Édition du 1er octobre 2024

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Budget du Québec 2022 : un conservatisme désuet pour faire face aux problèmes de l’heure

Après les perturbations sanitaires et économiques des dernières années, le 4e budget du ministre des Finances Eric Girard est marqué par la volonté d’engager le Québec dans une ère post-pandémique. Le gouvernement peut pour ce faire compter sur une situation budgétaire qui ressemble étonnamment à celle qui prévalait avant qu’il ne prenne le pouvoir en 2018. Des recettes fiscales imprévues placent le ministre dans une posture enviable et lui permettent de distribuer des cadeaux préélectoraux. Malgré cela, le budget 2022-2023 est marqué par des demi-mesures face aux défis de l’heure qui témoigne du conservatisme du gouvernement de François Legault.

21 mars 2022 | tiré du bloque de l’IRIS

Coût de la vie

On se souviendra certainement de ce budget comme celui des « 500 $ par adulte » puisque le gouvernement versera cette somme de manière ponctuelle à toutes les personnes de 18 ans et plus ayant un revenu de moins de 100 000$, soit environ 6,4 millions de Québécois·es. Face à la hausse soutenue des prix observée depuis 2021, le gouvernement avait déjà mis en place une prestation exceptionnelle pour le coût de la vie lors de la mise à jour de l’automne 2021, une aide forfaitaire unique allant jusqu’à 200$ par adulte pour les bénéficiaires du crédit d’impôt pour solidarité.

Cette mesure est hautement questionnable, puisqu’une personne gagnant 95 000$ recevra 500$, soit autant qu’une personne qui vit dans la pauvreté. Le gouvernement de la CAQ répond ainsi à une inquiétude légitime face à la hausse généralisée des prix, mais de façon tout à fait irresponsable : en offrant une bonne partie des trois milliards de dollars que coûtera cette mesure à des gens qui n’en ont nullement besoin.

Rappelons que le revenu médian au Québec s’élève à 28 100$. Soulignons en outre que plusieurs parmi les plus nantis ont largement profité de la pandémie puisque les actifs financiers que détiennent plusieurs d’entre eux ont considérablement gonflé durant la crise sanitaire.

Certes, le gouvernement du Québec a peu d’emprise sur les facteurs qui causent l’inflation(hausse des prix de l’énergie, hausse du coût des aliments, etc.). Mais plutôt que de se contenter de distribuer des chèques, il aurait dû miser sur une panoplie de mesures pour apporter de l’aide aux ménages pauvres et de la classe moyenne dont le gel des loyers, la construction de logements sociaux, la bonification de l’aide sociale ou le gel des frais de scolarité.

François Legault pourrait aussi facilement revenir sur la décision de son gouvernement de permettre à Hydro-Québec d’ajuster ses tarifs à l’inflation, un choix regrettable dont les ménages devront bientôt faire les frais. Cette proposition risque de frapper le portefeuille des Québecois·es à long terme alors que l’aide proposée ne sera que ponctuelle. De plus, la décision de coller les tarifs d’Hydro-Québec à l’inflation aura comme impact de soutenir la hausse générale des prix.

Le gouvernement prévoit aussi, en guise de mesure pour lutter contre l’inflation, de compléter la livraison de 3500 logements dans le cadre du programme AccèsLogis grâce à un montant de 247,0M$ qui apparaissait au budget de l’an dernier. C’est bien en dessous des demandes des municipalités et des groupes communautaires qui estiment respectivement qu’entre 4500 et 10 000 unités sont nécessaires pour combler les besoins actuels en matière de logement. Pire, ce budget signe la fin de ce programme, qui n’est plus financé après 2021-2022.

Cette tendance est inquiétante, car les 1000 unités prévues dans le cadre du Programme d’habitation abordable, qui s’adresse à des familles à revenu moyen, ne répondent pas aux besoins des ménages les plus pauvres. Fournir des logements à loyers modiques aurait pourtant constitué un moyen efficace de remédier à la hausse du coût de la vie pour ces ménages et, ce faisant, pour lutter contre la pauvreté.

Cadre financier

En 2022-2023, les revenus du gouvernement atteindront 138 481 M$ et les dépenses s’élèveront à 136 691 M$.

À ces dépenses, le gouvernement ajoute 2 355 M$ à titre de mesures de soutien et de relance liées à la COVID-19, 2 500 M$ à titre de provision pour risques économiques et 3 445 M$ en versements au Fonds des générations. Après l’ajout de ces sommes, le gouvernement québécois enregistre un solde budgétaire négatif de 6,4 G$.

Sur le plan de la gestion de la dette, on retrouve un gouvernement qui, comme celui qui l’a précédé, noircit le portrait des finances publiques en annonçant un solde budgétaire après versement au Fonds des générations et en maintenant ces versements même si les objectifs de réduction de la dette ont été atteints et dépassés, c’est-à-dire que la dette brute du gouvernement du Québec se retrouve sous la barre des 45 % du PIB. À 43,1 % du PIB en 2022, elle poursuivra sa diminution dans les prochaines années comme le montre le graphique J.4. Ces choix, alors qu’ailleurs dans le monde on tend à assouplir les exigences budgétaires, témoignent du conservatisme fiscal qui sévit au Québec depuis de nombreuses années, et ce, peu importe le gouvernement.

Comme le gouvernement libéral avant lui, le gouvernement caquiste se retrouve à bénéficier de revenus fiscaux imprévus importants. En effet, en comptant les 10,2 G$ supplémentaires en revenus autonomes (impôts et revenus des entreprises des gouvernements) et les transferts fédéraux plus élevés, le Québec conclut son exercice 2021-2022 avec près de 13 G$ de revenus supplémentaires. S’il n’avait pas comptabilisé la dépense liées au « chèque de 500$ » dans l’exercice qui se termine, le solde budgétaire de 2021-2022 aurait carrément été positif (avant versements au Fonds des générations) ! Il s’agit d’un retournement complet puisqu’on prévoyait il y a un an à peine un déficit de neuf milliards de dollars (ou même de 12 G$ après versement au Fonds des générations).

Chose certaine, ces recettes imprévues permettent au gouvernement de préparer les prochaines élections.

Services publics

Les budgets qui précèdent les élections, et qui sont inévitablement électoralistes, sont souvent plus durs à critiquer, ne serait-ce que parce qu’ils tendent à repousser à plus tard les détails des plans bien intentionnés annoncés par le gouvernement (santé, environnement, éducation, etc.), mais aussi parce qu’ils tendent à desserrer – un peu – les cordons de la bourse pour ne brusquer personne à l’approche d’un scrutin. Les portefeuilles de la santé et des services sociaux (+6,3 %), de l’éducation (+5,4 %) et de l’éducation supérieure (+13,1%) connaîtront des hausses appréciables, mais néanmoins insuffisantes pour combler les coupes survenues précédemment. Elles ne pourront assurément pas, si l’on reprend les vocables du budget, « rétablir le système de santé et services » ou « rehausser les soins et les services à la population » ou encore « soutenir la réussite et la persévérance scolaires » à la hauteur des attentes des Québécois·es.

Santé

En santé, l’objectif gouvernemental de rendre les soins et services « plus fluides, accessibles, humains et performants » (p. C3) est louable, tout comme l’est l’engagement « d’assurer une gestion décentralisée », une « gestion de proximité », de faciliter l’accès aux données, ou encore d’opérer un « changement de culture dans l’organisation du travail » (p. C7), mais tout reste à détailler. Ces valeurs tranchent par ailleurs, pour l’instant, avec les intentions pourtant affichées du gouvernement de faire appel davantage au secteur privé pour la prestation de services de santé au Québec. Les annonces en matière de soins de longue durée sont peu détaillées, ou carrément faméliques une fois de plus dans le domaine des services à domicile (100 M$) ou de l’aide aux proches aidant·e·s (38 M$). Le budget n’impressionnera personne non plus en matière de santé mentale et fait comme si le Québec n’avait aucun problème avec son régime général d’assurance-médicaments ou avec la rémunération des médecins (un enjeu qui a totalement disparu alors que la CAQ avait construit sa popularité notamment en promettant de réaliser des économies importantes dans ce domaine).

Ainsi, les dépenses annoncées pour 2022-2023 en santé se déclinent en deux catégories : le système et les services. Dans le premier cas, les deux tiers des 904 M$ prévus servent à payer le personnel en vertu d’annonces déjà conclues. Le reste concerne une modernisation (105M$) et des changements « importants » (195M$) dont l’essentiel reste à être connu. Dans le cas des services, outre les soins à domicile déjà mentionnés, notons les 75M$ pour les « premières maisons des aînés et maisons alternatives », pour un total assez peu spectaculaire de 234 M$.

Éducation

En éducation, l’impact financier d’une liste de 23 petites mesures se chiffre à 522 M$ pour l’exercice 2022-2023. Les plus importantes parmi ces mesures sont l’amélioration du parc immobilier scolaire (59M$), la bonification du tutorat (55M$), la location d’espaces pour combler des besoins (40M$) ou encore « l’apprentissage par le numérique » (35M$). En somme, beaucoup d’annonces qui visent de nombreuses tranches de l’électorat, mais des sommes qui ne transformeront rien.

Environnement

Le gouvernement ajoute 1G$ aux investissements déjà prévus dans le cadre du Plan pour une économie verte 2030, portant à 7,6G$ les sommes allouées à ce Plan. Les mesures qui découleront de ces dépenses ne seront toutefois annoncées que lors du dévoilement prochain du Plan de mise en œuvre 2022-2027.

Dans le cadre du présent budget, le gouvernement ne prévoit qu’un famélique 63,2M$ en 2022-2023 pour les mesures environnementales, un montant qui ne fait pas le poids face aux 1,1 G$ consacrés aux mesures visant à stimuler la croissance économique et qui montrent qu’une fois de plus, le gouvernement relègue la lutte aux changements climatiques et la protection de l’environnement au second plan.

  • 18,6M$ seront consacrés à la valorisation et à la réhabilitation des terrains contaminés.
  • Afin de stimuler la transition énergétique, 13,3M$ serviront principalement au déploiement d’une stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies.
  • Enfin, 31,3M$ permettront de soutenir les pratiques durables dans le secteur agricole, en matière de gestion des eaux usées et de réduction des matières résiduelles, entre autres.

En guise de soutien aux collectivités, des mesures totalisant 225,8M$ sont en outre prévues pour maintenir les services de transport des personnes et d’approvisionnement des communautés, ce qui est bien peu pour stimuler le développement du transport collectif dans toutes les régions du Québec, surtout celles où la mobilité repose principalement sur l’automobile.

Face à la crise climatique, le besoin de réduire notre dépendance aux énergies fossiles est pourtant plus criant que jamais. Le gouvernement aurait pu compter sur une panoplie de mesures, notamment au chapitre de l’efficacité énergétique, afin de réduire les émissions de GES du Québec. Rehausser significativement les investissements dans les transports collectifs auraient aussi permis d’une part de soutenir les sociétés de transport en commun, qui font face à d’importants déficits en raison de la pandémie, et d’autre part d’offrir une alternative aux automobilistes qui sont aux prises avec la flambée des prix de l’essence. Ce nouvel échec en matière climatique rappelle l’importance de se doter d’un budget carbone pour mieux guider l’action du gouvernement en matière environnementale.

Économie

Ce budget est présenté alors que le PIB s’est accru de 6,3% en 2021, que le taux de chômage est revenu à son niveau prépandémique, atteignant 4,5% en février, et que le Québec comptait 242 635 postes vacants en décembre 2021. Gardant le cap sur sa volonté de réduire l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario, le gouvernement propose malgré cela une approche qui vise à stimuler davantage la croissance économique en augmentant son appui au secteur de la recherche et de l’innovation, jugé déterminant pour augmenter la productivité des entreprises. Afin d’« accroître la prospérité économique », des initiatives de 1,1G$ en 2022-2023 sont annoncées.

Le plus gros de ce montant va aux mesures visant à accroître la productivité (492,1M$).

  • 321,4M$ servent à soutenir l’innovation et la recherche, notamment dans les domaines des sciences de la vie et des technologies, de la recherche sur les minéraux critiques et stratégiques et pour mettre sur pied ou financer des centres de recherche.
  • 150,0M$ visent à poursuivre le virage numérique
  • 20,7M$ visent à stimuler l’investissement en nouvelles technologies, l’entrepreneuriat et les exportations.

Un montant de 15,2M$ est prévu cette année pour favoriser l’intégration des personnes immigrantes à travers des mesures touchant à la francisation, l’attraction des immigrant·e·s en région et l’accélération du traitement des demandes.

Des initiatives totalisant 432,1M$ sont dédiées au développement économique des régions.

  • Ceci comprend des mesures pour soutenir le secteur du transport aérien régional (133,1M$) ;
  • le secteur bioalimentaire (161,0M$) ;
  • le secteur forestier (43,2M$) ;
  • le tourisme (94,8M$).

Notons aussi qu’en dépit des discours du premier ministre sur l’importance de promouvoir la culture québécoise, un maigre 159,1M$ est dédié au secteur culturel cette année, pourtant l’un de ceux qui a le plus souffert de la pandémie. Ce secteur stratégique, qui a des effets sur d’autres industries locales (restauration, hébergement, tourisme, etc.) et dont l’empreinte écologique est bien plus faible que d’autres, aurait pu être soutenu beaucoup plus fortement.

En résumé, plutôt que de soutenir sans distinction la croissance du secteur privé, le gouvernement aurait mieux fait de mettre le cap sur la transition écologique tout en veillant à soutenir les secteurs économiques les plus touchés par la pandémie.

Milieu communautaire et collectivités

Le budget prévoit une panoplie de mesures pour renforcer l’action communautaire et soutenir les collectivités qui se traduisent par des dépenses de 480,5M$ en 2022-2023.

Parmi les mesures notables, on retient celles qui ajoutent 148,9M$ au Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire.

  • De ce montant, 117,2M$ vont à bonifier et élargir le soutien à la mission globale des organismes communautaires, un soutien attendu de longue date par le milieu, bien qu’il ne couvre qu’environ le quart des besoins qui s’élèvent à 460M$ dans ce domaine. Il faudra voir si ce soutien est effectivement maintenu au-delà de l’échéance électorale.

Par ailleurs, 331,6M$ sont prévus en 2022-2023 pour « soutenir les collectivités ».

  • 18,0M$ sont dédiés à des mesures visant à lutter contre la violence conjugale ;
  • 34,7M$ servent à appuyer les communautés autochtones ;
  • En matière de soutien aux familles et aux jeunes, 10,8M$ sont utilisés pour améliorer la qualité du réseau des services de garde, 4,2M$ pour apporter une aide aux familles ayant des besoins particuliers et 1,1M$ pour soutenir la jeunesse. Rappelons que 50 000 places en garderies doivent être créées pour combler les besoins actuels des familles québécoises, alors que le gouvernement ne prévoit en ajouter que 37 000 grâce à des sommes annoncées dans le précédent budget.

Quatre années après son élection, le gouvernement de la CAQ ramène en quelque sorte le Québec à la case départ. Celui d’un gouvernement qui bénéficie d’entrées fiscales imprévues, mais qui prévoit enfouir ces sommes dans le Fonds des générations plutôt que de déployer une véritable vision du développement économique pour le Québec. Le seul développement qui peut répondre à terme aux aspirations de la collectivité interviendrait massivement pour répondre à la crise climatique, aux injustices sociales et à la démocratisation de l’économie. Bien au contraire, la CAQ consacre une maigre page de son budget (p. J22) à tenter de nous convaincre que c’est en réduisant le poids de la dette que l’on contribue à l’équité intergénérationnelle, que l’on assure un financement stable à l’éducation et la santé, qu’on lutte contre les changements climatiques ou qu’on fait face au vieillissement de la population. En somme, le gouvernement conservateur de la CAQ prend le problème à l’envers depuis son élection : plutôt que de prendre les moyens de régler les problèmes du Québec, il s’entête à respecter un rigorisme comptable qui n’intéresse plus personne au péril de l’avenir de la société québécoise.

Version mise à jour le 22 mars à 19h48.

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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