Édition du 18 juin 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

L’Église persécutée du Nicaragua

Fin aout dernier, Présence rapportait https://presence-info.ca/article/ac...que le gouvernement canadien soutenait les jésuites du Canada qui demandaient au gouvernement du Nicaragua de revenir sur sa décision du 16 aout de révoquer le statut juridique de leurs membres et de confisquer la très réputée Université d’Amérique centrale (UCA) qu’ils fondaient en 1960.

Ovide Bastien, auteur de Racines de la crise : Nicaragua 2018 (2018)

Faisant sourde oreille à cette demande, le régime Ortega-Murillo ne fait que poursuivre sa persécution de l’Église, la seule institution dans le pays qui ose dénoncer la répression qui, depuis le soulèvement populaire d’avril 2018, s’abat impitoyablement sur le peuple nicaraguayen. De fait, les attaques contre elle, déjà nombreuses en 2022, ne font qu’augmenter en 2023.1

En plein milieu du soulèvement populaire le 27 avril 2018, Mgr Silvio Báez, évêque auxiliaire de Managua, mettait en ligne une vidéo de huit minutes https://www.youtube.com/watch?v=tOp...dans laquelle il dénonçait, en larmes, la torture et la mort de plusieurs jeunes. Conscient et inquiet du leadership remarquable de cet évêque, le régime faisait tout pour le salir dans les médias dont il détenait, à toutes fins pratiques, le monopole, le présentant comme « le chef de la subversion ».

Les menaces de mort qu’il recevait par la suite firent en sorte que le pape François demandait à Mgr Báez de quitter le Nicaragua. À la suite d’un bref séjour à Rome, il réside présentement à Miami où il donne des cours au « St. Vincent de Paul Seminary ». Février dernier, le régime lui a également fait perdre sa nationalité.

Le 9 février 2023, le régime sévissait contre l’autre leader de l’Église qui avait osé lever la voix de façon inlassable pour dénoncer la répression du peuple : l’évêque de Matagalpa, Mgr Rolando Álvarez. Le régime était en train de libérer 222 prisonniers politiques, les envoyant à Washington après les avoir déchus de leur nationalité.

«  Prend l’avion pour Washington ou je te placerai dans une véritable prison !  », lançait Daniel Ortega ce jour-là à Mgr Álvarez, qui se trouvait déjà en détention domiciliaire depuis plusieurs mois.

Au lieu d’obéir à cet ordre, l’évêque, dans un geste démontrant un courage étonnant, tenait tête au dictateur, se solidarisant avec son peuple.

Sa peine, imposée dès le lendemain ? Perte de sa nationalité et 26 ans d’emprisonnement dans La Modela, une prison de haute sécurité !
Au cours des cinq dernières années, 151 prêtres et religieuses – la plupart des étrangers mais aussi 19 religieux et 17 prêtres nicaraguayens, tous déclarés "traîtres à la patrie" et déchus de leur nationalité - furent contraints de quitter le Nicaragua. Parfois on les expulse tout simplement, parfois on les empêche de rentrer au pays après un séjour à l’étranger, parfois ils choisissent eux-mêmes le chemin de l’exil à la suite de nombreuses agressions physiques et verbales, menaces d’emprisonnement, et même de mort.

La dictature détient présentement onze prêtres comme prisonniers politiques : trois sont condamnés pour des crimes fabriqués de toutes pièces dans des procès bidons sans droit à la défense ; quatre sont détenus dans un séminaire ; trois sont emprisonnés à Managua et on ignore toujours, plus de 80 jours depuis sa détention, le lieu exact de l’un d’entre eux, Fernando Zamora.

Pas moins d’une dizaine de congrégations religieuses féminines sont victimes de répression.
Bien que l’article 44 de la Constitution interdise la confiscation de biens, 13 propriétés appartenant à l’Église catholique ont été "confisquées" par l’État nicaraguayen. Ce dernier a aussi fermé quatre universités, deux instituts, 15 médias, sept congrégations religieuses et onze projets et œuvres sociales de l’Église catholique nicaraguayenne.

Le 1er octobre dernier, la police détenait les abbés Julio Ricardo Norori et Iván Centeno du diocèse d’Estelí, et l’abbé Cristóbal Gadea du diocèse de Jinotega. Le même jour, elle proférait aussi des menaces contre cinq autres prêtres dans le nord du pays.

Comment la dynastie familiale Ortega-Murillo procède-t-elle pour identifier et punir de tels prêtres ? Elle envoie deux ou trois policiers ou paramilitaires, habillés en civil, assister aux célébrations eucharistiques. Si, dans leurs homélies, les prêtres ne parlent que de la pluie et du beau temps, ils sont sains et saufs ! Si, par ailleurs, ils se réfèrent à la réalité concrète que vivent les gens, leur rappelant que la libération et l’amour dont parle Jésus concernent non seulement l’au-delà mais aussi l’ici et le maintenant, alors ils se transforment automatiquement en « traîtres de la patrie » et « ennemis de la révolution ».

Le 5 octobre, l’abbé Álvaro Toledo, mentionne dans son homélie que six prêtres de son diocèse d’Estelí furent détenus pour des raisons politiques et exhorte ses paroissiens à prier pour des vocations sacerdotales. Dans les heures qui suivent, des policiers se présentent à son presbytère et le détiennent.

Dans le passé en Amérique latine, des membres de l’Église ont payé très chers leur solidarité avec le peuple. Pensons à l’assassinat au Chili, à la suite du coup d’État du 11 septembre 1973, du prêtre espagnol Joan Alsina, de l’abbé Miguel Wuodderd (torturé jusqu’à la mort), et de l’abbé Bernardo Poblete. À l’assassinat au Salvador, le 24 mars 1980, de Mgr Óscar Romero, cet évêque qui osait dénoncer dans ses homélies radiodiffusées chaque dimanche la répression atroce que subissait le peuple. À l’assassinat, toujours au Salvador, de deux religieuses Maryknoll et d’une laïque missionnaire le 2 décembre 1980, et le 16 novembre 1989, de six jésuites de l’UCA de San Salvador, de leur cuisinière et sa fille.

Note
1.Martha Patricia Molina Montenegro, avocate membre du l’équipe éditoriale du journal La Prensa et qui a dû s’exiler pour échapper à la répression, documente de façon remarquable cette répression dans son rapport Nicaragua : ¿Una Iglesia Perseguida ?, qu’on peut consulter ici en ligne. Plusieurs des données de cet article proviennent de ce rapport.

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