Édition du 10 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Gabriel Nadeau-Dubois et Québec Solidaire : Après le « pragmatisme », le « populisme » ?

«  Proche du monde » (Déclaration de Saguenay), « Pour une gauche au service des gens » (Le Devoir, 21 mai 2024), les slogans dernière mouture de QS brillent par leur ambiguïté et leur double sens malgré leur apparente simplicité, voire le simplisme du message qu’ils veulent transmettre.

Tout le monde semble d’accord pour dire que, en politique, le choix des mots utilisés est d’une grande importance parce qu’ils recèlent toujours une double signification : le sens « littéral » (premier degré de signification) et le sens « non-littéral » (deuxième degré de signification). Quand GND titre son article dans Le Devoir du 21 mai dernier : «  Pour une gauche au service des gens  », il dit deux choses en même temps même s’il semble n’en affirmer qu’une. D’abord, le sens « littéral » (le premier degré) du slogan va de soi ; GND, co-porte-parole de QS, un parti de « gauche », tient à ce que l’électorat sache que lui et son équipe sont entièrement disponibles, que leur raison d’être est de « servir » la population. Normal pour une formation politique qui aspire au pouvoir dans une démocratie parlementaire et qui doit, pour cela, briguer les suffrages.

Mais il y a un deuxième sens, sous-jacent (le deuxième degré), qui pose problème car, sans le dire explicitement, il renvoie à cette idée reçue que, traditionnellement, dans sa culture même et dans sa pratique, la gauche n’est pas au service des gens et qu’avec l’arrivée de QS sur la scène politique provinciale, les choses vont changer. Au service de quoi est-elle donc ? peut-on alors se demander. On est face au même problème avec le mot d’ordre de la Déclaration de Saguenay : « Proche du monde ». De quel « monde » s’agit-t-il exactement ? Qui fait partie de ce « monde » et qui n’en fait pas partie ? Encore là, cette façon d’inaugurer un Conseil National draine avec elle son lot de non-dits et laisse transparaître une intention qui n’a rien d’« innocent » car, comme on l’a dit plus haut, aucune prise de parole « officielle » n’est neutre et sans conséquences sur le plan politique.

Ce qui se profile devant les instances du parti depuis la déception électorale de 2022, c’est un attrape-nigaud qui a pour nom « électoralisme », « marketing », « auto-flagellation » sur la place publique où on s’excuse d’être à gauche et où on veut à tous prix rassurer les Québécois-es et les médias sur la non-dangerosité de QS. Tous ces slogans, ces interventions médiatiques, ces mises au point idéologiques, bref cette volonté affichée de recentrement s’inscrit dans une soi-disant « nécessité » de diluer les principes progressistes du programme, de les homogénéiser, de les rendre plus acceptables et digestibles pour la majorité dont a besoin une formation politique pour « gouverner », étant donné que GND a décrété l’« urgence » de prendre le pouvoir pour régler les graves problèmes qui nous affectent collectivement (environnement, logement, coût de la vie, inégalités, appauvrissement généralisé, etc.)

À moins d’avoir une baguette magique pour renverser la situation, les problèmes sont devenus « chroniques » parce qu’à la base, ils sont « structurels » et que la grande majorité des politicien-nes n’ose s’y attaquer sérieusement (à part la traditionnelle et répétitive déclaration de vœux pieux qui ne va pas plus loin que le banc des député-es et ministres qui les incantent pour soigner leur image). Car ce faisant, ils et elles s’attaqueraient aux fondements même de leurs privilèges de classe et/ou à l’essence même de leur vision du monde (sans parler d’une large part de la population qui rechigne déjà à l’idée d’adopter un autre mode de vie ─ plus frugal, moins consumériste, moins trépidant, moins battant, plus convivial, plus détendu et réflexif). Un tel exercice d’auto-critique et d’auto-réflexion serait beaucoup leur demander. Même un changement « pas-si-révolutionnaire-que-ça » (la réforme du mode de scrutin) est toujours remis aux calendes grecques pour des raisons délibérément « corporatistes » et « opportunistes » qu’on ne prend même pas la peine de cacher sous d’autres considérations plus « vertueuses »…

Précisons que tout ce qui vient d’être mentionné s’inscrit dans ce qui « est » (tous les obstacles à franchir pour atteindre nos objectifs) et non dans ce qui « devrait être » (QS au pouvoir, élu à la majorité, avec les coudées franches pour appliquer son programme). Il est important de rappeler que l’essentiel consiste dans les Idées, les Valeurs, les Projets qui animent QS et non le parti lui-même (il n’est qu’un véhicule). Cela étant entendu, il vaut mieux un Québec dirigé par des réactionnaires obligés de faire de « vraies » concessions à gauche à cause d’une forte opposition, bien structurée et organisée, avec une solide base populaire et citoyenne qui appuie concrètement les initiatives des progressistes au Parlement plutôt qu’un mandat solidaire, mi-figue, mi-raisin, dont les représentant-es seront lié-es par leur positionnement centriste et redevables de leur engagement à ne pas trop brasser la cage. Si la stratégie de GND s’avère fructueuse (ce qui est peu probable), il risque de se retrouver piégé et d’être en porte-à-faux avec ses véritables intentions, obligé de souffler à la fois le chaud et le froid.

Dernière considération : le contexte international. L’extrême-droite se rapproche de plus en plus dangereusement du pouvoir (législatif et présidentiel) en France. Aux États-Unis, Donald Trump a de sérieuses chances de remplir un deuxième mandat (autant sinon plus chaotique que le premier). Au Canada, malgré (ou grâce à) sa vulgarité, Poilievre est un sérieux candidat à la succession de notre Justin national dont le charme enjôleur ne séduit plus personne depuis longtemps. Et chez nous, le Parti Conservateur d’Éric Duhaime, fervent défenseur d’une économie libertarienne (à la sauce anarcho-capitaliste), frappe aux portes de l’Assemblée Nationale avec, derrière lui (sauf mon respect), tout ce que le Québec profond peut receler de « ploucs » en mal de « libârté ». Notre petit Peuple n’est pas imperméabilisé à tous ces courants dominants qui parcourent la planète dans tous les sens. Qu’ils soient au pouvoir ou non, les Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal et autres Christine Labrie devront faire avec.

Une note d’espoir pour terminer : Même s’il est encore trop tôt pour pouvoir se prononcer avec certitude, certain-es analystes prévoient un prochain gouvernement péquiste minoritaire. Ce qui signifie que QS pourrait bénéficier de la balance du pouvoir. Étant donné que les deux partis souverainistes ont des atomes crochus, ce serait l’occasion de faire adopter des projets de lois « progressistes » (environnement, logement, santé, mode de scrutin) en échange, peut-être, de certaines concessions quelque peu « crève-cœur ». On n’a jamais rien pour rien, surtout dans un système politique partisan…

Mario Charland
Shawinigan

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