Édition du 16 avril 2024

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Economie mondiale

Les périls de 2012

M. Stiglitz est professeur à l’Université Colombia, prix Nobel d’économie et l’auteur (entre autre) de Freefall : Free Markets and the Sinking of the Global Economy.
countercurrents.org, 13 janvier 2012,
Traduction, Alexandra Cyr,

On se souviendra de 2011 comme celle où les Américains les plus optimistes ont perdu espoir. Un jour le président J.F. Kennedy a déclaré que tous montent quand la marée monte. Mais en ce moment où la marée baisse, les Américains se rendent compte que certains qui ont de plus gros bateaux sont montés plus haut que les autres et que beaucoup d’autres, avec de plus petits vaisseaux, ont été simplement écrasés par la marée.

Pendant ce court moment où la marée montait franchement, des millions de gens ont crû qu’ils pourraient avoir leur juste part du « rêve américain ». Ces rêves aussi sont maintenant en berne. Ceux et celles qui avaient un emploi en 2008 ou 2009 ont fini de passer à travers leurs économies en 2011. Le nombre de chômeurs-euses s’est envolé en 2011. Les manchettes nous annonces des créations d’emploi mais pas suffisamment pour intégrer ceux et celles qui veulent travailler y compris les demandeurs-euses d’un premier emploi. Et les plus de 50 ans ont peu d’espoir d’en retrouver un.

Les quarantenaires qui avaient pensé qu’ils devraient attendre quelques mois pour travailler ou re-travailler sont obligés d’intégrer qu’ils et elles sont des retraitéEs forcéEs. Les nouveaux et nouvelles diplôméEs, endettéEs de plusieurs milliers de dollars, ne trouvent rien. Les gens qui avaient emménagé chez des amis se retrouvent à la rue. Les maisons achetées durant le boom immobilier sont encore à vendre ou l’ont été à perte. Plus de sept millions de familles américaines ont perdu leur maison.

C’est l’an passé que le côté noir des années du boom financier a également explosé en Europe. Il a provoqué la panique à propos de la Grèce et une adhésion sans états d’âme aux plans d’austérité de la part des gouvernements nationaux. La contagion est passée en Italie. En Espagne le chômage qui a atteint 20% au début de la crise, ne cesse d’augmenter. Et l’impensable, la fin de l’Euro, devient une réelle possibilité.

Et cette année sera probablement pire. Il se peut que les Etats-Unis règlent leur problème politique et finissent par adopter le plan de stimulation nécessaire pour ramener le taux de chômage à 6 ou 7%. Avant la crise il se situait à 4 ou 5%. Il est illusoire de penser rejoindre ce niveau. Pas plus que l’on peut penser que l’Europe se rendra compte que l’austérité n’est pas un moyen pour résoudre ses problèmes. Au contraire, elle ne fera qu’exacerber le déclin économique. Sans croissance, la crise de la dette et celle de l’Euro ne feront qu’empirer. Et ainsi, cette longue crise qui a commencé en 2007 par l’éclatement de la bulle immobilière se poursuivra.

De plus, les plus grandes économies des pays émergents, qui ont traversé avec succès les tempêtes de 2008 et 2009 pourraient ne pas pouvoir faire face aux problèmes qui s’annoncent. La croissance brésilienne a déjà commencé à se ralentir suscitant des angoisses chez ses partenaires sud-américains.

Pendant ce temps, les problèmes de long terme, dont les changements climatiques et autres menaces environnementales et la montée des inégalités dans la plupart des pays, ont disparu des radars. Alors que certains ont empiré. Par exemple, la montée du chômage à mené à la baisse des salaires et à la montée de la pauvreté.

Pourtant, en s’attaquant aux problèmes de long terme on peut aider à résoudre ceux du court terme. Augmenter les investissements pour faire face aux nouvelles conditions liées au réchauffement climatique va stimuler l’économie, la croissance et la création d’emplois. Une politique fiscale plus progressive qui redistribuerait les revenus du haut vers le reste de l’échelle réduirait instantanément les inégalités, augmenterait l’emploi en développant la demande. Plus d’apport fiscal de la part des plus riches pourrait permettre de financer les investissements publics nécessaires et fournir une protection sociale à ceux et celles qui vivent au bas de l’échelle y compris les chômeurs et chômeuses.

Ce genre de « budget équilibré » qui repose sur plus de revenus de taxations et sur plus d’investissements n’aboutit pas à une augmentation du déficit mais bien à une baisse du chômage et à une amélioration des résultats globaux dans la société. Ce qui est inquiétant toutefois, c’est que spécialement de ce côté de l’Atlantique mais aussi de l’autre, les idéologies et les politiques ne permettront d’aller vers ce genre de programme. L’obsession des déficits va mener à des coupes dans les programmes sociaux et à une amplification des inégalités. En même temps, les économistes tenants de l’offre, vont continuer à s’opposer à toute augmentation de taxes des hauts revenus même si toutes les preuves sont là pour les contredire. Spécialement en ces temps de taux de chômage élevé.

Même avant la crise, un nouvel équilibre du pouvoir économique se mettait en place sur la planète : une correction d’une anomalie vieille de deux cents ans, au cours de laquelle les pays asiatiques ont vu leurs produits intérieurs bruts (PIB) passer de 50% à moins de 10%. Leurs réponses furent pragmatiques et attachées à la croissance. Aujourd’hui, les pays émergents, asiatiques et autres, ont des économies qui contrastent avec celles des pays occidentaux, qui mal guidées par une combinaison d’idéologie et d’intérêts particuliers semblent refléter un engagement en faveur de l’arrêt de la croissance.

Résultat : le rééquilibrage de l’économie mondiale va sans doute s’accélérer et quasi inévitablement donner lieu à une montée des tensions politiques. Compte-tenu de tous les problèmes qui affectent cette économie, nous pourrons nous compter chanceux si ces montées n’apparaissent pas d’ici la fin de cette année.

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