Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le modèle économique de la CAQ

Une croissance verte sous le contrôle des multinationales étrangères

Le premier ministre François Legault se disait ému d’annoncer le plus grand investissement privé dans l’histoire du Québec, celui de la compagnie suédoise Northvolt. Il faut dire que les gouvernements fédéral et québécois lui avaient construit un pont d’or subventionnant cette entreprise à la hauteur de 7,3 milliards de dollars et ce n’est qu’un début, nous prévenait Pierre Fitzgibbon. D’autres milliards sont également prévus pour soutenir la filière batteries. [1] Le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario avaient d’ailleurs déjà offert une subvention de 16,3 milliards de dollars pour favoriser l’installation de la première usine nord-américaine de batteries pour véhicules électriques de Volkswagen en Ontario. [2].
Le développement de la filière batteries, et la hauteur des subventions, pour favoriser sa croissance, est l’expression du développement d’un nouveau modèle économique pour le Canada et le Québec reposant sur le renforcement des liens de dépendance avec l’économie américaine. Il est particulièrement important de chercher à comprendre les tenants et aboutissants de cette politique économique et pourquoi, elle ne répond en rien à l’urgence de la crise climatique, mais va directement à l’encontre d’une lutte conséquente contre cette dernière.

1. Les caractéristiques du nouveau modèle économique pour le Québec

Ce modèle se donne comme objectif de satisfaire aux besoins en énergie et en composants batteries des grandes entreprises américaines, particulièrement les entreprises de l’automobile, pour qu’elles soient en mesure de confronter la compétition des entreprises chinoises tant en ce qui a trait à la production de minerais stratégiques, de batteries ou de voitures électriques. L’objectif des grands de l’auto, comme GM, Ford, Stallentis et Vokwagen, en autres, est de convertir le parc des automobiles thermiques en voitures électriques, d’en vendre le maximum, à fort prix, y compris avec l’aide des gouvernements pour ce faire.

Le Québec dispose de ces matériaux stratégiques : cobalt, coltan, cuivre, graphite, lithium, zinc, nickel et terres rares. Depuis quelques mois, on a assisté à la multiplication de claims miniers sur le territoire du Québec, facilitée par la Loi des mines que donne nombre de droits aux minières et aux spéculateurs. On compte désormais (en 2022) plus de 20 000 titres miniers dans sept régions du sud du Québec, dont 7 674 titres miniers dans trois régions du sud-est du Québec en date de novembre 2022 : Estrie (1 739), Bas-Saint-Laurent (1 242) et Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (4 693). Plus de 15 000 titres miniers ont été répertoriés dans le sud-ouest du Québec en août 2022 (Laurentides, Lanaudière, Mauricie et Outaouais) [3]. Ces minières sont souvent des multinationales étrangères comme la minière Sayona Mining ou la minière américaine Piedmont Lithium ou Vale, multinationale brésilienne…

Le Québec dispose également d’énergie électrique et ce potentiel peut être considérablement augmenté. Il peut être augmenté à court terme par la multiplication de mises en chantier d’éoliennes par différentes multinationales répondant à des demandes d’Hydro-Québec et à plus long terme par la mise en chantier de vastes barrages hydro-électriques comme l’a annoncé à plusieurs reprises le premier ministre Legault. La renégociation avec Terre-Neuve-et-Labrador du contrat de Churchill Fall s’inscrit dans cette même logique des besoins en hydro-électricité. [4]. L’heure est donc dans ce modèle économique au renforcement des capacités de production d’électricité pour satisfaire les besoins des industries de la filière batteries et pour augmenter l’exportation directe de cette énergie pour les multinationales de l’automobile aux États-Unis et pour faire du Québec selon l’expression du premier ministre, la batterie de l’Amérique du Nord.

La critique de la croissance verte

François Legault a beau prétendre que les environnementalistes doivent saluer son engouement pour la filière batteries et l’augmentation de la production de l’énergie électrique, son modèle économique va à l’encontre des nécessités posées par la lutte aux changements climatiques et à la protection de la biodiversité.

Legault et Fitzgibbon font fi de la nécessité de tenir compte des limites de la planète et de veiller à l’économie des ressources et de l’énergie. Ils refusent d’opérer une transformation radicale des formes que prend la mobilité. En 2021, le gouvernement Legault dépensait encore deux fois plus d’argent pour le réseau routier qu’en transport collectif. En 2022, l’argent du PQI pour le transport collectif diminuait encore : « Loin d’atteindre la moitié, les investissements en transport collectif représentent donc 30,4 % des dépenses dans les transports, contre 31 % dans le PQI 2021 et 34 % dans le PQI 2020. » [5]

C’est là la manifestation du refus du gouvernement de sortir du paradigme de l’autosolo comme principal instrument de la mobilité. Ce choix favorise l’étalement urbain, l’effritement des terres agricoles sacrifiées à la construction de nouveaux quartiers. La filière batterie gruge les terres agricoles et cela ne fait que commencer à cause de la recherche des minerais stratégiques particulièrement le graphite dans le sud du Québec. [6]. La Commission pour la protection des terres agricoles du Québec a accordé 100 % des demandes des minières d’exploitation en milieu agricoles et 97 % des projets d’infrastructures liées au transport et à la production d’électricité et 99 % des demandes d’implantation des parcs éoliens sur les territoires agricoles. [7]

Pour limiter la pollution et le changement climatique, le premier levier est la limitation des déplacements et l’utilisation en priorité les transports en commun, du vélo et le partage les véhicules. Et seulement en dernier ressort, agir sur l’efficacité technique des véhicules. Mais le passage à l’utilisation des transports en commun, implique de rendre le transport public possible, efficace et gratuit. La production d’un nouveau parc de voitures électriques par les multinationales de l’automobile vise à produire plus, pour vendre plus et empocher le maximum de profits. On est loin de la nécessaire réduction du parc automobile comme l’a évoqué le ministre Fitzgibbon. On est en fait engoncé dans une dynamique tout à fait contraire.

Mais la dimension anti-démocratique de la croissance verte promue par le gouvernement de la CAQ et le gouvernement Trudeau, n’est en rien secondaire. La multiplication des claims par les minières en territoires citoyens montre que les droits des minières ont la préséance sur les plans d’aménagement des territoires des villes et des Municipalités Régionales de comté (MRC). Le développement des mines et des entreprises par les multinationales risque de se faire aux dépends du contrôle citoyen sur leur territoire. Le cas de Northvolt est exemplaire à cet égard. Alors que cette entreprise a été arrosée par des milliards d’argent public, le premier ministre Legault a affirmé que cette compagnie n’aurait pas à passer par une procédure environnementale impliquant un examen du BAPE. [8] Le gouvernement refusait par là d’évaluer les effets d’ordre climatique, l’incidence sur la santé publique et les conséquences sur les milieux naturels et la biodiversité. Devant le nombre des critiques le gouvernement de la CAQ semble aujourd’hui hésité. Mais c’ette tout la logique de faire vite et de pouvoir faire face à la compétition internationale, le danger des raccourcis et de concevoir la parole citoyenne comme un frein à réaliser des affaires lucratives, la défense de la démocratie citoyenne sera plus nécessaie que jamais.

3. Proposer un modèle économique qui tienne compte de l’urgence climatique et de la démocratie citoyenne.

Une véritable démocratie où la majorité populaire peut faire les choix économiques et écologiques nécessaires à la satisfaction des besoins et à la protection de la nature passe par une rupture radicale avec le pouvoir d’une minorité de possédants. Cela passe également par la nationalisation des ressources naturelles minières et forestières et par la déprivatisation des énergies renouvelables. Ce sont là des conditions de la planification et de l’autogestion responsable des ressources et de l’énergie.

Il faut dire non aux subventions aux multinationales. L’argent public doit être dépensé pour répondre aux besoins de la population en matière d’énergie et de services. Les investissements massifs dans les services publics de santé et d’éducation comme le réclament les travailleuses et les travailleurs de ces secteurs, qui emploient particulièrement des femmes, seraient beaucoup plus profitables pour l’ensemble de la société québécoise que de déverser des sommes considérables sur des multinationales de la production de la filière batteries dont les activités visent essentiellement à accumuler du capital.

Au lieu de développer de plus en plus la production et les dépenses en énergie, il faut veiller à donner la priorité à l’économie d’énergie dans le domaine bâti, dans les secteurs industriel, commercial, institutionnel et résidentiel, et pour cela, en finir avec les ententes d’Hydro-Québec avec Énergir. S’il faut accélérer l’utilisation des énergies renouvelables, ce n’est pas pour en confier la production aux multinationales de l’éolien pour des besoins des multinationales de la filière batteries. C’est pour opérer au plus vite une sortie des énergies fossiles pour satisfaire aux besoins de la majorité de la population.
Il n’y aura pas une véritable économie d’énergie dans le domaine de la mobilité sans diminution de l’utilisation de l’autosolo comme moyen de transport privilégié et sans créer les conditions d’un transport collectif gratuit comme moyen principal de mobilité.

La réalisation d’une véritable souveraineté alimentaire exige qu’on en finisse avec les attaques contre le territoire agricole. Il faut soutenir le passage à une agriculture écologique de proximité et accompagner les producteurs et productrices agricoles vers la sortie d’un agriculture exportatrice centrée sur la production carnée.

La planification écologique de l’économie qui permettra la sobriété dans l’utilisation des ressources naturelles et de l’énergie passe par la nationalisation et la socialisation des ressources naturelles et énergétiques, bases de l’implication citoyenne dans les choix économiques nécessaires pour faire face à l’urgence climatique.

Le modèle économique de Legault et Fitzgibbon ne vise pas à répondre aux besoins de la majorité populaire du Québec. Il cherche à faire du Québec une terre d’investissement profitable pour les multinationales dont la classe dominante d’ici espère en recueillir certaines retombées, en réléguant au dernier de ces soucis la nécessité de répondre à la crise climatique qui ne cesse de se manifester de façon toujours plus dramatiques.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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