Édition du 30 avril 2024

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Féminisme

Lettre ouverte de militantes féministes

Oui, la désobéissance civile est une option !

Suivi du vidéo Désobéissance civile de Keny Arkana

Dans la foulée des multiples analyses critiques et opinions émises pendant et depuis notre printemps érable et devant la judiciarisation abusive de la lutte étudiante, nous croyons fondamental de rappeler que la désobéissance est de longue date une riposte sociale aux abus politiques et juridiques. L’histoire de la lutte des femmes en est un exemple probant. Voici quelques faits résumés issus d’une longue liste.

1947- Droit de se syndiquer. Madeleine Parent, féministe, est au cœur du mouvement de syndicalisation de l’industrie textile au Québec. Voir une femme se battre sur la place publique est insupportable aux yeux du pouvoir en place (Duplessis). Ostracisée par le patronat et le gouvernement, elle sera arrêtée plusieurs fois, condamnée et acquittée en Cour d’appel. Au cœur de toutes nos luttes sociales, elle aura été une figure marquante de la reconnaissance du droit à la syndicalisation.

1969- Droit de manifester. Les autorités municipales de Montréal, ébranlées par les agitations sociales de l’époque, adoptent un règlement anti-manifestations ! Qu’à cela ne tienne, la riposte s’organise ! Sous le nom Le Front Commun des Québécoises, deux cents femmes manifestent illégalement sur la place publique et s’enchaînent les unes aux autres. Elles seront arrêtées, après avoir été libérées de leurs chaînes par les pompiers ! Ce geste d’éclat amènera la création du Front de libération des femmes du Québec. Bien que constamment remis en question par les autorités, le droit de manifester fait partie de nos droits collectifs.

1971- Les femmes sont inaptes à être jurées. Sept femmes de la cellule Action-Choc du FLF, qui préconise des actions directes dénonçant le sexisme, préparent une offensive majeure, L’Action des jurées. Paul Rose doit subir son procès dans l’affaire Pierre Laporte. Lise Balcer, qui connaît Rose et fait partie des nombreuses personnes appréhendées lors de la Crise d’octobre, est citée comme témoin. Puisque les femmes ne peuvent être jurées, elle refuse de témoigner ! Si la Cour ne les reconnaît pas à ce titre, dit-elle, comment peut-elle les reconnaître en tant que témoins ? Outrage au tribunal, décrète le juge ! Le jour de sa comparution, au moment où Lise Balcer crie à la discrimination, sept femmes du groupe Action-Choc se lèvent en criant « la justice, c’est d’la marde ! » et prennent d’assaut le box des jurés. Le juge Nicols, outré, condamne sur le champ Lise Balcer à 6 mois d’emprisonnement, cinq femmes à un mois et les deux autres à deux mois pour avoir ajouté à leur propos « on nous viole encore » et. Quelques mois plus tard, les femmes obtiennent le droit de siéger comme jurées.

1989- Droit de choisir. Été chaud de la célèbre cause Daigle contre Tremblay. Dans cette affaire, Chantal Daigle, enceinte et aux prises avec un conjoint violent, décide de le quitter et de mettre fin à sa grossesse. En route vers la clinique, elle est interceptée par les policiers : une injonction vient d’être émise contre elle à la demande de son conjoint : interdiction de se faire avorter sous peine d’emprisonnement et d’amende pouvant aller jusqu’à 50 000 $ ! La Coalition québécoise pour le droit à l’avortement libre et gratuit qui regroupe maintes organisations féministes, syndicales et populaires, lance aux femmes un appel à la désobéissance civile : pas question que les femmes acceptent ce genre d’injonction sur leur ventre ! La Coalition offre son aide à toutes celles qui en auraient besoin, y compris à Chantal Daigle. Lorsqu’une seconde injonction vient confirmer la première, 13 000 personnes descendent dans la rue pour manifester leur colère. Déterminée, Chantal Daigle demandera l’assistance du Centre de santé des femmes de Montréal : elle sortira en douce du pays et obtiendra l’interruption de sa grossesse malgré les tribunaux ! Passibles de condamnation pour outrage au tribunal, Chantal Daigle, les militantes de la Coalition et du Centre de santé ont délibérément opté pour la désobéissance en riposte à l’abus judiciaire. Aucune poursuite ne sera intentée contre elles… Sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa, il était encore possible d’espérer une écoute attentive à la défense des intérêts collectifs plutôt qu’individuels ! Bien que souvent remise en question, la liberté de choix en matière d’avortement appartient aux femmes.

2010 - Marche mondiale des femmes. Devant le refus du gouvernement Charest de prendre en compte les revendications du mouvement des femmes, huit femmes occupent le bureau de la ministre à la Condition féminine. Elles revendiquent de meilleures conditions pour les travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle et les personnes assistées sociales, la fin de la privatisation des services publics et la marchandisation du bien commun, le respect des droits des peuples et des femmes autochtones, le retour de l’éducation sexuelle à l’école et l’interdiction du recrutement militaire dans tous les établissements d’enseignement du Québec. Vers minuit, la police de Montréal force les militantes à quitter les lieux devant une foule venue les appuyer.

2012- Droit collectif à une éducation accessible. Le gouvernement libéral a choisi d’ignorer les véritables enjeux du printemps érable et a contesté le droit de grève des étudiant-e-s. Ce même gouvernement, à l’origine de la judiciarisation de la lutte étudiante, a proclamé sur toutes les tribunes la primauté du soi-disant droit individuel à l’éducation au détriment des droits collectifs défendus par une majorité étudiante. Et ce même parti, maintenant à l’opposition, a tenté récemment de faire adopter une motion à l’Assemblée nationale, appuyée par le PQ et la CAQ, qui aurait affirmé que le Québec est une société démocratique, que l’autorité des tribunaux doit être respectée, que nul n’est au-dessus des lois… Tout cela au moment où le porte-parole étudiant Gabriel Nadeau-Dubois paraissait en Cour. Tentative du PLQ de faire cautionner sa gestion dure et paternaliste du conflit étudiant !? Québec solidaire refuse d’appuyer la motion !

2013- Idle No More. Les femmes et les peuples autochtones et leurs alliéEs déploient de nombreux moyens d’action, y compris la désobéissance civile, afin que les traités soient respectés et les terres protégées contre l’exploitation. Ce moyen d’action est légitime face à l’absence d’espaces démocratiques.

À la lumière de ces quelques faits historiques, nous désirons réaffirmer haut et fort que la désobéissance civile devant les abus politiques et judiciaires peut quelquefois être la seule issue pour l’avancement et la reconnaissance des droits fondamentaux. L’histoire des femmes, l’histoire des peuples, l’histoire des minorités le démontrent de façon incontestable !

Oui, les étudiants et les étudiantes du Québec ont raison de défendre leurs droits par la résistance. Non, il n’est pas acceptable de judiciariser un conflit politique. Non, la peur ne sera jamais une option collective !


•Ginette Bastien, militante féministe

•Joanne Blais, présidente, Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec

•Yasmina Chouakri, coordonnatrice, Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ)

•Alexa Conradi, présidente, Fédération des femmes du Québec (FFQ)

•Nathalie Goulet, directrice, Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)

•Claudine Jouny, présidente, Regroupement Naissance-Renaissance (RNR)

•Angèle Laroche, présidente, L’R des centres de femmes du Québec

•Diane Matte, coordonnatrice, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)

•Francine Mailloux, présidente, Fédération québécoise pour le planning des naissances (FQPN)

•Guylaine Poirier, présidente, Relais-femmes

•Danielle Tessier, agente de promotion et de liaison, Regroupement québécois des CALACS

•Nathalie Villeneuve, présidente, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugal


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