Édition du 7 mai 2024

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Ce qui pourrait nous lier

Québec solidaire, Ce qui nous lie, Écosociété, 2021. Notes de lecture

Si on veut mettre en avant un projet pour l’indépendance, un projet fondamental politique, il y a deux conditions sine qua non pour le rendre crédible. Il faut que ledit projet soit construit en concertation explicite avec les communautés racisées, et dessiné en négociations "de-nation-à-nation" avec les communautés des Premiers peuples. En ce sens, l’essai collectif n’atteint pas réellement sa cible.

Avec la sortie du livre « Ce qui nous lie » [1], Québec solidaire (QS) présente un texte qui donne les grandes lignes de son projet pour créer un pays. Présentant des chapitres écrits par tou.te.s ses député.e.s à l’Assemblée nationale, le livre qui sera sans doute vu par les médias, et vraisemblablement par une bonne partie de l’électorat, comme le document-source de sa plateforme pour les élections du 3 octobre de cette année.

Dans l’introduction du livre, le porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois (GND) a raison de cerner un sentiment d’inquiétude chez une « génération paradoxale ». Comme il le dit, les gens savent « que tout doit changer » parce que « le système actuel nous mène dans un mur écologique et social ». Paradoxale, parce que « les moyens concrets » pour surmonter ce mur ne semblent pas évidents. GND cite les crises manifestes des changements climatiques aux effets dramatiques, et les coûts économiques et sociaux d’une pandémie interminable.

Le monde regarde, autour du « chez nous », un déluge de revers et de pertes liées à la pandémie. La dépossession violente en cours des peuples autochtones pour construire des pipelines dans un contexte de dégradation du climat ; le refus de conserver les aires protégées et la faune essentielles aux communautés autochtones, avant les objectifs financiers des compagnies forestières ; les milliardaires qui lancent leur nouvelle frontière spatiale tandis que des millions de personnes sont atteintes et mortes de COVID-19. Pendant la pandémie, les travailleuses et travailleurs racisé.e.s fournissent la main-d’œuvre bon marché au système de soins, à la transformation des aliments, et aux services essentiels quotidiens en tous genres, des champs agricoles et commerces aux entrepôts et transports commerciaux.

Crises et effets multiples bien reconnus

On peut s’entendre pour dire que, pour le Québec dans une année électorale, le texte de GND et ses collègues député.e.s aborde avec ferveur plusieurs facteurs d’importance pour la population. GND fait attention à plusieurs éléments qui s’avèrent doublement problématiques – des torts qui nuisent au bien-être de la collectivité, et en même temps qui freinent l’intérêt de plusieurs communautés envers le projet de l’indépendance. Les auteurs.trices s’y attaquent au long des différents chapitres, dans leur discour : le creusement des inégalités économiques et sociales ; le triste sort de l’environnement laissé entre les mains du Canada ; les « pouvoirs publics [qui] s’érodent face à la puissance tentaculaire des multinationales ».

Crise de confiance

Mais c’est précisément en abordant les questions fondamentales « nationales » que l’œuvre trébuche. Le projet, dans son ensemble, ne donne pas l’impression que ses auteurs.trices comprennent la crise de confiance totale des peuples autochtones au Québec. Crise de confiance devant toute autorité gouvernementale et parti politique parce qu’aucun ne met de l’avant une proposition sincère d’autodétermination sur leurs territoires, ni du contrôle de budgets adéquats à la prestation des services en logement, en eau, en éducation, en infrastructures vitales et en appui aux emplois pour leurs populations.

Dans ce sens, le texte de QS ne présente dans ses pages aucun aperçu des transformations de conscience et de partages économiques qui seraient nécessaires à la réalisation d’un vrai partenariat entre le Québec et les Premiers Peuples.

De la même manière, le texte ne réussit pas à exprimer le déficit de confiance des communautés racisées — confiance que les institutions politiques québécoises peuvent, ou veulent, répondre à leurs réalités. Comment, dans un livre qui appelle à un nouveau pays conçu « pour tous ses peuples », ne pas parler de l’exploitation systémique racisée, construite sur la marginalisation économique et sociale, et des multiples dimensions de cette marginalisation au sein des institutions, y compris dans les partis et groupes politiques ? On ne voit pas dans ce livre une appréciation du racisme implacable qui met les personnes racisées dans les emplois les plus précaires, qui les soumet à des systèmes de surveillance et carcéraux qui les menacent maintes fois plus que la population majoritaire. On ne démontre pas que QS tire leçon des rapports Viens et FFADA (Femmes et filles autochtones disparues et assassinées), dont les conclusions démontrent que le génocide opère toujours pendant que l’on ne voit pas de moindre mise en œuvre des recommandations de ces rapports.

Bien sûr, les chapitres expriment une sympathie pour le sort des peuples autochtones et racialisés (il y a des contributions de deux membres autochtones). Les député.e.s parlent « des rapports marqués par le colonialisme ou l’inégalité », et aussi de la nécessité « d’entrer dans un rapport de responsabilité et de protection à l’égard du territoire ». Ils et elles regrettent la perspective « de n’y voir qu’un stock de ressources à exploiter dans le mépris de la vie qui l’habite ».

Mais, il faut admettre que rien dans le texte ne permet d’expliquer les sources de la création de « l’autre » à travers l’histoire du capitalisme racial du Québec. Le Québec, pays qui, comme le Canada, s’est érigé sur les bases de grands écarts entre la population privilégiée et les classes défavorisées si facilement par ces moyens rendus plus utiles, plus profitables au capital.

Des questions nationales à mieux creuser

Il n’est pas adéquat de se dire en attente de « l’émergence d’une république libre, forgée en partenariat avec les peuples autochtones du Québec » sans soumettre à son public une feuille de route, fût-elle générale, de comment on pourrait arriver à un tel partenariat. Laissant de côté qu’il ne s’agit pas des peuples autochtones « du » Québec – la simple « croyance » au « projet d’alliance entre les nations québécoise et autochtones » ne suffit pas. La simple croyance ne suffit pas parce que QS n’a pas d’exemple d’un tel projet d’alliance « de nation à nation » à donner, déjà mis en branle par sa direction.

Le texte ne démontre pas que la direction de Québec solidaire saisit la signification de l’histoire coloniale du Québec, ni de ses séquelles contemporaines, bien que le chapitre sur l’histoire prenne note de l’occupation de la Nouvelle-France par « quelques colons et diplomates » suivie de l’administration d’une colonie, et d’un objectif tout au long d’y « extraire les ressources du territoire américain et en tirer le plus de capital possible ».

Cependant par la suite, dès la rétrocession à l’Angleterre en 1759, on ne voit plus l’expropriation continue des territoires autochtones, le déplacement continu des peuples. On ne parle plus de la construction d’une économie basée sur l’extraction constante des ressources et de la main-d’œuvre de ces territoires. Dans les discussions de l’économie actuelle du Québec, et de son avenir, on ne voit pas d’engagement à mettre un terme à ce modèle extractif, ni d’autre modèle à dessiner.

Le chapitre sur l’histoire coloniale avoue que le chemin du Canada et du Québec « obéit d’abord à des impératifs économiques ». Il trouve que « Le projet politique canadien [mais non pas nommément québécois] inscrit dans sa genèse même » a toujours été « une entité administrative se consacrant à l’exploitation et à l’exportation des ressources naturelles. » L’auteur en arrive au point où il pourrait porter son analyse au niveau contemporain ; mais il hésite, il laisse tomber les implications de cette vocation extractive et génocidaire sur les peuples originaux de ce terrain d’exploitation volé.

L’essayiste bien-aimé Alain Deneault est capable d’aller plus loin. Il veut que le Québec se voie dans son histoire et son « statut objectif ». Dans Bande de colons, il veut enlever du terme son caractère caché : « Le colon, c’est celui qui profite de la colonie, sans en être responsable ». Ce sont les peuples autochtones, dit-il, qui sont les colonisés. [2]

On cherche une réponse au colonialisme de peuplement dans les articles sur les enjeux économiques des autres député.e.s : on parle de fiscalité, de marchés internationaux, de néolibéralisme ; de l’environnement, des régions et de la décentralisation, de culture et de justice sociale – et même de l’avenir. Nulle part trouve-t-on de modèle économique pour ce pays, ni de société à construire sur un modèle donné. Donc, pas de modèle qui nous donne l’espoir, un jour, de nous défaire de notre mode d’exploitation des ressources, des peuples opprimés et dépaysés, des cultures et des vies.

Sans plan économique – on revient au « Nord »

Cela fait longtemps que QS hésite à publier un plan économique. La seule tentative fut le plan de transition « Maintenant ou jamais » de 2018, écrit par des consultants. Ce dernier ne différait pas dans sa conception essentielle du type de Plan Nord / Plan Vert / Le Nord pour tous – lancé au cours des années par à peu près chaque gouvernement québécois. Le plan solidaire s’est engagé à créer des centaines de milliers d’emplois verts, sur la base des « énormes surplus en hydroélectricité » et de la filière du lithium, entre autres éléments et ressources. Tout comme les autres plans officiels, personne n’avait vu au préalable de leur dévoilement public une quelconque concertation avec les nations et communautés du Nord « québécois ».

Mais le Nord, au Québec, constitue la grande base de l’industrie historiquement à la source de l’économie. « Le Nord » est constitué de toute la masse terrestre au nord du 49e parallèle, soit 72 % du territoire aujourd’hui appelé Québec. Un total de 10% du PNB, et de 42% de la valeur des exportations, provient de quatre secteurs seulement : l’hydroélectricité, les mines [3], la foresterie (pâte et papier, bois, construction) et la pêche – qui fournissent une grande partie des revenus de l’État et de l’économie. Cette économie est très dépendante des marchés et de la gestion durable des ressources.

Plus d’un cinquième des peuples autochtones au Québec – quatre des onze peuples autochtones – résident au nord du 49e parallèle. Quelle partie des revenus de ces quatre secteurs rentables vont aux peuples autochtones ? Nous savons que les communautés du Nord sont les plus démunies, en matière d’emplois, de logement de qualité, des services d’éducation et de santé, d’infrastructures et de biens de consommation abordables pour la population autochtone. Il ne serait pas difficile de calculer quelle petite proportion des revenus de ces ressources servirait à transformer les conditions de vie de cette population.

Quel partage ?

Mais au-delà de ce calcul, en regardant les quatre cinquièmes de la population autochtone résidant au sud du 49e parallèle, il est important de se rendre compte que ce sont ces populations originales du « pays » qui occupaient depuis les temps immémoriaux tout « le Québec » en plus du grand nord. Les ressources proviennent soit des terres, des eaux riches, ou des sites habitables. L’immense majorité de ces richesses ont été estorquées aux peuples autochtones depuis l’arrivée des colons et des colonisateurs (francophones, anglophones, allophones). Cette expropriation peut être appelée dans l’histoire du pays le colonialisme de peuplement – et les colonisé.e.s sont les Autochtones de tout le territoire réclamé à travers six siècles par ce pays que nous contemplons se bâtir.

Parlons alors dans notre projet de la revendication autochtone des groupes militants du « Retour des territoires/ Land Back ». Le texte de QS fait mention « des espaces dédiés à l’extraction des ressources au profit des grandes entreprises sans se soucier » et aussi que « la souveraineté doit permettre d’entrer dans un rapport de responsabilité et de protection à l’égard du territoire plutôt que de n’y voir qu’un stock de ressources à exploiter dans le mépris de la vie qui l’habite ».

Mais les terres expropriées ne sont pas que des espaces, et le redressement dû aux Peuples veut dire plus que la simple protection du territoire. Il est temps que QS montre du leadership, en se prononçant sur le retour des territoires, et à quoi ça pourrait ressembler, aujourd’hui.

Il semblerait qu’au minimum, un nouvel accord d’un pays de justice commencerait avec un processus, depuis longtemps nécessaire, mais disons ,dès maintenant, de discussions formalisées, de nation à nation, entre Québec solidaire et les diverses communautés autochtones sur le territoire. Au minimum, on n’a pas à parler d’un « territoire partagé » ; la répartition des territoires qui prévaut aujourd’hui ne se qualifie pas de partage, mais de vol à main armée.

Une partie du texte s’ouvre à l’idée que « La répression ne peut plus être la solution aux enjeux de territoire et de ressources que nous partageons. » Pour être conséquent avec ces mots, QS aurait à s’engager à un programme de concertations avec les représentant.e.s intéressé.e.s, qui pourraient être invité.e.s selon leur propre calendrier, leurs termes, par notre direction officielle.

Il ne s’agit pas de proclamer à la place des personnes autochtones, quelles solutions s’offrent à elles et leurs possibles revendications ; les peuples autochtones se sont toujours démontrés en effet, pleinement capables d’articuler leurs modèles pour l’autodétermination, pour le contrôle de leurs territoires, de leurs services et de leurs domaines.

On voit donc mal comment un parti politique pourrait sérieusement proposer un projet de pays sur le territoire « Kebec », sur l’ Île de la Tortue, sans en même temps annoncer sa proposition de pourparlers avec les peuples autochtones.

Crise pandémique, ravages dévoilés

Étant donné que QS a dépensé une grande partie de ses énergies internes pendant la pandémie à parler de la relance qui sera nécessaire à la population, à sa société et à son économie pour remonter la pente vers une vie plus normale, sinon renouvelée, on ne peut qu’être surpris de voir le peu d’attention accordée à cette question par le livre. Il y a une certaine attention portée aux faiblesses dévoilées par la pandémie dans l’économie productive, aux lacunes d’autosuffisance pour les produits sanitaires ou diverses productions agricoles. Mais au-delà, malheureusement, peu d’attention est accordée aux catastrophes accablantes, aux atteintes à la vie, voire à la survie-même de nombreuses strates de la population.
Pourtant, les chroniqueurs dans les médias ne cessent de parler des inefficacités du système de soins, des carences révélées par les hôpitaux débordés, des CHSLD en détresse, des chaînes d’approvisionnement brisées. Les réseaux sociaux et les institutions de recherche démontrent, depuis le début, le fardeau des impacts disproportionnels sur les classes ouvrières et les groupes racisés. Au début de la pandémie, quand les gens se demandaient pourquoi le virus semblait imparable, les autorités de l’État hochaient la tête en disant : « Nous ne savons pas où se produit la transmission ».

L’évidence a été rapidement accumulée dans les lieux de travail qui présentent d’immenses bassins de propagation – surtout dans les endroits où les standards et les salaires sont les plus bas. Dans les usines et les entrepôts essentiels aux chaînes d’approvisionnement – des aliments, des médicaments et des biens de consommation – se trouvent les personnes les moins protégées, en grande proportion racisées, isolées des standards légaux du système. Dans l’industrie agricole, les compagnies ont demandé aux gouvernements de suspendre les règlements qui limitaient le nombre de travailleuses et travailleurs immigrant.e.s qui pouvaient être admis.e.s au Québec – les seules personnes qui acceptaient (par manque de choix) de travailler dans les conditions ardues à bas salaire, pour assurer l’acheminement des aliments vers nos assiettes.

Ce sont les organisations des travailleuses et travailleurs immigrant.e.s et racisé.e.s qui ont dévoilé les conditions, en conférences de presse et sur les médias sociaux. Des exemples à travers le Québec : ce sont les usines de conditionnement de viande, comme Olymel ; ce sont les entrepôts de Dollarama, des pharmacies et des supermarchés. Les témoignages sont concluants : les gens sont entassés dans des navettes pour se rendre à l’usine ou à l’entrepôt ; sur la ligne, elles et ils sont positionné.e.s épaule contre épaule. Leur équipement de protection individuelle est rare et de mauvaise qualité, avec des gants et des masques distribués qu’une fois par jour. La qualité de l’air est souvent inadéquate. Les personnes blessées n’ont pas de recours au repos ou au travail moins lourd, donc continuent sans aide médicale ni repos à travailler jusqu’à l’épuisement total.

Qui travaille dans de telles usines, entrepôts et magasins au Québec ? Qui travaille dans les services peu réglementés, comme les petites garderies, les magasins et les restos de cuisine populaire, à bas salaires, et encore dans les champs de récoltes saisonnières ? Ce sont en majorité les gens racisés, les sans-papiers, les personnes les moins en position de se faire vacciner, et ayant le moins de choix pour un meilleur emploi. Ce sont les gens qui ont le moins d’accès aux prestations de chômage, aux jours de congés payés, aux soutiens spéciaux comme la PCU (Prestation canadienne d’urgence), sans même parler de l’accès aux vaccins.

Les études, depuis le début, dévoilent les réalités : les femmes autochtones, immigrantes ou racisées sont plus vulnérables aux conséquences sociales et économiques de la pandémie. « Leur accès au marché du travail et leur surreprésentation dans les emplois à risque et faiblement rémunérés soulèvent des enjeux à cet égard ». La proportion de personnes immigrantes parmi le personnel dans les services de soins au Québec est plus élevée que dans l’ensemble des autres professions. Plus de 80 % sont des femmes. « Les femmes noires et philippines sont aussi surreprésentées parmi les travailleuses de la santé de première ligne à l’échelle du pays. En outre, de manière générale, les femmes noires accèdent plus difficilement que les autres Canadiennes à des emplois qualifiés et à une rémunération équitable. » [4]

Un projet destiné à la diversité – dans un cadre limité

Le texte de QS reprend à quelques reprises certaines questions de racisme et d’identité, en lien avec le projet indépendantiste. GND parle du sentiment d’exclusion qui peut saper l’unité essentielle au projet : « Je pense ici bien sûr à ceux et celles parmi nous qui vivent le racisme et à tous les groupes qui, parce que discriminés ou humiliés, ne se sentent pas appartenir à la démocratie québécoise. » Un membre autochtone de QS cite le racisme comme un « exemple particulièrement visible des maux qui grugent notre espace commun ». GND cite des frustrations « identitaires » véhiculées pendant deux décennies par les nationalistes conservateurs : « un piège politique énorme, qui contribue à repousser encore davantage les Québécois et les Québécoises de la diversité ».

Le texte démontre une sympathie envers les gens faisant face au racisme – sympathie et regret pour les divisions sociales engendrées, qui ainsi accentuent un écart entre les populations qui pourraient rejoindre le projet national. On risque de voir les gens « de la diversité » de manière instrumentale – divisions à soigner pour que le projet ne perde pas l’appui potentiel de quelques porte-parole des identités BIPOC.

Ce qui se démontre moins c’est une réflexion plus conséquente, plus tranchée. On se permet de vouloir un discernement de la part de ces leaders de QS que la société et l’économie du Québec ne traîtent pas le racisme systémique comme simple oubli, ou comme option entrepreneuriale, modèle d’affaires du Québec de nos jours – et donc transformable avec la bonne volonté de se comporter autrement.

Le racisme systémique : fil blanc du Québec tissé serré

Pour créer un Québec des peuples, il faut démontrer clairement une compréhension éclairée du rôle du racisme systémique dans notre tissu économique, pour reprendre l’expression de l’une des autrices. Et en même temps, il faut démontrer cette volonté de transformation au sein de nos propres organismes – y compris dans notre parti politique.

La pandémie et ses perturbations ont mis en pleine lumière ces « anges gardiens » par l’expression de gratitude envers celles et ceux qui sont souvent ignoré.e.s par les gouvernements. Ces anges ont rapidement élevé leur voix pour demander plus d’attention à leurs revendications de meilleures conditions de travail et de rémunération. Ce qui a été moins élucidé, bien au-delà du personnel observable dans les hôpitaux, c’est la couche moins visible qui trame le tissu de notre vie. C’est le degré auquel le système de production et services est construit sur le dos des travailleuses et travailleurs bon marché, aux origines racisées et marginalisées.
Parlons des réseaux des CHSLD, qui fonctionnent pour la plupart à but lucratif : ici, les groupes de gauche soutiennent depuis longtemps que les foyers de soins de longue durée ne peuvent absolument pas être laissés au secteur privé, motivé par le profit. Tel que cité dans les statistiques ci-haut, les profits sont sûrement tirés à même les bas salaires des personnes systématiquement recrutées par ces réseaux.
Mais les profits et les revenus, du secteur privé ou public, reposent beaucoup plus largement sur le dos du système de marginalisation des gens racisés et colonisés. Pour démontrer son sérieux, il faut reconnaître le profit tiré par le capital par les moyens de la marginalisation des gens et des peuples racisés. Il faut reconnaître que la société accepte de ne pas trop se plaindre devant les faits de l’exploitation exagérée des personnes plus démunies qui, à cause de leur désignation d’« autre » les rend moins … « nôtres ».

Il faut se déclarer, aussi, prêt à rejeter cette marginalisation des « autres ». L’économie à rebâtir ne sera pas qu’une affaire de fiscalité, et d’une amélioration du système de taxes et d’impôts, en fermant les chemins aux paradis fiscaux. Il y a un changement plus fondamental à exercer dans l’économie et la société.
Encore une fois, ce sont les gens ciblés par les divisions, le profilage et la surveillance, le déni d’équivalences dans les qualifications – les personnes présentes aux tables de concertation des communautés marginalisées – qui sont les mieux placées pour parler aux partis politiques, pour les aider dans l’élaboration de leurs programmes et plateformes. Sans ce genre de concertation, les appels à l’unité des peuples ouvriers sonnent creux, et sont insipides.

À l’intérieur même de nos institutions, on pose la question : Comment un parti pourra-t-il se munir de moyens pour défaire les divisions et pour ouvrir la porte aux personnes racisées au sein de nos instances politiques ? Tout comme nous l’avons dit ci-haut pour les tables constituées des communautés marginalisées : il faut prendre au sérieux le désir de fonctionner « autrement » dans la politique.

Au sein des organisations dans la société plus large, les membres marginalisés constituent souvent leurs propres groupes, pour se soutenir mutuellement et s’entraider. L’auto-organisation des personnes racisées doit être accueillie et soutenue au sein des groupes politiques, comme des groupes militants. Sans la présence de tels groupes, c’est comme si la majorité disait aux marginalisés : faites comme nous, marchez à notre rythme ; respectez nos règles, venez à nous selon nos conditions et nos façons de faire.

Québec solidaire a des choses à apprendre en voulant être considéré comme partenaire potentiel par les militant.e.s et les communautés marginalisées. De la même manière que QS a salué la création d’une Commission nationale autochtone – non pas par un acte de la direction, mais face à une vague de soutien au sein du parti aux luttes des membres autochtones – le parti doit se démontrer plus ouvert à l’organisation des minorités dans ses rangs.

Ce n’est pas encore l’ambiance qui règne à QS. On a vu la hâte inconvenante avec laquelle la direction a mené une motion de blâme contre son Collectif antiraciste décolonial – pendant la période de pandémie, peu propice à la mobilisation large. Ce geste n’est pas passé inaperçu auprès des communautés racisées au Québec. Si de tels groupes se sentent bafoués – sentiment qui s’est manifesté à d’autres occasions – cela augure mal en matière de confiance des communautés diverses en toute bonne foi, et envers le projet même du parti.

Quant aux communautés des Premiers Peuples, des leaders autochtones ont déjà fait preuve d’ouverture devant Québec solidaire, et du chemin qui reste à parcourir. Dans le livre de la porte-parole Manon Massé, Parler vrai (Écosociété, 2018), Ghislain Picard a remarqué que : « Sans présumer de la conclusion, je sais pertinemment que nous ne sommes pas près de la destination sur cette question fondamentale. Sur cet aspect de notre relation, accepter d’engager le dialogue plutôt que le fuir, est nettement plus honorable et appréciable comme geste d’ouverture. » [5] De l’espoir pour le dialogue, donc.

La direction de QS s’est efforcée de démontrer une certaine ouverture aux questions de diversité et de colonialisme, ce qui est louable. Elle n’a cependant pas encore saisi le rôle central des formes d’oppression nationale et d’exploitation dans la construction historique de la politie québécoise et de la structure économique actuelle sur laquelle elle repose.

Le parti devra étendre sa conscience aux « fondations de la compréhension » – à une analyse plus fondée de notre société, s’il veut véritablement identifier « Ce qui pourrait nous lier ».

Patricia Alexander est économiste. Elle est membre de Québec solidaire

Remerciements à Lucie Mayer pour son aide à la correction.


[1Catherine Dorion et al. 2021 Ce qui nous lie, Écosociété https://ecosociete.org/livres/ce-qui-nous-lie

[2Jean-Christophe Laurence 2020 Bande de colons – Une mauvaise conscience de classe, Alain Denault, Ni victimes ni bourreaux. La Presse. https://www.lapresse.ca/arts/litterature/2020-10-04/bande-de-colons-une-mauvaise-conscience-de-classe/ni-victimes-ni-bourreaux.php?fbclid=IwAR1VcfNXO1stRO-F8e2FqE4pHew530QFkctBbdnIW3F-kH9kRMnETvviY6o

[3Pour en citer quelques-uns : or, fer, nickel, lithium, titane, niobium, cuivre, zinc, graphite, lithium, diamant, terres rares, tantale, et l’un des rares producteurs de niobium, de dioxyde de titane, de cobalt et de platine au monde.

[4Conseil du statut de la femme Québec. 2020. Femmes autochtones, immigrantes ou racisées dans l’œil de la pandémie. Gouvernement du Québec https://csf.gouv.qc.ca/article/publicationsnum/les-femmes-et-la-pandemie/societe/femmes-autochtones-immigrantes-ou-racisees-dans-loeil-de-la-pandemie/

[5Ghislain Picard, Préface, dans Manon Massé 2018. Parler vrai. Écosociété https://ecosociete.org/livres/parler-vrai

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