à terme à se convertir aux pipelines ? Rien n’est moins
sûr. Pour l’instant, les prix élevés du brut de
schiste permettent de se payer le train. Mais il y a autre chose.

Les bassins de pétrole de schiste ne se comportent pas comme les
réserves de pétrole traditionnel. Ils sont plus difficiles
à évaluer à long terme. Ont-ils une rentabilité
passagère ? Seront-ils là dans 30 ans ? Les conséquences
écologiques auront-elles raison de ce type d’exploitation ? Cette
relative précarité retient d’éventuels investisseurs
d’aller de l’avant dans la construction de pipelines, des projets
coûteux dont la rentabilité dépend de la
pérennité des oléoducs.

Le chemin de fer est plus flexible que le pipeline. Les grandes raffineries
côtières sont plus rapidement atteignables. Les producteurs du
Dakota peuvent plus rapidement changer de clients, au gré des prix pour
maximiser les revenus. Et, il faut le dire, pour plusieurs compagnies de chemin
de fer, le pétrole est une bouée de sauvetage et elles
n’ont pas l’intention de regarder passer le train. All abord !

Et les sables bitumineux ? Ont-ils un avenir plutôt pipeline ou
plutôt wagon ? Comme la capacité des pipelines dépasse de
beaucoup la capacité du transport par rails et que le Canada veut en
arriver à extraire 5 millions de barils/jour, le pipeline est
avantagé. Mais le transport par wagon ne nécessite pas de diluer
le bitumen avec du condensat importé, contrairement au transport par
pipelines. Cet avantage pourrait réduire le coût du transport par
rails et pourrait devenir une alternative en cas de baisse des prix du brut.

On pourrait donc se diriger vers un débat de relations publiques
opposant les entreprises de chemin de fer aux propriétaires
d’oléoducs, chacun ventant les mérites de son
système tout en décriant l’autre. Les tenants des
oléoducs peuvent avancer que leur réseau est enfoui, loin des
habitations et des dangers de collisions. Les autres pourront affirmer que
comme le pétrole se retrouve dans des milliers de wagons au lieu
d’être dans un seul pipeline, les rares déversements par
wagons sont moins dommageables que les déversements de pipelines. Quoi
qu’il en soit, c’est probablement un faux dilemme. Tant que le
pétrole de schiste restera loin des pipelines, il continuera à
être déplacé par trains. Nous n’assistons pas
à un choix entre deux façons de transporter le pétrole,
mais à une juxtaposition de deux systèmes. Nous ne sommes pas
devant un choix entre un ou l’autre, nous sommes devant la
réalité de devoir vivre avec l’un et l’autre. Et les
deux sont dangereux.

Sources principales

LAGESSE, David, 2012. Oil Train Revival : Booming North Dakota Relies on Rail to
Deliver Its Crude. National Geographic News, 30 novembre 2012. [En ligne]

http://news.nationalgeographic.com/news/energy/2012/11/121130-north-dakota-oil-trains/

LAVELLE, Marianne, 2013. Oil Train Tragedy in Canada Spotlights Rising Crude
Transport by Rail. National Geographic News, 8 juillet 2013. [En ligne]

http://news.nationalgeographic.com/news/energy/2013/07/130708-oil-train-tragedy-in-canada/
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