Édition du 7 mai 2024

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Environnement

Les faits alternatifs de Justin Trudeau

À la Conférence de Paris sur le climat en décembre 2015, Justin Trudeau s’engageait à faire du climat sa « première priorité » et à ce que le « Canada devienne un leader dans le domaine des changements climatiques ». Un an plus tard, notre premier ministre « vert » a approuvé la construction de pipelines permettant d’augmenter de 50 % la production de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta.

Tiré du journal Le Mouton noir.

Le principal obstacle à la production canadienne de pétrole est la faible capacité de transport par pipeline ou par voies ferrées, insuffisantes pour l’ambition pétrolière. Trudeau a donc récemment autorisé l’augmentation de la capacité du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan et le prolongement de la ligne 3 d’Enbridge. Il a de plus salué la relance, par le président Trump, du projet Keystone XL de TransCanada. Ces trois pipelines permettront de produire quotidiennement 1,8 million de barils de plus. Imaginez la dévastation : produire un baril de pétrole à ciel ouvert nécessite deux tonnes de sables bitumineux qui viennent nécessairement avec une coupe à blanc, le retrait de la partie fertile du sol et la souillure d’énormes quantités d’eau, stockées dans d’immenses réservoirs artificiels qui fuient et empoisonnent lacs, rivières et humains. Les pipelines menacent également l’eau puisqu’en moyenne dix fuites par année se produisent par 1 000 km de tuyau.

Dans son élan « vert », Trudeau a également approuvé la construction d’un gigantesque terminal de liquéfaction de gaz naturel dans une frayère à saumons à Flora Bank près de Skeena River en Colombie-Britannique. Ce projet, appelé LNG (Liquefied Natural Gas), encouragera l’industrie de la fracturation en facilitant l’exportation du méthane. Il faut savoir que les puits de fracturation émettent beaucoup de gaz à effet de serre (GES) après leur exploitation. De plus, le méthane qui s’en échappe est 30 fois pire que le CO2 pour le climat. Trudeau a aussi approuvé la construction d’un immense barrage hydroélectrique sur le site C en Colombie-Britannique et n’empêche pas l’avancement du projet hydroélectrique sur le site de Muskrat Falls au Labrador. Pourtant, les zones inondées émettent pendant 30 ans beaucoup de GES.

Effets sur le climat

Selon des scientifiques, 85 % des réserves de bitume canadien doivent rester dans le sol pour éviter que la température à la surface du globe augmente de plus de deux degrés d’ici 2100. « Qu’est-ce que ça change deux degrés ? », peut-on entendre. La glace des pôles fond et le niveau de l’eau monte. L’augmentation de la température de l’eau diminue l’oxygène nécessaire aux poissons. De plus, le CO2 se dissout dans la mer et l’acidifie, ce qui dérègle la chaîne alimentaire. Une augmentation rapide de CO2 s’est produite il y a 252 millions d’années à cause de volcans : 90 % des espèces marines et 66 % des espèces animales terrestres ont disparu. Évitons ça ! Trudeau prétend aider le climat avec sa taxe sur le carbone prévue pour 2018. Cependant, cette taxe ne s’appliquera pas à la production du pétrole, mais à sa consommation. Le pétrole et le gaz exportés ne seront pas taxés. On pourrait donc atteindre nos objectifs climatiques, tout en déréglant le climat !

À l’écoute des Premières Nations ?

Les décisions de Trudeau vont également à l’encontre de ses engagements à l’égard des autochtones. Il promettait pompeusement « une relation nouvelle avec les Premières Nations » et déclarait que « les droits garantis aux Premières Nations dans la constitution ne sont pas un inconvénient, mais une obligation sacrée ». Il avait dit à propos des pipelines avant l’élection que « le gouvernement donne des permis, mais c’est la communauté qui donne la permission ». Un an après, il fait volte-face et affirme que les communautés « n’ont pas un droit de veto sur les projets énergétiques ». Pourtant, une proportion importante d’autochtones s’opposent aux projets de pipeline et de barrages. Par exemple, le Réseau environnemental autochtone s’oppose à la production de pétrole des sables bitumineux et au pipeline Keystone XL. Le comportement de Trudeau est « colonial », pas original.

Une croissance infinie ?

Pourquoi Trudeau aime-t-il tant le pétrole des sables bitumineux ? Peut-être parce que, dans presque tous ses discours, il promet la croissance. Mais quand abandonnerons-nous le dogme de la croissance infinie dans un monde fini ? Il faudrait plutôt respecter la souveraineté des autochtones sur leur territoire qu’ils protégeront de l’« extractivisme », réduire notre consommation, inclure le climat dans les accords commerciaux, manger beaucoup moins de viande, encourager une économie locale et égalitaire, réduire l’endettement, investir dans le transport en commun électrique, interdire l’obsolescence programmée, éliminer les produits jetables, développer des techniques à faible consommation d’énergie, telle l’agriculture biologique intensive à la Jean-Martin Fortier, partager les emplois, etc. Bref, visons la décroissance.

Pendant que Trudeau prétend être un leader climatique tout en consolidant notre dépendance aux infrastructures pétrolières, d’autres pays avancent. Cette année, l’Allemagne a adopté un projet de loi pour cesser d’ici 13 ans la production de moteurs aux hydrocarbures. En 2015, 22 % des nouvelles voitures vendues en Norvège étaient électriques contre 0,35 % au Canada. Au Danemark en 2015, 42 % de l’électricité consommée provenait du vent. Ici au contraire, Justin essayera bientôt de manufacturer une « acceptabilité sociale » pour le pipeline Énergie Est de TransCanada qui est censé transporter plus d’un million de barils de pétrole par jour le long du Saint-Laurent et même le traverser.

L’ensemble des pipelines projetés ne sont pas encore construits. Si beaucoup de moutons noirs s’organisent, il y a une chance de les empêcher.

Alain Mignault

Auteur pour le journal Le Mouton noir.

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