Édition du 30 avril 2024

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Politique canadienne

En Afghanistan, le Canada est prêt à suivre

Alors que 1 600 soldats québécois de la base de Valcartier sont en train d’être déployés en Afghanistan, les dernières semaines ont été marquées par la reprise du débat public, nettement tronqué, concernant cette guerre. Un débat dont les deux temps forts auront été les déclarations du maire de Québec, Régis Labeaume, le 27 février dernier, et celles du premier ministre du Canada, Steven Harper le 1er mars.

Raymond Legault est un des porte-parole du Collectif Échec à la guerre. Il s’exprime ici à titre personnel.

Labeaum’inable déclaration

Livrant ce que la Presse canadienne a qualifié de « puissant plaidoyer en faveur de l’intervention militaire du Canada en sol afghan » le maire de Québec a dit, en substance, qu’il fallait soutenir nos soldats qui combattent les « barbares » talibans et surtout ne pas écouter les opposants à la mission canadienne qui sont des « bavards emmitouflés dans leur salon » qui ergotent sur l’antimilitarisme.

Le « puissant plaidoyer » du maire comporte cependant plusieurs failles. La première, c’est qu’il omet de dire que pour combattre les « barbares » talibans, les forces de l’OTAN se sont alliées avec des seigneurs de guerre afghans qui ne sont pas plus enclins envers la démocratie, les droits des femmes et les droits de la personne que leurs opposants. La seconde faille de son plaidoyer, c’est qu’il passe totalement sous silence non seulement les intérêts stratégiques et économiques qui sont en jeu dans ce conflit mais aussi les milliers de victimes civiles afghanes, « dommages collatéraux » que nos grands médias d’information ne nous montrent jamais non plus.

Un troisième problème majeur de l’argumentation du maire Labeaume c’est qu’en appelant à ne pas écouter les opposants à l’intervention guerrière en Afghanistan, il appelle à faire fi de la volonté de la majorité de la population canadienne et de la vaste majorité de la population québécoise. Le maire Labeaume appelle donc ouvertement à bafouer la démocratie ici pour poursuivre une guerre qui prétend faire avancer la démocratie en Afghanistan.

L’OTAN, la guerre et l’enjeu de la démocratie

Fait encore plus troublant, le maire Labeaume est en cela tout-à-fait représentatif de l’ensemble des pouvoirs publics, non seulement au Canada mais dans la majorité des pays occidentaux – membres de l’OTAN – qui guerroient en Afghanistan !

Au Canada, par exemple, c’est en dépit de l’opinion de 58 % de la population que le Parlement canadien a voté, le 13 mars 2008 de prolonger l’intervention militaire canadienne en Afghanistan jusqu’en juillet 2011. Une décision qui arrivait moins de trois semaines avant le Sommet de l’OTAN de Bucarest au début du mois d’avril 2008 et qui faisait suite aux recommandations du Comité Manley, dont le rapport avait été élaboré sans tenir la moindre audience publique à travers le Canada.

Or c’est au même Sommet de l’OTAN, que le président Sarkozy annonçait l’extension de l’intervention militaire française en Afghanistan, une décision votée quelques mois plus tard (le 22 septembre) par le Parlement français, en dépit de l’opposition de plus de 60 % de la population française.

Et la situation est semblable dans plusieurs autres pays membres de l’OTAN. Ainsi l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre poursuivent leur implication dans la guerre en Afghanistan malgré l’opposition de leurs populations à 68 %, 56 % et 54 % respectivement.

Tout se passe donc comme si les élites politiques et militaires des pays membres de l’OTAN – sous la direction et les pressions de la super-puissance étasunienne – arrêtaient leurs décisions de politique étrangère guerrière dans le cadre supra-national de l’OTAN et obtenaient ensuite l’appui des parlements à l’encontre de la volonté des populations qu’ils sont supposés représenter.

« Volte-face » de Harper et... continuité de la politique canadienne

Passons maintenant aux déclarations récentes du premier ministre Stephen Harper, initiées le 1er mars sur les ondes de CNN, qui ont suscité beaucoup de remous à la Chambre des Communes et sur les tribunes médiatiques. En substance, M. Harper a dit qu’il concluait maintenant qu’une victoire militaire contre « l’insurrection talibane » était impossible et qu’on pouvait tout au plus la repousser assez pour permettre davantage de reconstruction et de développement.

Pour qualifier cette nouvelle position du premier ministre Harper on a parlé tour à tour de « revirement majeur », de « retour à la raison », de « message démoralisant » pour les soldats canadiens, etc. Mais on s’est également beaucoup surpris – voire même offusqué – que le premier ministre révèle d’abord ses positions aux médias étasuniens. Or ni la « volte-face » ni le public cible choisi ne sont très surprenants. Car ils s’inscrivent tout à fait dans la continuité de la politique étrangère canadienne depuis quelques années.

Il y a maintenant quatre ans, en avril 2005, sous la pression des grands milieux d’affaires canadiens, le gouvernement libéral de Paul Martin adoptait un nouvel Énoncé de politique internationale (EPI) dont on peut résumer ainsi la ligne directrice et la raison d’être : endossement et participation ouverte à la politique étrangère militariste des États-Unis en échange de garanties d’accès au marché étasunien. À travers le site http://www.canadianally.com/ca/ et une campagne d’affichage très explicite dans les stations de métro de Washington, l’ambassade canadienne ne ménagea aucun effort pour que les décideurs étasuniens prennent bonne note...

La proximité idéologique de Stephen Harper avec George W. Bush intensifia ensuite ce rapprochement. Mais l’élection récente de Barak Obama est venue compliquer un peu les choses pour le gouvernement conservateur. Dans le contexte de la récession actuelle et de la montée des tendances protectionnistes, il fallait à nouveau intervenir pour préserver l’accès au marché étasunien, garantissant en retour la « sécurité énergétique » des États-Unis et l’engagement du Canada à se maintenir dans le sillage de la politique étrangère étasunienne, à s’ajuster à son remodelage et à s’en faire le promoteur.

Prolongeant l’impact du voyage d’Obama à Ottawa, Harper s’est donc rapidement rendu aux États-Unis pour insister sur la nécessité d’y contrer le protectionnisme et, sur la question de l’Afghanistan, pour faire savoir au nouveau gouvernement qu’il était prêt à laisser l’ancien credo bushien et à promouvoir le nouvel enrobage obamien.

À l’approche de la conférence internationale du 31 mars sur l’Afghanistan – qui précédera de peu le Sommet du 60e anniversaire de l’OTAN, les 4 et 5 avril prochains – le Canada s’est donc à l’avance déclaré prêt à suivre et à promouvoir les nouvelles instructions de l’empire étasunien.

Mots-clés : Politique canadienne

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