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Planète

L’état de la banquise antarctique affole les experts

Le retour de l’hiver austral permet à la banquise de se reconstituer. Mais avec un retard inédit. Il manque en étendue de glace l’équivalent de 4,5 fois la taille de la France. Avec de potentiels effets néfastes en chaîne.

28 juillet 2023 | tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/La-banquise-de-l-Antarctique-peine-comme-jamais-a-se-reconstituer

Jamais un déficit de banquise, autour de l’Antarctique, n’avait été observé avec une telle ampleur. En février dernier déjà, en plein été austral, elle couvrait la plus petite superficie jamais observée depuis le début des mesures satellites, en 1979 — un record absolu de fonte. Le retour de l’hiver austral permet, depuis, à la glace de mer (l’autre nom de la banquise) de se reconstituer petit à petit. Mais avec un retard inédit.

D’après les données du National Snow and Ice Data Center (NSIDC), organisme étasunien de référence, l’étendue de la glace (définie comme les zones océaniques comportant au moins 15 % de glace) couvrait au 25 juillet quelque 14.160 millions de km2. Le niveau le plus bas enregistré pour ce jour de l’année. Le précédent record remontait au 25 juillet... 2022, avec pourtant près de 1,4 million de km2 de glace de plus. Par rapport à la moyenne des années 1981 à 2010, il manque aujourd’hui en étendue de glace l’équivalent de 4,5 fois la taille de la France métropolitaine. « Ce qui est assez incroyable, c’est cet écart par rapport à la norme. Le niveau de déviation de la surface de glace par rapport à la normale est mesurée en unités appelées sigma. Entre -2 et 2 sigma, on peut être dans une variabilité naturelle du climat. Là, on s’approche de -7 sigma. Ça laisse peu de place au doute sur le rôle effectif du changement climatique sur ce qu’il se passe », indique à Reporterre Christoph Kittel, chercheur en climatologie à l’Université Grenoble Alpes.

Dit autrement, sans l’action du changement climatique, un tel évènement n’aurait qu’une probabilité de se produire une fois toutes les 7,5 millions d’années, estimait le24 févrierle climatologue Edward Doddridge. Et encore, ne commentait-il alors qu’une déviation mesurée de 5 sigma… Le professeur en mathématique retraité Eliot Jacobson, prolifique en production, a représenté dans le graphique ci-dessous le décrochage impressionnant de 2023 par rapport à la normale.

La crainte de plusieurs emballements climatiques

Un tel déficit inédit de glace de mer risque-t-il d’avoir des conséquences durables sur l’écosystème antarctique, voire sur le système climatique global ? En mars, une étude alertait sur la manière dont la fonte des glaces de la région risquait de perturber gravement les courants océaniques, menaçant la vie marine et les mécanismes de captation du carbone, — ce qui pourrait encore accélérer le réchauffement global.

La perte de glace de mer peut également rendre plus vulnérable la calotte polaire, c’est-à-dire la glace qui repose directement sur le continent antarctique et non sur l’océan. Or la fonte des calottes glaciaires est la cause principale de la montée du niveau des mers dans le monde, qui pourrait submerger l’habitat de 500 millions à un milliard de personnes d’ici 2100, selon le niveau de réchauffement. « Si le niveau ne remonte pas dans la suite de l’hiver, on peut avoir encore l’été prochain une glace de mer très déficitaire. Or, celle-ci permet de protéger les glaciers de la calotte sur la côte en atténuant les grosses vagues. Sans glace de mer, les tempêtes risques de briser les glaciers », alerte Christoph Kittel.

« Ce qui m’inquiète énormément, ce sont les rétroactions positives qui pourraient rendre les pertes de glace irréversibles », poursuit-il. Ces rétroactions climatiques positives sont un cercle vicieux : les phénomènes s’auto-entretiennent en réchauffant le climat. Un exemple ? L’albédo. La glace renvoie davantage les rayonnements solaires que l’océan sous forme liquide — plus sombre, celui-ci absorbe plus de lumière et emmagasine plus la chaleur. L’eau ainsi réchauffée empêche d’autant plus la glace de se reformer, accélérant encore le réchauffement de l’eau, et ainsi de suite.

Étendue de la glace de mer en Antarctique, en millions de km2, au cours d’une année. Le trait gris foncé représente le niveau moyen (1981 - 2010), le trait rouge le précédent record bas, en 2022 et le trait bleu est pour l’année 2023. © NSIDC

Un troisième phénomène redouté souligne encore davantage la complexité des interactions dans le système climatique. Il se joue dans la profondeur de l’océan. À plusieurs centaines de mètres de profondeur, un courant puissant qui fait le tour de l’Antarctique a la particularité d’être plus chaud que les eaux de surface. Lorsque l’eau de mer salée se change en glace, le sel est rejeté et rend plus dense l’eau environnante. Cela entraîne l’eau froide vers le fond et agit comme un bouclier contre l’eau chaude des profondeurs. « S’il y a moins de glace, ce phénomène de plongée des eaux froides s’atténue et il y a un risque de plus grande intrusion d’eau chaude vers la surface, susceptible de faire fondre la glace à son tour », explique Christoph Kittel.

Entre inquiétudes et incertitudes

Ces mécanismes, connus des glaciologues, restent très compliqués à anticiper. D’autant que, de manière surprenante, la glace de mer a longtemps été mesurée à la hausse en Antarctique, des années 1980 aux années 2000, avant de voir les courbes s’inverser au milieu des années 2010. Cette hausse passée des surfaces glacées pourrait être due au trou dans la couche d’ozone, soupçonnent les chercheurs. Celui-ci empêchait les rayons ultraviolets d’être absorbés et de réchauffer la haute atmosphère, perturbant ainsi le régime des vents. Glacés, ces derniers favorisaient alors la formation de glace de mer.

« La reconstitution de la couche d’ozone pourrait avoir changé à nouveau les vents et expliquer l’arrêt de la hausse des glaces, précise Christoph Kittel. Mais c’est encore très débattu ». Ce qui est sûr, c’est que ces interactions complexes entre glace, océan et vents sont stimulées par le réchauffement global. Les records de chaleur dans l’air contribuent également à la fonte des glaces.

Représentation de l’étendue de la glace de mer antarctique au 25 juillet 2023. La zone grise correspond au continent antarctique, le blanc à la partie de l’océan couverte de glace de mer et le trait jaune indique les limites de l’étendue moyenne de cette banquise durant la période 19891 - 2010. © NSIDC

Impossible, en revanche, de dire en l’état des connaissances si la situation actuelle dessine la tendance des années à venir. Le passage de points de bascule, c’est-à-dire de changements irréversibles dans certains systèmes climatiques, est craint par les chercheurs. Sans aucune certitude quant au seuil de réchauffement qui pourrait les déclencher. Une étude parue dans Science en septembre dernier estimait par exemple que les glaciers de l’Antarctique de l’Ouest pourraient atteindre un point de bascule dès le niveau de réchauffement actuel — entraînant leur fonte irréversible. L’affaiblissement de la glace de mer pourrait participer de cette vulnérabilité.

« Nous n’attendions pas une telle baisse du niveau de glace dès 2023 mais la tendance générale était hélas prévue par les modèles. Analyser et expliquer réellement le phénomène de 2023 risque de nous occuper quelques années », souligne Christoph Kittel. Une première réponse pourrait venir dans six mois, si le prochain été austral apporte de nouveaux records de fonte en Antarctique.

Vincent Lucchese

Vincent est journaliste d’Usbek & Rica depuis 2016. Il explore le futur de la planète, du climat, de la science, anime le podcast de vulgarisation des mystères du cosmos « 300 milliards d’étoiles » et s’attaque aux complotistes dans nos vidéos « arnaquologie ». Il a auparavant travaillé plusieurs années comme journaliste télé, notamment pour La Quotidienne sur France 5.

https://usbeketrica.com/profil-auteur/vincent-lucchese

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