Édition du 7 mai 2024

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Les possibles du féminisme de Diane Lamoureux

Agir sans « nous »

Nouvelle parution | En librairie le 8 mars 2016

« Les féminismes expriment fondamentalement une révolte. Savoir ce que l’on refuse, ce qui ne peut plus durer, ce qui constitue une injustice ne suffit pas pour établir ce que l’on recherche ni même pour trouver les moyens d’y parvenir. Et puisque les motifs de révolte sont nombreux et procèdent de l’expérience singulière de chacune, “faire mouvement” pose problème. »

Afin d’établir sa légitimité, le féminisme a d’abord postulé que toutes les femmes sont liées par une oppression commune. Si le constat reste exact, l’universalisme féminin mène à une impasse. Ne faudrait-il pas plutôt construire des solidarités qui n’obligent pas certaines à sacrifier leurs enjeux sur l’autel de l’unité ?

Néolibéralisme, liberté, justice sociale, défense des droits ou rapport à l’État, les réflexions courageuses de Diane Lamoureux abordent de front les questions qui animent le féminisme des dernières décennies et qui traversent la pensée politique au Québec. En cherchant à cerner les conditions de radicalité du féminisme, elle rompt une fois de plus avec la tentation du conformisme. L’unisson n’est ni possible ni souhaitable. Le féminisme ne fait pas mouvement : il est mouvement.

Diane Lamoureux est professeure de philosophie politique à l’Université Laval. Ses travaux actuels portent sur les effets conjugués du néolibéralisme et du néoconservatisme. Au Remue-ménage, elle a récemment fait paraître Pensées rebelles : autour de Rosa Luxemburg, Hannah Arendt et Françoise Collin (2010), et a codirigé avec Francis Dupuis-Déri l’ouvrage Les antiféminismes : analyse d’un discours réactionnaire (2015).

[EXTRAITS]

« Vue de l’étranger, la situation du mouvement des femmes au Québec peut paraître enviable. On note la présence d’un mouvement associatif important et diversifié, tant par ses structures organisationnelles et ses champs d’action que par sa répartition sur l’ensemble du territoire. On y observe des mécanismes de concertation entre différents niveaux de l’appareil gouvernemental, comme en témoignent la mise en place d’un Secrétariat à la condition féminine ou du Conseil du statut de la femme, mais aussi l’analyse différenciée selon le sexe de l’impact des politiques publiques et la prise en compte des femmes dans la politique de développement régional. Plusieurs groupes de femmes bénéficient de subventions publiques et certains d’entre eux ont joué un rôle important dans le développement de l’économie sociale. Mais qu’en est-il lorsqu’on regarde un peu plus en profondeur ? Le Québec peut-il véritablement prétendre au titre de paradis féministe ? Une réponse nuancée s’impose, car s’il est vrai que le mouvement des femmes a, en quelque sorte, acquis droit de cité au Québec, c’est au prix, parfois lourd, d’une institutionnalisation. » (p.55-56)

« Les femmes ne peuvent se subjectiver qu’en combattant le patriarcat ou le sexisme, dans la mesure où ce système social organise la sujétion de toutes les femmes et les confine à une position subalterne. Cependant, pour nombre d’entre elles, la subjectivation nécessite également de s’émanciper par rapport au capitalisme et par rapport au racisme, et elles ont besoin de la solidarité des autres féministes dans ce combat. Si l’on analyse le féminisme comme un mouvement qui prône la liberté des femmes et leur accession à un statut de sujet, ces divers types d’émancipation appartiennent tous au féminisme, même si l’accent est mis sur l’émancipation par rapport au sexisme. Ainsi, il est difficile de parler de liberté et d’égalité des femmes si certaines d’entre elles sont exploitées dans un travail, y compris rémunéré. De la même façon, il est difficile de parler d’une émancipation si, du fait du racisme, certaines femmes sont cantonnées dans des boulots serviles ou dans l’esclavage sexuel. » (p. 262)

« Ce qui fait la force et la radicalité du féminisme et lui permet de construire un mouvement commun malgré la diversité de situations des femmes, c’est justement sa capacité de se déplacer, de soulever des enjeux là où on ne l’attend pas. Vrai, nous n’avons pas tout gagné dans les domaines que nous savons être des lieux d’oppression. Mais le féminisme a tout à perdre à s’y cantonner. [...] Défendre les acquis, certes, mais aussi étendre le combat. Ne pas avoir peur de choquer et d’investir des terrains moins familiers. Demander ce qui aujourd’hui semble impossible, pour frayer la voie à quelques possibles. » (p. 213)

— Diane Lamoureux

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