Édition du 30 avril 2024

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Fuir l’histoire ?

Chine et marxisme chez Domenico Losurdo

Et ce n’est pas sans étonnement que vous soupèserez son appel à « dé-canoniser » Marx et les classiques en « faisant du passé table rase ».

Je suis loin d’être une brillant intellectuel et j’ai parfois peine à distinguer ce qui me fascine dans le marxisme de ce qui serait une adhésion religieuse à cette conception du monde. En plus, imaginez-vous que je suis bipolaire. Ainsi, tout est en place pour douter de mes capacités de jugement que rectifieront, je l’espère, d’autres qui ont plus de raffinement intellectuel. Rien n’interdit aux moins bien nantis de l’intelligence de participer aux débats, n’est-ce pas ? Cela permet à ceux qui s’en prétendent les maîtres de riposter de manière à réfuter plutôt qu’à censurer.

J’ai dévoré Losurdo comme je m’abreuvais des thèses du marxisme-léninisme en son temps. J’avais cette soif de savoir qui m’animait dans les plus vifs débats avec mes camarades de combat. J’étais curieux de connaître plus en profondeur ce qui expliquait le XX ième siècle dont nous n’étions pas encore sortis. J’étais particulièrement attiré par ce qui se présentait comme un point de vue révolutionnaire car, en bon catholique influencé par la théologie de la libération, j’avais au départ un préjugé favorable envers ceux qui affichaient, comme Marx lui-même, un parti pris en faveur des opprimés de toute sorte.

J’y ai appris que, dans sa recherche de la vérité, tout un groupe de personnes aux affinités bien senties peuvent se fourvoyer. Alors le point de vue selon lequel le capitalisme serait restauré en Chine m’apparaît douteux au départ. J’ai l’impression qu’une gauche ressuscitée autour du mot d’ordre de la lutte contre le sectarisme cherche encore comment éviter celui-ci contre les communistes. Cela se manifeste en nous prêtant une histoire passée qui aboutit inévitablement aux crimes de Staline et à la dégénérescence de Mao.

La lecture de Losurdo y met un bémol. Ce n’est pas sans me réjouir comme vieux maoïste d’un autre âge. On en dira ce qu’on voudra, mais j’y ai trouvé une application du matérialisme historique (pour ceux que cette théorie ne rend pas honteux) à l’histoire du mouvement communiste international lui-même qui a son prolongement dans la Chine contemporaine.

Même ceux et celles qui n’adhèrent pas au marxisme y trouveront une conception de la philosophie de l’histoire qui pourrait bien les surprendre. Pour ceux que le marxisme n’effraie pas ils trouveront sans doute une réflexion qui interrogera leurs vieux concepts sans jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pour les plus critiques du marxisme, nos camarades anarchistes entre autres, Losurdo fait la preuve que les capacités intellectuelles de ceux qui s’y réfèrent ne se sont pas atténuées au fil des ans : le rationalisme et l’esprit scientifique des Lumières demeurent les fondements de cette façon de lire le monde avec l’objectif de le transformer.

Le raisonnement que tient Losurdo sur l’évolution du marxisme jusqu’à l’intérieur du parti communiste chinois est rigoureux et ne laisse pas beaucoup de place aux failles des argumentaires de ceux qui veulent prendre leur distance de cette théorie.

Je suis peut-être une fois de plus abusé par mes médiocres capacités à bien comprendre toutes les implications du matérialisme historique, mais personne ne peut nier à Marx lui-même ces talents d’autorité intellectuelle et de vulgarisateur. Il les a appliqués dans la rédaction du Manifeste et a ainsi rendu accessible au plus grand nombre un point de vue révolutionnaire dont personne ne plus nier l’impact au XX ième siècle. Losurdo met en évidence ces habiletés et en montre en même temps les limites liées à son époque. Sur la conception de l’État, entre autre.

Si on m’ouvre les pages d’À Bâbord !, je serai autorisé, si je puis dire, à faire connaître ce philosophe de l’histoire italien qui jette un pavé dans la mare du communisme lui-même tout en s’en déclarant l’adepte. Et ce n’est pas sans étonnement que vous soupèserez son appel à « dé-canoniser » Marx et les classiques en « faisant du passé table rase ».

Guy Roy du parti communiste du Québec

« Fuir l’histoire ? », Domenico Losurdo, édition Delga et le Temps des cerises

Guy Roy

l’auteur est membre du collectif PCQ de Québec solidaire à Lévis.

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