Édition du 12 mars 2024

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Canada

Cent milions de Trudeau (x)

L’Initiative du siècle ("Century initiative") a été lancé récemment par un groupe de pression torontois formé de gens d’affaires. Ce groupe a été cofondé en 2021 par un ancien grand patron de McKinsey, un cabinet-conseil qui avait ses entrées auprès du gouvernement libéral de Justin Trudeau. Il existait donc une proximité entre le gouvernement libéral et le cabinet-conseil McKinsey. Ce dernier est d’ailleurs inscrit au registre des lobbyistes depuis 2021.

photo Wikipédia

Bien que le ministre fédéral de l’Immigration Sean Fraser ait rejeté formellement le projet voici quelques jours, on sait que l’Initiative du siècle bénéficie de l’appui de plusieurs gens d’affaires canadiens-anglais (en particulier torontois) et aussi, paraît-il de membres influents du Parti libéral du Canada. Une partie de l’opinion publique canadienne-anglaise s’y rallie sans doute, sans le dire trop haut. En novembre 2022, le gouvernement libéral a annoncé son intention d’accueillir 500,000 immigrants par année jusqu’en 2025 ; pour la suite des choses, il est demeuré flou et vague, ce qui alimente les soupçons des milieux nationalistes québécois à son endroit ; une méfiance compréhensible dans les circonstances. On craint que les promoteurs du projet "cent millions 2100" de vouloir influencer le gouvernement fédéral pour élargir les les seuils d’immigration au fil des ans.

Le projet a beau avoir été repoussé par Sean Fraser, il se situe dans une certaine conception trudeauiste pour qui le Canada est "une nation" multiculturelle, une maille anglophone à l’endroit, une maille francophone à l’envers et mille mailles de toutes cultures plus ou moins confondues. C’est dans cette optique que Justin Trudeau a proclamé il y a quelques années que "Le Canada est un État post-national". L’exaltation est souvent mauvaise conseillère. Cette vue des choses conduit en toute logique à minimiser la notion d’autonomie québécoise. Les Québécois et Québécoises sont donc invités à participer sans réserves à la "grande aventure canadienne".

Du côté des nationalistes québécois, souverainistes comme autonomistes, on s’alarme devant ce projet mégalomane, même s’il a été refusé par le gouvernement Trudeau. Mais on connaît le penchant de la classe politique fédérale dans son ensemble pour l’immigration et le peu de souci qu’elle démontre pour sa dimension francophone. Les nationalistes québécois font des rapprochements avec le Rapport Durham, ils accusent Ottawa de vouloir sinon assimiler, du moins diminuer notablement l’influence du Québec au sein de la fédération. Il n’y a qu’à lire le Journal de Montréal pour constater l’émotion qui agite les milieux nationalistes du Québec et aussi l’espoir que ce projet torontois réactive le courant indépendantiste.

Revenons les deux pieds sur terre. Le Canada compte en ce moment trente-neuf millions d’habitants. Est-il possible de l’augmenter à cent millions en 2100 ? Est-ce réalisable ?
L’immigration ne peut suffire à tout, pas plus à combler les vides qu’à remplacer l’expansion démographique normale de la population. Elle est sujette à bien des soubresauts, à des reculs comme à des avancées. Même les projections démographiques et économiques les plus audacieuses ne peuvent se aller si loin dans l’avenir. On a beau courir vers la ligne d’horizon, celle-ci se dérobe sans cesse. L’année 2100, c’est loin.

Par exemple, qu’est-ce qui nous assure que l’actuel mouvement d’immigration vers le Canada va se maintenir à jet continu ? Même en gardant les frontières ouvertes et en pratiquant une politique d’accueil et d’intégration large, on peut concevoir que le mouvement migratoire vers le Canada ralentisse et s’amenuise au fil des crises économiques et sanitaires mondiales, mais aussi du développement économique de certains pays du Tiers-Monde qui aura pour effet de retenir sur place une main d’oeuvre qui ne verra plus la nécessité d’aller s’installer ailleurs.

Ce projet optimiste néglige aussi la capacité d’accueil et d’intégration du Canada et du Québec. Elle n’est pas illimitée. Voilà un autre frein à l’idée du "Canada cent millions", laquelle s’apparente à la pensée magique.

Si l’on tient compte de toutes ces incertitudes et obstacles, on peut tout au plus envisager d’ici trois quarts de siècle une augmentation de quelques dizaines de millions d’habitants pour le Canada. Dans les sociétés dites de consommation occidentales, on fait désormais peu d’enfants et la population vieillit mais il est illusoire de croire que l’immigration va compenser pour ce déficit démographique. Donc, il est fort douteux que la population atteigne le chiffre rêvé par "Initiative du siècle" et peut-être certains militants libéraux haut placés.

C’est ce qui s’appelle prendre ses désirs pour des réalités. De la science fiction politique. Le début de la colonisation de la planète Mars d’ici 2100 apparaît plus vraisemblable.

Jean-François Delisle

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