Édition du 30 avril 2024

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Environnement

Nommer ma tristesse

En 1659, 300 ans presque jour pour jour avant ma naissance, engagé comme « laboureur à bras », mon ancêtre Olivier Charbonneau s’embarquait pour la Nouvelle-France avec 28 parents et amis. Méchant trip de gang ! Ils étaient tous animés d’un rêve de liberté et de justice plus grand que nature.

Fuyant un pouvoir royal corrompu de plus en plus centralisé, persécuté pour sa religion, incapable d’acquérir la moindre parcelle de terre, subissant pauvreté extrême, famine, guerre, maladie et mortalités infantiles, il était prêt à tous les sacrifices. Il voulait écrire l’histoire de ce Nouveau Monde que Marguerite-Bourgeois et Jeanne-Mance avaient fait naître en lui.

Tous les effets personnels de la famille d’Olivier Charbonneau tenaient dans une seule malle achetée à crédit, c’est peu dire.

Puis, de génération en génération — « à la sueur de leur front et à la p’tite graine » — mes ancêtres ont réussi à acquérir un lopin de terre, une maison pour être enfin chez eux et avoir la paix, « la Sainte Paix » comme disait ma grand-mère. Ils se sont ramassé un petit pécule et ont fini par croire en une justice sociale et démocratique.

J’entends grand-maman dire : « Laisse-la parler ». Être respecté et respecter les autres, quoique l’on dise et pense, c’est ce que j’ai appris. Parler politique, s’enflammer, s’obstiner, se comprendre et se raccommoder en riant, en prenant un p’tit coup ensemble, puis s’entendre dire : « C’est l’gros bon sens », c’est ce sang-là qui coule dans mes veines, et j’en suis fière.

Aujourd’hui, je suis triste. Je me sens piétinée et brisée en dedans. Par une force hypocrite, la loi 106 vient extirper ce droit chèrement acquis de vivre en paix chez moi, ce sentiment de sécurité profondément ancré dans mon ADN.

En plus de bafouer la démocratie québécoise en utilisant le bâillon pour faire adopter cette loi ignoble, en la promulguant le gouvernement Couillard donne aux grosses compagnies un accès sans limites pour s’installer et forer chez nous (sur nos terres et terrains) sans notre permission. L’impensable est arrivé !

C’est railler et jeter aux ordures notre histoire et les rêves de la nation québécoise que ce soit celle des premières nations, de nos ancêtres et de tous ceux qui se sont joints à l’aventure au fur et à mesure.

Au nom de ceux et celles qui se sont battu-es, et ce, « de tous bords tous côtés », au nom de nos acquis politiques et sociaux et au nom du patrimoine que je veux léguer à mes enfants et à mes petits-enfants, je n’ai pas le droit de baisser les bras, de me laisser « manger la laine sur le dos ». Selon moi, il faut en parler, dénoncer, décrier cette loi encore et encore, jusqu’à ce que justice soit faite.

Il n’y a pas et il n’y aura jamais d’acceptabilité sociale dans cette loi. Vous avez fait une grosse, une très grosse erreur, M. Couillard !

Sylvie Charbonneau, Baie-du-Febvre
Le 11 décembre 2016

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