Édition du 30 avril 2024

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Syndicalisme

La négociation du secteur public : Cumuler maintenant un capital de sympathie

Pour une dramatique hausse budgétaire vers une société de prendre soin

30 mars 2020 - Le comité exécutif du Syndicat des employé‑e‑s du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (SÉCHUM), un des syndicats les plus combatifs du secteur public, s’est prononcé contre « [l]a proposition syndicale de la CSN qui prévoit des ajustements salariaux, [...pour] passer au travers de la crise du Covid‑19 [. qui] sont cependant moindres que nos demandes initiales [. et aussi] contre la proposition de la CSN d’une suspension de 18 mois des négociations » comme aussi le veulent la FTQ et la CSQ mais non l’APTS et la FIQ. Il semble cependant que toutes les centrales ont répondu au désir de la CAQ d’une négociation immédiate. Après sa première décision sensée de remettre la négociation après la pandémie, la CAQ a soudainement réalisé que le paroxysme de la négociation, la grande affaire de son mandat pré‑pandémie, coïnciderait probablement avec la prochaine période électorale. C’est là un risque politique pour un gouvernement qui se confronte à plus d’un demi‑million d’électrices et de leurs familles d’où l’échéance de trois ans post‑électorale mais plus courte que le cinq ans habituel pour encourager les centrales à considérer un règlement hâtif comme une simple partie remise.

Plus crucial, la CAQ a sans doute réalisé que les travailleuses de la santé, le contingent principal, n’ont pas de rapport de forces immédiat dans la pandémie car recourir à la grève ou à un autre moyen ralentissant le travail serait vu comme odieux par la population. Elle a aussi sans doute réalisé que la bureaucratie syndicale, libérée de la contrainte de la démocratie interne pour cause de confinement et de distanciation physique, serait plus malléable. À noter que par contre les travailleurs non essentiels ont acquis un rapport de forces car ils prennent des risques pour le seul profit du patron d’où plusieurs grèves (ex. Amazon, chantiers de construction) tout à fait justifiées pour au moins obtenir le palliatif de meilleures conditions sanitaires si ce n’est le nécessaire arrêt de travail... parce que, par exemple, l’industrie militaire est sur la liste des productions essentielles.

Par contre les travailleuses de la santé peuvent cumuler un capital idéologique en dénonçant leurs conditions sanitaires et de travail tout en faisant valoir, pour les bas salariéEs, leur pitoyable salaire. La hausse de salaires accordée par le patronat privé pour les travailleurs essentiels de l’alimentation laisse à penser que la CAQ s’y résoudra pour les travailleuses de la santé mais en retour d’une convention accordant probablement l’inflation et un bonus aux bas‑salariéEs, dont elle admet la pénurie, et rien de substantiel pour les conditions de travail si ce n’est de les renvoyer après la pandémie. Celles‑ci, de un, ont pour l’instant moins d’impact médiatique et de deux, la dette publique supplémentaire post‑pandémie servira d’excuse pour être chiche.

La réplique appropriée serait d’abord de réclamer des conditions sanitaires impeccables car le droit à la vie ne s’achète pas, ni la solidarité populaire, immédiatement de nouvelles embauches avec formation si nécessaire, suffisantes pour passer à travers le pic, et de procurer aux employées de la santé le matériel sanitaire nécessaire par une politique de réquisition auprès des grandes entreprises et de soutien aux PME et artisans qui essaient d’en produire. Ensuite il s’agit de reporter la négociation après la pandémie tout en faisant savoir que le nouveau plancher d’emplois dû à la pandémie sera à pérenniser tout comme la hausse de salaire pandémique sans qu’elle ne soit un plafond. Cette pérennisation des primes que les centrales veulent et que les bas‑salariées réclament, pourraient être argumentée ainsi : « Notre droit à la vie et à la santé n’est pas à vendre mais les salaires des non‑professionnelles sont trop bas ce qui est connu et admis par le gouvernement depuis longtemps. Nous allons donc accepter les primes comme une augmentation normale de salaire à pérenniser et pas nécessairement suffisante donc à négocier après la pandémie. »

Toutefois l’essentiel est ailleurs. Les bouleversements que nous vivons ont le potentiel de transformer de fond en combles la société pour s’attaquer frontalement à la crise climatique, ce qui fondamentalement exige d’un côté une décroissance radicale de l’énergivore production pour la consommation de masse et celle militarosécuritaire, que la pandémie exige de minimiser, et une croissance tout aussi radicale du « prendre soin » (care) dont les services publics et communautaires sont l’épine dorsale et que la pandémie exige de maximiser. Voilà une occasion en or pour le mouvement syndical, à l’exemple du syndicat de l’enseignement de Chicago, de penser en dehors de la boîte de la convention collective. Pourquoi ne pas réclamer une substantielle hausse budgétaire pérenne en s’appuyant sur celle nécessitée pour la santé par la pandémie, de réclamer la déprivatisation des écoles et des cliniques, ces dernières devant être mobilisées pour combattre la pandémie (le sont‑elles ?) et des services auxiliaires, et de socialiser la production‑recherche sanitaire. C’est cette hausse de budget substantielle et cette socialisation de la production socialement indispensable qui permettra post‑pandémie de réclamer à la fois de meilleures conditions de travail et un rajustement salarial majeur des bas salariées tout en semant les prémisses de la société nouvelle post‑pandémie.

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