Édition du 10 décembre 2024

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Québec

Aéroport de Saint-Hubert Décollage prévu malgré les voyants au rouge

30 millions en 2030, 40 millions en 2040, 50 millions en 2050. De quoi parle-t-on ? Du nombre anticipé de passagers et passagères aérien·ne·s dans la région de Montréal, du moins selon les prévisions des gestionnaires de l’aéroport de Saint-Hubert à Longueuil (DASH-L) qui entendent développer cet aéroport pour seconder Montréal-Trudeau (YUL).

Julien Keller, professeur, Département des Sciences de l’UQAM (Collaboration spéciale)

5 avril 2024, tiré de PressMob, Édition écrite, vol. 5, no 4

Devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le directeur général de DASH-L Yanic Roy s’enthousiasmait le 24 novembre 2023 de l’augmentation à venir du trafic aérien dans le Grand Montréal, qui se chiffre actuellement à 21 millions de passagers et passagères. En pleine crise climatique, il faut faire preuve d’irresponsabilité pour accepter, justifier puis encourager un tel accroissement.

L’industrie du transport aérien repose aujourd’hui à plus de 99% sur une seule énergie : le pétrole. Un carburant indépassable, puisque le seul à pouvoir offrir une densité énergétique suffisante pour mouvoir des avions de plus de 50 tonnes sur des milliers de kilomètres, quoi qu’en disent les chantres de l’avion électrique.

Cette consommation ahurissante de kérosène par les avions engendre inexorablement plusieurs pollutions gravissimes. Une pollution de l’air aux particules ultra-fines (du nanométal tel que le plomb ou le nickel comme relevé par la professeure Ariya de l’Université McGill) qui sont cancérigènes selon des études scientifiques récentes de l’Université de Berne. Cette pollution de l’air s’ajoute à celle déjà responsable de 4000 morts prématurées annuellement au Québec selon Santé Canada.

Et cette pollution atmosphérique ne pourra qu’empirer à l’avenir avec les redoutés mégafeux de forêt, à l’instar de ceux de l’été 2023. Des mégafeux récurrents et anticipés par les climatologues du GIEC, qui sont la conséquence d‘un « effondrement climatique » pour reprendre l’expression du secrétaire général de l‘ONU. On le sait, cette situation a pour origine principale l’activité humaine, notamment nos émissions de gaz à effet de serre (GES) comme le dioxyde de carbone (CO2). Une tonne de kérosène émet environ trois tonnes de CO2. Que l‘on songe à la quantité de CO2 qui résultera de l’utilisation programmée des dizaines de milliers de tonnes de kérosène par année à St-Hubert, alors qu’il est nécessaire de réduire nos émissions de GES !

Comme si cela ne suffisait pas, l‘aéroport de St-Hubert présente une autre caractéristique particulière : il est enclavé dans la ville de Longueuil. D‘ailleurs, l’hôtel de ville lui-même jouxte les pistes. Ainsi, le développement prévu de l’aéroport St-Hubert, avec ses 4 millions de passagers et passagères à terme, générera une pollution sonore considérable sur une zone d‘environ 100 km2 d‘après une récente modélisation, perturbant ainsi la vie de 100 000 habitant·e·s. Les études sont unanimes : elles indiquent toutes une perte d’espérance de vie notable, de 1 mois jusqu’à 3 ans, en raison des problèmes cardio-vasculaires et des troubles de sommeil provoqués par le bruit.

Il faudrait plutôt tirer les leçons du passé. Le monde de l’aéronautique se nourrit artificiellement de son propre optimisme jusqu’à la démesure, traçant des droites à l’infini dans un monde fini. Le livre récent du professeur Jacques Roy, sur la saga des aéroports montréalais, est là pour nous rappeler qu’il est nécessaire de faire preuve de réalisme en se basant sur des études d’impact (économiques, sanitaires, environnementales) avant de lancer tout projet majeur de développement d’un aéroport.

Or, dans le cas de Saint-Hubert à Longueuil, force est de constater qu’aucune étude n’a été publiée pendant les deux consultations publiques de 2022 et que les élu·e·s locaux n’ont pas été plus informés que la population. Deux études concernant les GES et le bruit commanditées par DASH-L seraient en cours, mais dans la mesure où les travaux de construction de l’aérogare ont débuté en août dernier, on comprend que celles-ci ne viendront en rien contrecarrer le projet.

La campagne médiatique de l’aéroport (DASH-L) et de la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, autour de l’« écoaviation » – expression antinomique sans réalité tangible – ne parvient pas à dissiper l’impression que ce projet n’a pas été réfléchi dans un contexte de crise climatique et plus généralement de crise environnementale. Il n’a manifestement pas non plus été conçu plus globalement avec l’objectif de sortir de l’approche « toujours plus » de l’industrie aéronautique. À titre d’exemple, le plan officiel de réduction des émissions canadiennes pour 2030 visant une réduction de 40 % des émissions (sous le niveau de 2005) ne pourra se faire sans que le transport aérien ne réduise aussi son impact carbone. Dans ce délai, cela n’est possible que par une diminution sensible du trafic aérien.

En matière d’industrie aérienne, il est plus que temps de changer de paradigme. Il faut faire l’inverse de ce que préconisent les dirigeants actuels, attentistes et immobilistes, et prendre des mesures contraignantes. Oui, il faut faire l’inverse de ce qu’a préconisé Mme Catherine Fournier en juillet dans une entrevue où elle compte sur le changement des comportements humains et à de nouvelles technologies – les deux étant tout aussi hypothétiques – pour diminuer l’impact de l’aviation. Sans même y voir de contradiction avec la réalité des faits, elle était partie au même moment s’amuser en Italie avec des avions bien polluants !

(Aussi publié sur le blogue de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques - IRIS)

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