Édition du 7 mai 2024

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Afrique

Au Soudan, l’espoir n’est pas de mise

La guerre civile soudanaise est entrée le 15 août dans son cinquième mois. Alors qu’aucun vainqueur ne semble se dessiner à court terme et que le pays est coupé en deux, les belligérants refusent toute négociation sérieuse. La population civile, elle, paie le prix fort.

Tiré de Médiapart.

Au Soudan, la guerre entre dans son cinquième mois et elle s’enkyste. Les deux parties en conflit, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF selon l’acronyme anglais) et l’armée régulière (SAF, selon l’acronyme anglais) étaient réputées, avant le début du conflit le 15 avril dernier, être de puissance à peu près égale. Un peu moins d’hommes pour les RSF – environ cent mille contre cent vingt mille pour l’armée régulière – mais mieux entraînés, plus aguerris, plus motivés, mieux équipés, mieux payés. L’armée possède une force aérienne et une artillerie que les RSF n’ont pas.

Cette équivalence se vérifie sur le terrain : depuis deux mois, les positions sont quasiment figées. Le pays est divisé en deux. L’ouest et le sud sont aux mains des RSF, qui sont originaires de ces régions du Soudan et y tiennent le terrain de longue date. L’est et le nord sont contrôlés par l’armée régulière.

La capitale, Khartoum, objectif premier de chacun des belligérants, est elle aussi divisée en deux parties inégales. La métropole est constituée de trois villes construites chacune sur une des rives des deux Nil, le Blanc et le Bleu, qui se rejoignent en son cœur pour former le Nil proprement dit. Les forces régulières résistent dans une de ces cités, l’historique Omdourman, sur la rive ouest du Nil. Les deux autres, Bahri et Khartoum, sont occupées par les RSF.

Le général Abdelfattah al-Bourhan, commandant de l’armée régulière, est dit retranché, avec l’essentiel de son état-major, dans le quartier général des forces armées, encerclé par les RSF. Nul ne sait où se trouve le chef de ces troupes, rival d’al-Bourhan, le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti. L’un et l’autre font très peu d’apparitions sur les réseaux sociaux.

La CPI a annoncé ouvrir une nouvelle enquête

« Les deux ont pris conscience qu’ils ne pouvaient pas gagner cette guerre, explique un analyste soudanais qui désire, pour des questions de sécurité, rester anonyme. Mais ils ne se résolvent pas pour autant à des négociations. Ils en sont au stade de la consolidation de leurs positions à coups de lance-roquettes, de drones et de bombardements aériens. Ce qui a changé, c’est qu’ils ne tiennent absolument plus compte des civils qui vivent encore dans certaines zones de Khartoum. »

Les quartiers résidentiels de la capitale sont vides d’habitants. Ceux qui le pouvaient ont fui à l’étranger, ailleurs dans le pays, vers le nord, l’est et le sud-est, dans les régions tenues par l’armée régulière. Les autres ont trouvé refuge dans la périphérie de la capitale, dans les quartiers les plus pauvres qui n’intéressent pas les belligérants. Selon les agences des Nations unies, ce sont pas moins de 2,34 millions de Khartoumais·es, sur une population totale dans la capitale estimée à 8 millions, qui sont aujourd’hui déplacé·es.

Ailleurs dans le pays, les positions ne changent guère, même si des combats sont signalés autour de deux grandes villes du Darfour. À Nyala, grande cité commerçante du sud de la province, c’est le contrôle de l’aéroport qui est en jeu. À al-Facher, capitale de la grande province, ils brisent une trêve négociée par les leaders communautaires et religieux qui durait depuis plusieurs mois. « Le problème, explique un habitant d’al-Facher, c’est que beaucoup de civils sont coincés entre les deux armées et que ces affrontements fragilisent encore plus les déplacés, ceux qui ont fui les exactions des milices liées aux RSF dans les villages et les petites villes autour d’al-Facher. »

Moins que les affrontements armés, ce sont les massacres, tueries, viols et pillages qui caractérisent la guerre au Darfour.

Comme il y a vingt ans, les groupes « arabes » issus des éleveurs de bétail nomades, ainsi dénommés car leur langue maternelle est l’arabe, s’en prennent aux populations « non arabes », agriculteurs et éleveurs sédentaires aux langues maternelles « africaines ». Mais à l’époque, les premiers étaient armés et équipés par le gouvernement central. Aujourd’hui, ils commettent le même type de crimes aux côtés des paramilitaires issus des mêmes tribus arabes, et combattent aussi l’armée régulière.

Le niveau de violence est tel que plus de 360 000 personnes se sont réfugiées au Tchad voisin. Le procureur de la Cour pénale internationale a annoncé le 13 juillet dernier ouvrir une nouvelle enquête pour crimes de guerre, elle qui a inculpé cinq responsables de l’ancien régime, dont le dictateur déchu Omar al-Bachir en 2009, pour crimes contre l’humanité et génocide dans la guerre du Darfour commencée en 2003 et jamais vraiment éteinte.

Les islamistes de l’ancien régime sont de retour

Les témoignages des rescapé·es font état de massacres de masse, d’épuration ethnique, de violences sexuelles à grande échelle, et même d’esclavage. Un rapport de Human Rights Watch est venu les corroborer.

Dans les zones tenues par l’armée, pas d’exactions à cette échelle, mais des arrestations d’activistes de la révolution et le retour de toutes les institutions de l’ancien régime militaro-islamiste. « Tous les services de sécurité et de renseignement qui nous poursuivaient sous Omar al-Bachir sont de retour, et ils veulent se venger, constate un activiste depuis une ville de l’est du pays. Les islamistes ont décidé de profiter de l’occasion pour reprendre complètement le pouvoir. »

Lui a tenté jusqu’au bout d’apporter du secours, d’abord aux habitants de Khartoum puis aux déplacé·es, dans le cadre des comités de résistance, organisation phare de la révolution. Il s’est résolu mi-août à quitter le pays : « Mes actions sont trop entravées, et je ne réussis plus à assurer ma propre sécurité. Je vis caché. »

Le Congrès national, parti lié aux Frères musulmans, constituait le cœur du régime renversé en 2019. Il a été interdit après la révolution, mais les kaizan, comme les Soudanais·es surnomment les affairistes qui y sont liés, étaient toujours présents, plus ou moins discrètement. Aujourd’hui, c’est l’aile la plus idéologique qui a refait surface et encourage la guerre, dans l’espoir de regagner le pouvoir. « Ils tiennent les administrations, les municipalités, les ministères qui fonctionnent encore comme celui des affaires étrangères et celui des finances, reprend l’analyste soudanais. Ils poussent l’armée à poursuivre les combats, comme ils l’ont fait sous Omar al-Bachir au moment de la guerre contre le Sud [devenu Soudan du Sud en 2011 – ndlr] et du Darfour [à partir de 2003 – ndlr]. Mais ce conflit-là, pas plus que les deux autres ne peut être gagné. »

Les islamistes essaient de mobiliser les jeunes hommes, ils ont ouvert des camps d’entraînement. « Ils jouent sur la haine que la population voue maintenant aux RSF, et ils sont en partie entendus, car nous, les déplacés de Khartoum, nous sommes très nombreux et nous avons tout perdu, raconte un autre activiste, réfugié dans une ville du sud-est du pays. Rien qu’ici, il y a vingt sites, des écoles, des bâtiments publics, où s’entassent les familles qui ont fui Khartoum. Alors forcément, les gens écoutent les discours des islamistes et des militaires. »

Seulement, nombre de ces jeunes recrues ont été engagées dans une contre-offensive militaire à Khartoum. Qui a échoué. Beaucoup d’eux, à peine entraînés, sont morts dans des combats inégaux. Après quatre mois de guerre, la population déteste les RSF, mais n’aime pas les militaires et ne veut pas du retour des islamistes.

Quant à la communauté internationale et d’éventuels plans de sortie de crise : « Ce sont les vacances estivales, non ? », ironise aigrement l’analyste soudanais.

Gwenaelle Lenoir

Gwenaëlle Lenoir

Journaliste indépendante, spécialiste du monde arabe et de l’Afrique de l’Est.

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