Édition du 30 avril 2024

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À propos du livre de Francine Pelletier

Au Québec, c’est comme ça qu’on vit

Francine Pelletier nous livre un portrait détaillé de l’histoire du Québec reliée à la lutte de libération nationale. Elle dépeint la transformation du nationalisme québécois qui, pour elle, a cessé d’être un projet progressiste ouvert sur le monde à partir de 2007 pour devenir un conservatisme centré sur la défense des valeurs de la «  majorité historique francophone ».

Mais ce projet ne contenait-il pas bien avant, les germes de ce qui s’est produit. En effet plusieurs ont posé les premiers jalons d’une alternative dont Paul Rose, Françoise David et Paul Cliche, avec la création du PDF, de l’UFP et d’Option citoyenne, lesquels ont donné naissance à Québec solidaire en 2005. Ce nouveau parti a su trouver une place parce que des centaines de militants et militants avaient constaté l’impasse du PQ concernant la question nationale et le projet de société.

En fait on peut se demander est-ce que la montée du nationalisme identitaire n’est-il pas venu combler un vide de perspectives politiques. Le livre de Francine Pelletier fait, en effet, la démonstration de l’opportunisme qui a guidé les tenants de cette perspective identitaire et instrumentalisé ainsi la question nationale à des fins électorales.

Mais cette conclusion ne peut s’expliquer sans décrire le changement profond qui s’est déroulé au Québec qu’elle exprime ainsi  : « La plus stupéfiante mesure du changement accompli au Québec se trouve dans un espace simple statistique : le taux de fécondité. En l’espace de seulement 20 ans, il passe d’un des plus hauts de l’occident à un de plus bas. Un défi impossible n’eût été un alignement astral tout à fait exceptionnel : la mise au rancart de l’Église, la création d’un système public d’éducation, la pilule contraceptive et le mouvement des femmes. »

Comment la société québécoise a-t-elle pu dériver ainsi pour permettre qu’un discours nationaliste identitaire d’exclusion occupe une telle place ?

La déclaration de Parizeau lors de la défaite du vote référendaire de 1995 affirmant que la défaite avait été causée par les votes ethniques, marqua selon l’autrice, le début de ce changement. « Les déclarations de Parizeau donnaient soudainement l’impression que le rêve du pays était soudainement réservé aux seuls francophones, les autres étant relégués aux empêcheurs de tourner en rond. »

Il omettait de considérer que la bataille référendaire, même si elle n’était même pas une bataille pour l’indépendance mais pour une nouvelle association, enclencherait une réaction des dominants, organisant ainsi illégalement le love-in de Montréal auquel ont contribué généreusement la Compagnie Irving ainsi que la société aérienne Air Canada. Cela a certainement contribué à influencer suffisamment le vote, tel que l’a démontré la commission Gomery.

L’autrice mentionne que si le premier référendum est passé dans le beurre, il n’y a pas que l’ambivalence chronique de René Lévesque qui l’explique. Les groupes de pression (…) tout en s’intéressant à ce qui se passait se sont tenus un peu en retrait de l’événement.

Plaçant les événements dans leur contexte, Francine Pelletier écrit que les années 1980 sont des années de désenchantement, Lévesque sabre dans les salaires des syndiquéEs de la fonction publique. Dans un contexte de montée des luttes on peut comprendre que les mouvements sociaux n’étaient pas nécessairement conquis à la stratégie du PQ. Elle l’explique ainsi : « comme bien d’autres progressistes c’est le projet de société qui nous interpellait (à la Vie en Rose), pas un nationalisme réduit à sa plus simple expression, le flag sur le hood. »

Selon l’autrice, après l’échec de 1995, et le tir au poignet qui s’ensuit entre nationalistes civiques et nationalistes identitaires, la bataille pour l’âme du Québec va bientôt connaitre son apogée. Et le conservatisme en sortira vainqueur. Selon elle, la troisième carte, décisive dans ce grand virage identitaire du nationalisme identitaire sera la crise des accommodements raisonnables à partir de l’automne 2006.

Elle explique le ressentiment islamophobe qui a suivi l’attaque du World Trade Center en 2001. Les femmes voilées deviendront la cible des préjugés les plus importants au Québec. C’est Mario Dumont chef de l’ADQ qui s’imposera comme l’homme fort lors de cette première grande crise identitaire. Selon l’autrice, son populisme a en quelque sorte libéré ouvertement la parole raciste. À l’été 2007 nait la Fédération des Québécois de souche, un précurseur dans ce domaine.

Cela aura aussi un impact politique sur le PQ qui en 2007 perd le titre d’opposition officielle au profit de l’ADQ. Nouvellement élue en 2007, Pauline Marois saute dans le train identitaire pour retourner aux valeurs sures comme lui conseille Jean-François Lisée. Avec le Projet de loi 195 c’est la première fois qu’on tente au Québec de mesurer l’acceptabilité sociale des nouveaux arrivants sur la base de « leur sentiment d’identité québécoise », c’est-à-dire de leur ressemblance avec la majorité québécoise.

Puis vint la charte des valeurs de Bernard Drainville, « une mesure sévère, punitive également, car il n’y a pas d’exception faite pour les personnes déjà en poste. Des congédiements sont à prévoir. » Dans un contexte où, selon l’auteurs, la communauté musulmane ne représente qu’environ 3% de la population, après tout, et l’une des moins pratiquantes au Québec.

Francine Pelletier ajoute que la politique identitaire néoconservatrice qui s’est installée au Québec depuis 2007, et dont le Parti Québécois lui-même a voulu se faire le porte-voix, n’est pas étrangère à la prolifération des groupuscules ultranationalistes de droite.

La saga de Jean-François Lisée concernant la laïcité mérite d’être citée. L’autrice explique que suite de la démission précipitée du chef élu Pierre Karl Péladeau, en mai 2016, Jean-François Lisée, lors d’une nouvelle course à la direction, met alors en joue son adversaire principal, Alexandre Cloutier, qui mène la course et qui prône, lui, l’ouverture à la diversité. Lisée parle de bannir le niqab et la burka de peur qu’une femme y cache une Kalachnikov et reproche à son rival d’avoir souhaité une bonne fin de ramadan aux musulmans et, ensuite, l’associe malicieusement à l’imam controversé Adil Charkaoui.

Le gouvernement Legault poursuit dans la même lignée que le PQ avec la loi 21et le ministre Jean Boulet surenchérit en affirmant que 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise.

Comme nous l’exprimions au début de cet article, le manque de perspectives concernant la lutte de libération nationale demeure un enjeu criant qui a d’une certaine façon laissé la place à ces dérives identitaires. Dans cette mesure le livre de Francine Pelletier est une excellente référence en représentant un historique bien ficelé. Il nous laisse cependant un peu sur notre faim en ce qui concerne les perspectives, mais cela c’est maintenant à nous de le prendre en main.

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André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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