Édition du 30 avril 2024

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Le Monde

FMI et Banque Mondiale version 2013 : on change les mots, et on recommence

Chaque année au mois d’octobre se déroulent les assemblées annuelles du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Habituellement elles ont lieu à Washington, où les deux institutions ont leur siège, mais une années sur trois, c’est à un autre pays qu’est gracieusement accordé le privilège de recevoir l’événement. Cette année, c’est le Japon qui a accueilli la rencontre du 9 au 14 octobre.

Tiré du site du CADTM

L’événement réunit les Conseils des Gouverneurs du FMI et de la BM, mais aussi les grands dirigeants du secteur public - banques centrales, ministères des finances et du développement - et du secteur privé, ainsi que de nombreux spécialistes issus du milieu universitaire. Il consiste en une succession de séances d’information, de séminaires et de conférences de presse sur diverses thématiques liées « aux perspectives de l’économie dans le monde, à la lutte contre la pauvreté, au développement économique et à l’efficacité de l’aide » selon les mots des organisateurs.

C’est à cette occasion que les deux institutions présentent leurs rapports annuels. Vitrine de choix donc pour ces doctrines développées par les plus grands analystes économiques et statistiques mondiaux. Et belle occasion pour nous de faire le point sur l’état de cette pensée économique dominante. Que pensent les hommes et les femmes à la têtes de ces institutions financières internationales ? Quelles sont leurs analyses, et quelles solutions proposent-ils ? Comment envisagent-ils notre avenir ? Et surtout, dans tout cela, quel mot avons-nous à dire ?

Le fiscal multiplier négatif des plans d’austérité

Prophète des temps modernes, le FMI s’est octroyé comme mission la fourniture de statistiques prévisionnelles sur les finances du monde, statistiques destinées à guider les acteurs économiques et politiques. En ce début d’année 2012, après quatre années de pain noir, l’auguste augure de la reprise était pressentie par le FMI, qui annonçait dans un pré-rapport de mars dernier 3,8% de croissance pour l’année 2013.

Dans son discours inaugural Olivier Blanchard, conseiller économique et directeur du Département des études d’un FMI au sein duquel les français ont décidément bonne presse, a malheureusement présenté des perspectives moins optimistes. Il a annoncé une révision à la baisse des prévisions du pré-rapport, révisions généralisées à l’ensemble de la planète, mais un peu plus fortes dans la zone euro ainsi que dans les économies émergentes. La cause de cette mauvaise évaluation ? Le coefficient multiplicateur de la consolidation fiscale. La consolidation fiscale (équilibre budgétaire et baisse de la dette publique, lisez donc « plan d’austérité ») aurait des conséquences négatives à court terme sur l’offre et la demande, conséquences qui avaient été sous-estimées en première analyse. En d’autres termes, les plans d’austérité ont un effet négatif sur la croissance. Alors, mea culpa ou pas ?

Tout vaut mieux que l’incertitude fiscale

Qu’on ne s’y trompe pas. La logique du FMI reste la même : pour ce dernier, la consolidation fiscale donc l’austérité, est une nécessité qui ne se discute pas. Il faut bien payer ses dettes... On nous apprend quand même qu’un climat d’incertitude fiscale effraye les investisseurs et « justifie » l’augmentation des taux d’intérêt notamment du fait de la hausse des taux d’indexation.

On insiste aussi beaucoup sur l’inter-connectivité de l’économie-monde. La bonne santé des fiscalités européennes ou américaines agit directement sur les économies du reste du monde. Si les pays riches ne mettent pas en place des plans d’austérité, ils vont ruiner les pays en développement, comme Christine Lagarde nous le rappelle dans sa présentation. Les nations civilisées ont un devoir envers l’humanité : elles doivent présenter une fiscalité équilibrée exemplaire, il en irait presque de la survie des enfants africains (on appréciera à cet égard les visuels des rapports qui mettent immanquablement en scène un Tiers-monde pittoresque accolé à des photos de gens sérieux et « cravatisés » parlementant au sein d’hémicycles modernes).

Mais, et on le répétera souvent au cours des diverses interventions, il ne s’agit plus de respecter à la lettre des objectifs quantitatifs. Soucieux de ne pas apparaître comme des bailleurs de fonds autoritaires ou rigides, veillant probablement à ne pas susciter les critiques dont on les a largement accablés ces dernières années, c’est une véritable rhétorique de la souplesse que développent les représentant des IFI. Ainsi il faudra probablement deux ans de plus à la Grèce pour mettre en place son programme de consolidation fiscale. Mais cela n’est pas très grave pour le FMI car il s’agit avant tout de « gagner la course » de la compétitivité, quitte à aller plus lentement. De plus, le FMI affirme que les États devraient pouvoir emprunter à des taux raisonnables (voilà qui se tient), afin, s’empressent-ils de préciser, de pouvoir recapitaliser leurs banques sans accroître leur dette souveraine...

Enfin, l’objectif reste clair, il faut mettre en place des mesures de consolidation fiscale qui fassent émerger une structure fiscale saine. Mais, à quoi ça ressemble une structure fiscale saine ? Si vous, ou votre gouvernement ne le savez pas très bien, ne vous inquiétez pas. Le FMI lui il sait, et il est là pour vous conseiller.

Le FMI, un conseiller politique à notre écoute ?

Les rapports du FMI sont plein de graphiques, de courbes et de chiffres. Mais, surtout, ils sont plein de « policy », que l’on peut traduire suivant les cas par « ligne politiques » ou « mesures politiques ». Des économistes experts, dont la seule formation est une formation en sciences économiques, suggèrent aux pouvoirs publics et partant aux peuples, les choix politiques qu’ils devraient mettre en œuvre. La démarche, on ne peut plus répandue dans les institutions internationales et pas seulement dans celles qui s’occupent de finances, est pourtant sujette à critique.

D’abord, ce règne des experts en ce qu’il expose des vérités scientifiques universelles nous semble une négation de la diversité immanente à la condition sociale. Il n’y a pas des hommes, des femmes, et un marché, mais bien un ensemble complexe d’interactions entre des hommes et des femmes, des histoires et des cultures, des croyances et des symboles, sous des climats et dans des écosystèmes différents. Ces solutions sont, selon notre opinion, illusoires, mais surtout, elles sapent la seule source légitime de toute politique : la décision éclairée d’un ensemble de concitoyens. Enfin, sur le fond, ces « policy » dissimulent mal les intérêts qu’elles promeuvent réellement, et qui sont bien plus ceux d’une classe capitaliste transnationale que ceux des peuples.

Une course à la croissance et à l’emploi

Derrière un discours apparemment réformé, on se rend rapidement compte que la substance idéologique est absolument inchangée. On déplore avec constance la diminution des échanges internationaux, réifiés en une ineffable source de richesse. Et l’objectif ultime est toujours celui de la croissance économique. Mais cet objectif transparaît là encore à travers un discours revisité, avide de références aux « développement humain » et autres indicateurs sociaux. La Banque Mondiale, caution sociale infaillible des institutions de Bretton-Woods, publie son Rapport sur le Développement Humain 2013 sur la thématique de l’emploi, estimant qu’il est la clé de « l’amélioration des niveaux de vie, l’accélération des gains de productivité et la promotion de la cohésion sociale ».

Là encore, c’est la vision du monde que nous offre la Banque Mondiale qui nous apparaît plutôt réductrice. Ainsi, elle nous rappelle qu’une « économie se développe lorsque les compétences individuelles progressent, que les populations quittent les champs pour travailler dans des entreprises, et que des emplois plus productifs sont créés tandis que d’autres, moins productifs, disparaissent ». Quels sont-ils ces « emplois moins productifs » ? Et qu’ont « les champs » de tellement repoussants ? C’est en fait toute l’utopie libérale qui transparaît derrière le discours des IFI. Celle-ci peut être définie très simplement comme visant à l’autorégulation de la société par le marché.

Le libéralisme correspond au rêve d’une société sans État où les rapports marchands grâce à la loi de l’offre et de la demande viendraient garantir une harmonie sociale définitive. Derrière l’utopie libérale réside l’idée que les divisions et conflits sociaux ont pour origine exclusive les phénomènes de rareté qui condamnent une partie des individus à la pauvreté.

L’accroissement des richesses produites en ce qu’elles augmentent pour chacun la part du gâteau est alors vu comme l’outil ultime de régulation des rapports sociaux. Les échanges marchands doivent augmenter constamment, au moins jusque la paix sociale soit atteinte. Autrement dit, il faut de la croissance. Mais il est alors nécessaire que la totalité des citoyens intègrent la logique marchande en devenant producteur et consommateur. Il faut à la société libérale « un type d’individu qui vit ses aspirations comme des besoins marchands » |1|.

Dans son ouvrage Le droit au travail entre histoire et utopie, Fernand Tanghe nous montre avec brio que pour se réaliser, le libéralisme a été obligé de garantir un certain nombre de droits sociaux, et particulièrement le droit au travail, qui garantit une « participation universelle aux rapports marchands » |2|. « La croissance ne peut être obtenue qu’en mettant plus d’individus au travail, et en faisant chaque travailleur plus productif. Le droit du travail est alors le droit structurant les relations productives » |3|. Dans une société qui vit les rapports humains comme des rapports productifs, l’emploi devient un peu le nerf de la paix sociale. N’oublions pas que, comme nous le rappellent les « fins analystes » de la Banque Mondiale, « les jeunes peuvent être tentés d’entrer dans un gang pour compenser l’absence de sentiment d’identité et d’appartenance qu’un emploi pourrait leur procurer ». La cohésion sociale et le vivre-ensemble se réduiraient-ils sérieusement au travail ?

Si nous voulons une société pacifiée par un marché « sain » et dynamisée par des investisseurs privés, la voie que nous dessinent les institutions financières internationales est cohérente. Mais si l’on aspire à ce que la liberté fondamentale des peuples à s’autodéterminer soit respectée, pour que chaque individu trouve un sens à la fois unique et harmonieux à sa vie, les visions globalisantes et systémiques du FMI et de la Banque Mondiale sont largement insuffisantes. Une fois encore, ces Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale confirment qu’il est vain d’espérer des changements significatifs dans l’idéologie de ces deux institutions. Les remplacer par des organisations démocratiques et respectant les droits humains demeure une nécessité.

Notes

|1| TANGHE Fernand, Le droit au travail entre histoire et utopie, Faculté universitaire de Saint-Louis, 1989

|2| TANGHE Fernand, op.cit.

|3| HOAWSE Robert, The WTO and Labour Rights, in Social Issues, Globalisation and International Institutions, Martinus Nijhoff Publishers, 2006, traduction personnelle

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