Germain Dallaire
On parlait même du statut d’opposition officielle pour le Bloc. Plusieurs, chez les indépendantistes, se plaisaient à évoquer l’image des trois périodes : 1- Victoire du Bloc 2-Victoire du PQ 3- Victoire au référendum. Que s’est-il passé depuis ? Tout le monde connaît la réponse : la tempête Trump. Mais pourquoi cette tempête a-t-elle profité aux libéraux plutôt qu’au Bloc ?
La réponse à cette question se trouve dans la stratégie du Bloc, une stratégie clairement énoncée lors d’une entrevue donnée par Yves François Blanchet à l’émission de Benoît Dutrizac quelque jours avant le début de la campagne. L’élément central de cette stratégie est la mise sur la glace de l’indépendance, le temps que les négociations commerciales soient terminées. Selon M. Blanchet, l’indépendance se fera en période de stabilité économique. Outre que cela contredit à peu près toutes les expériences historiques, on a peine à comprendre ce qui pourrait pousser les Québécois à tout bouleverser quand ça va bien. Toujours est-il que tout en se défendant de s’intéresser aux sondages, M. Blanchet nous annonce pratiquement lors de cette entrevue un gouvernement libéral avec une balance du pouvoir pour le Bloc. Toute la campagne s’est déroulée dans cette logique, M. Blanchet n’ayant de cesse de pratiquer le mélange des genres en prenant fréquemment la posture du commentateur qui nous annonce un gouvernement libéral. Dans un excès de patriotisme canadien, il est même allé jusqu’à proposer un Buy Canadien Act. C’est seulement à la fin que, sentant la débâcle qui s’en venait, il avance que Mark Carney instrumentalise la peur Trump. Comme dirait l’autre « vaut mieux tard que jamais ».
Manifestement, M. Blanchet n’a tiré aucune leçon des plus de 25 années d’errance péquiste qui ont suivi le référendum volé de 1995. Pendant ces années, les dirigeants péquistes n’ont eu de cesse d’inventer des formules repoussant la tenue d’un référendum, le summum étant atteint sous Jean-François Lisée avec le référendum à un hypothétique deuxième mandat. Résultat, ils sont presque disparus de la carte et c’est seulement après avoir réaffirmé leur objectif fondamental sous PSPP qu’ils ont repris vie.
Les bloquistes n’ont récolté que ce qu’ils ont semé. Un parti indépendantiste qui ne met pas de l’avant l’indépendance n’est pas indépendantiste. À la limite, les électeurs pouvaient se dire « de toute façon, c’est pas la question » et c’est exactement ce que Blanchet leur disait. Des électeurs, tout indépendantistes qu’ils soient, ne peuvent aller plus loin que leurs leaders. M. Blanchet s’est placé en allié objectif de Mark Carney.
Mark Carney, l’avenir ne manquera pas de le confirmer, est rien de plus qu’un bleu peinturé en rouge. Avec lui, c’est le pire des deux mondes : conservateur au niveau économique et en continuité parfaite avec les politiques libérales sur les droits individuels. Il a commencé son règne en éliminant la taxe carbone, un vieux fantasme des conservateurs. Il s’est prononcé pour une gestion plus serrée des finances publiques mais avec une augmentation importante des budgets de défense en plus d’ouvrir grande la porte aux pipelines. Par rapport au Québec, malgré une résolution unanime de l’Assemblée Nationale, il a refusé de rembourser les 800 millions d’impôts québécois qui ont servi à faire son cadeau électoral au reste du Canada dans le cadre de l’annulation de la taxe carbone. Il nous a fait une démonstration magistrale de sa capacité à parler des deux côtés de la bouche lorsqu’il a annoncé contester la loi 96 en Cour Suprême et quelques jours plus tard, se placer en défenseur de la loi 96 face à un Trump qui considérait cette dernière comme une barrière tarifaire. Voilà ce que M. Blanchet appelle un chef parlable.
La suite des choses n’annonce rien de bon. Poursuivant comme si de rien n’était, M. Blanchet a annoncé son intention de collaborer avec Mark Carney. Ce dernier a d’ailleurs souligné l’ouverture du chef du Bloc sur la question des barrières commerciales entre provinces. Mine de rien, sur plusieurs éléments, ce dernier dossier touche à l’identité profonde du peuple québécois. Plusieurs de ces « barrières » concernent directement la protection de la langue française ou encore des protections que les travailleurs québécois se sont données au fil des ans. Le protectionnisme n’est pas que trumpiste !
Sur cette question du libre-échange, on a assisté, depuis l’arrivée de Trump, à un curieux revirement de situation qui a conduit directement à l’élection de Carney. Devant les extravagances de Trump, le libre-échange est devenu un idéal célébré unanimement par toute la classe politique et ses pigeons voyageurs que sont les médias. C’est oublier bien vite que nous sommes sous ce régime depuis une bonne quarantaine d’années. Le libre-échange, c’est rien de moins que l’abdication du politique et la remise en main du sort de nos sociétés entre les mains du capital et de sa recherche infinie de profits. Ici au Québec, nous vivons un exemple parfait de cette logique avec la CAQ. Nos services publics tout comme nos infrastructures publiques sont à la dérive. La CAQ ne trouve pas d’argent pour ces services mais elle en trouve pour faire des cadeaux aux entreprises. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, la CAQ a donné en moyenne 216 millions par mois aux entreprises soit 67% de plus que sous le gouvernement Couillard pourtant réputé proche du patronat.
Aux États-Unis, le libre-échange a été tout simplement dévastateur. Dans un article du Monde Diplomatique (Un autre protectionnisme est toujours possible), Benoît Bréville rappelle que, « depuis l’entrée en vigueur de l’Alena (1992), plus de 90 000 usines ont disparu aux États-Unis, soit presque 8 par jour. » Ce qui a fait pencher la balance en faveur de Trump en 2016 comme en 2024 est l’appui des États faisant partie de « la ceinture de rouille » (de la Pennsylvanie au Wisconsin). Des États jadis industriels et prospères qui ont été frappés de plein fouet par la désindustrialisation consécutive aux accords de libre-échange. Les électeurs de Trump ne sont pas que de gros épais.
Tout projet indépendantiste le moindrement conséquent se doit d’opérer une rupture avec le libre-échangisme. Faute de le faire, Blanchet s’est livré pieds et poings liés à Carney. Suite au résultat désastreux de l’élection fédérale, PSPP a fait une montée de lait face à la stratégie du Bloc. Pourtant, juste avant la campagne, il s’était aussi exprimé en faveur d’une mise sur la glace de l’indépendance le temps des négociations commerciales. Parler des deux côtés de la bouche est peut-être suffisant quand on aspire à remplacer un parti discrédité mais ce ne l’est sûrement pas pour mettre un pays au monde. Au cours des prochains mois, les indépendantistes devront choisir : suivre Carney ou développer un projet de pays mobilisant en rupture avec le ron-ron mortifère des 40 dernières années.
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