Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le printemps arabe en quatre temps

Est-il imaginable que le papillon de Tunis soit à l’origine des tourbillons magrébins ? Imaginable, oui. Autrement, je n’aurais rien entendu de tel. Conspiration ? Attention, je nous vois venir ! Il ne peut y avoir plus petit papillon que la conspiration.

Qui verra la conspiration en action, battant des ailes de papillons et provoquer la tempête à l’autre bout du monde ? Elle est, elle aussi, le fruit de l’imagination, ayant comme caractéristique existentielle la négation intrinsèque de sa réalité. Puisqu’il est tout à fait facile de croire qu’elle est affabulatoire, alors elle peut exister et être tranquillement à l’ouvrage à travers les âges.

Du printemps arabe, je ne comprends pas grand-chose. Il ne tombe pas de nulle part, n’est-ce pas ? Non loin de Tunis, il y a Abidjan (en Côte-d’Ivoire), et plus loin au sud de l’équateur, Kigali au Rwanda, pour n’évoquer que ce que je connais. Au nord, il y a la mer Méditerranée, et puis les rivières Euphrate et Tigre qui irriguent la Syrie, la Turquie, l’Irak, le Koweït, les pays du golfe persique. Autant de terres rouges de sang, passées au feu en présence de convoitises internes ou externes, évidentes. Les intérêts étrangers ne peuvent se retrouver à chaque fois là, par hasard, tantôt pour allumer le feu, tantôt pour l’étouffer. Il n’y a pas de feu sans friction, et celle-ci s’opère sans bruit à l’abri des vents et des vantards.

Comme une lecture en labo d’un simple frottis, je ferai l’autopsie d’une tempête qui passe laissant des dégâts gigantesques et .qui ne meure pas. Depuis la nuit des temps des temples ont célébré des victoires d’armées ou plutôt la décapitation de rois infortunés. L’enjeu n’est nullement fortuit, il s’agit de combats impitoyables pour plus d’espaces vitaux. La première guerre mondiale, est souvent citée pour illustrer cette sombre réalité. La seconde qui a débouché sur des boucheries de chambres à gaz et par l’arme atomique, fut prescrite par des sorciers économiques en manque d’inspirations face à une crise financière persistante malgré le recours à des mesures dites ultimes. En ces débuts du siècle, la crise aura surpris plus d’un politicien. La solution aura été miraculaire, la guerre et la reconstruction auront permis aux pays participant de faire des bonds en avant. Mais le cycle de la dépression ne pouvait être rompu. Tous les 50 ans, ou presque, selon Léontieff, économiste américain d’origine russe. De lui nous aurons alors appris à ne plus nous laisser surprendre par des guéguerres de luttes pour l’espace vital.
Et de comprendre les quatre temps du printemps arabe.

D’abord, La Baule, le 20 juin 1990. Le président Mitterrand vante la démocratie, telle une pilule magique de la dignité humaine. Désormais, les gouvernants non membre d’un club devront balayer devant leurs cours, ou le cyclone de la démocratie s’en chargera. Le petit papillon battit ainsi des ailes, sans présage de tsunami sur les rivages de la mer rouge.

Ensuite, le 11 septembre. L’événement est en soi un coup d’ailes de papillon, avec des ailes d’avions. Les dégâts sont énormes certes, mais l’ampleur de la réaction n’est nullement le reflet d’une mesure des pertes matérielles ou des carnages humains, encore moins du symbolisme idéologique. Il aura suffit que quatre papillons volent et s’écrasent, pour libérer d’immenses ballons de la peur gonflés aux gaz terroristes. Parce que attaqué, le faucon américain se légitime le droit de frapper des cibles de son choix. Saddam Hussein, bien que n’ayant aucun rapport avec le 11 septembre, les Irakiens, des soldats américains et quelques civils de diverses nationalités, en feront les frais. Cette saison irakienne fut humainement horrible, et politiquement éclairante. Le même esprit réprimé multiplie des victimes, on promet et livre le choc et la terreur aux paisibles citoyens dans une guerre aux terroristes. Le mythe de la diplomatie est mis à rude épreuve, le mensonge nu lui vient en rescousse. Un tel exercice s’avèrera onéreux. Il faut alors lui trouver une solution optimale.
Le lendemain du 11 septembre, le monde arabe est pris en otage. Les arabes et les musulmans sont à genou, un des leurs a commis un sacrilège. Ils sont peints en ses clones, présumés ses amis. Aucun choix ne leur est permis, pour être ou ne pas être concernés. Traqués, certains prendront les devants pour se distancer des « terroristes désignés », les renier ou les livrer aux chasseurs de fantômes. D’autres se renieront l’identité arabe, la foi musulmane, l’intégrité humaine, pour se faire accepter auprès des « antiterroristes » en puissance. Par cette campagne où sangs versés sont mêlés aux mises en demeure idéologiques, les nations arabes sont désintégrées. Des marionnettistes de la démocratie disputent le temple aux intégristes religieux. Désormais, le débat se déplace du parvis des Nations Unies aux places publiques de la cité arabe.

A Tunis, en Tunisie, depuis des places imaginaires, une nuée de papillons investit la rue faisant fuir du palais un imposteur roi. Lui n’était manifestement pas un « nationaliste », pour résister à la tempête. Le test est concluant, on peut frapper où on veut, sans devoir déplacer un sous-marin ni payer pour une diplomatie spectacle. Les pions de faiseurs d’opinion compléteront les pièces du jeu, pour donner un nom à une bouche de canon, le printemps arabe. Le puzzle marche tellement bien qu’il séduit plus d’un et flatte tout un monde arabe exposé aux vents hallucinant de la démocratie occidentale. Mon Ami Samir m’avouait l’été dernier être fier de la jeunesse maghrébine, il la voyait à l’origine d’une révolution mondiale. Hélas la désillusion n’allait pas tarder. Le sang sacré, tout sang humain est sacré, inonde la cité de nouveau occupée par des colons « libérateurs ». Aujourd’hui, des manifestations de joie dans la rue par une minorité insurrectionnelle occultent l’amertume d’une majorité silencieuse et passive. Elles avilissent l’âme et fragilisent la nation. Les leaders sont tués, leurs têtes sont trainées dans la boue, par « les leurs », dira-t-on. Qui exorcisera les démons de cet odieux héritage ?

L’aboutissement du « printemps arabe » coïncide avec l’occupation, en occident, de quelques places symboles du capitalisme, par quelques esprits égarés. Oui égarés, car vaines révoltes et peines perdues. À quoi sert-il de veiller devant la porte d’un riche insouciant ? Peut-on y voir un petit vent d’ailes de papillons ? En Tunisie, ça a l’air que les gens se ruent aux urnes, pour élire des dirigeants.

D’aucuns y voient le premier fruit du printemps. Grossière erreur de connaissance et de perception. Le vote, et la démocratie, quelle pire fumisterie ? L’élu doit être béni à Paris, confirmé à Washington. Aux urnes, sont appelés à voter des aveugles illettrés, non éclairés sur le mandat et les pouvoirs réels attachés aux fonctions de leurs dirigeants. La démocratie est de toute évidence une berceuse de promesses chantée par les rassasiés, pour endormir des affamés. Votes historiques ou occupations symboliques, vains espoirs. Le capitalisme qui est d’essence destructeur, fait partie intégrante de la culture. Dans le chaos et par lui, il récolte des profits et se porte de mieux en mieux. Ces soubresauts de manifestants humanistes et d’électeurs enthousiastes n’y feront rien. D’une part, la révolte est détournée vers des cibles anticapitalistes ou de mauvais capitalistes, plus personne ne voudra lever son petit doigt contre la guerre des emplois et des ressources, d’autre part. Pourquoi en effet manifester contre le capitalisme qui nous nourrit ?

Pourquoi manifester si le résultat doit baigner dans le sang ? Tout le sang versé par les autres nous avilit à notre insu, en nous nourrissant. Ainsi le printemps arabe accomplit ce qu’avait écrit le capitalisme. Quatre temps, quatre coups à moindres coûts.

Mots-clés : Edition du 2011-10-25

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