Le Projet de loi no 1 ou Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, officiellement présenté par le ministre de la Justice et également ministre responsable des Relations canadiennes, à savoir monsieur Simon Jolin-Barrette, représente pourtant une démarche incontestablement capitale pour la nation (incluant le territoire) du Québec.
Oser une telle démarche constitutionnelle peut s’avérer louable, dans la mesure où elle pourra asseoir la destinée de la population québécoise. Or, à partir de cette même justification, l’impression d’un empressement laisse poindre plutôt à l’horizon un risque, malgré les précautions précisées dans le projet de loi sur les possibilités d’y apporter des modifications. Une ouverture « large » au dialogue serait requise, dans le respect de notre démocratie. Il faudrait donc mobiliser plus que les politicienNEs sur la question. Si la Constitution représente « la loi des lois » (ANQ, 2025, Projet de loi no 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, Partie I, Titre premier, article 1, p. 8), alors il faut obtenir idéalement consensus sur ce qu’elle doit contenir et inspirer.
Après avoir défini la notion de constitution, une analyse sur quelques aspects du projet de loi servira d’abord à nous en faire une idée, de façon à nous questionner ensuite sur ce qu’elle devrait refléter en songeant à la société québécoise dans laquelle nous souhaitons et souhaiterions vivre.
Par constitution
Sans rechercher l’exhaustivité sur la définition historique de la constitution, nous choisirons plutôt quelques points d’appui. D’abord, la Magna Carta ou Grande Charte (1215) symbolise peut-être le mieux les premiers pas véritables vers une Constitution, dans la mesure où elle a servi de rempart politique et juridique contre les abus, voire même l’exercice tyrannique de la royauté anglaise de l’époque (Fauquier, 2018). Pour la première fois, un écrit servait ici à établir et à distinguer les droits du roi de ceux des barons, tout en mentionnant la façon de répartir le pouvoir. Apparaît en quelque sorte l’idée d’un contrat, comme l’a avancé John Locke (1802[1690]) des siècles plus tard. Bien entendu, un contrat qui lie des personnes conformément aux droits de la nature, d’après le philosophe anglais. Au-delà des relations hommes/femmes et maîtres/serviteurs, Locke s’inspire de l’humanisme en prétendant à la naissance de l’homme — nous ajoutons pour lui ici la femme — dans la liberté accordée par la nature. En l’occurrence, la formation d’une société exige le consentement par un grand nombre de personnes à sacrifier une partie de leur liberté naturelle, dans ce but exprès. Et ce consentement majoritaire serait à la base de la société comme droit de souveraineté. Le gouvernement royal doit alors être compris comme étant une partie de cette société souveraine, et se veut exécuteur du contrat entendu avec la population visée sur un territoire lui étant identifié. Montesquieu utilisera un autre terme que contrat, à savoir celui de la constitution. Sans définir la notion dans son Esprit des lois, il a su y apporter plusieurs descriptifs en l’associant à la forme de gouvernement — républicain, monarchique et despotique — qui la façonne à son image. On y apprend alors des « principes fondamentaux » qui caractérisent les constitutions afférentes, au point d’entrevoir les forces et les faiblesses des différents régimes politiques. Les rapports entre les gouvernantEs et les gouvernéEs sont identifiés, mais aussi entre les personnes ainsi qu’entre les personnes et les biens. En revanche, la meilleure constitution doit rappeler le rempart politique et juridique, de façon à diviser les pouvoirs — législatif, exécutif et judiciaire. Ces précautions de Montesquieu demeurent encore aujourd’hui présentes dans les constitutions de régime politique en particulier démocratique.
Ce rapide rappel permet d’associer une constitution aux principes fondamentaux par lesquels il y a forme du gouvernement, précisément sur les rapports entre gouvernantEs et gouvernéEs, la séparation (Locke) et la division (Montesquieu) des pouvoirs ainsi que leur organisation. Elle constitue en elle-même une « charte des pouvoirs publics », en ce sens où, en nous répétant quelque peu, elle détermine « les méthodes de désignation et les compétences respectives des institutions de l’État ainsi que leurs rapports juridiques » (Hermet, 2010, s.p.). Mais l’esprit de la Magna Carta demeure effective, c’est-à-dire de limiter l’arbitraire des pouvoirs publics du souverain, ou des autorités publiques ou encore des dirigeantEs.
Par ailleurs, quelle est la différence entre une charte et une constitution ? On pourrait vraisemblablement les prendre pour synonymes. Selon le sens commun, la charte se comprend telle une loi ou une règle fondamentale et, comme déjà dit, une constitution rassemble des textes fondamentaux, ce qui signifie alors plusieurs chartes touchant différents aspects (droits et libertés, famille, travail, etc.). Ce dernier point s’avère important, dans la mesure où il doit n’y avoir qu’une seule Constitution ou Grande Charte. Ainsi, le terme sert à titre distinctif, alors que normalement la Constitution s’écrit avec un « C » majuscule. Car c’est à partir d’elle que toutes les lois et tous les droits obtiennent leur légitimité, donc aussi toutes les chartes jugées nécessaires au fonctionnement harmonieux de la société à l’intérieur de son régime politique. Et c’est là que réapparaît Montesquieu, puisqu’à la société se frotte l’État avec ses pouvoirs. La Constitution établit d’ailleurs les paramètres du pouvoir de l’État face à ses citoyenNes, ainsi que leurs droits et libertés sur le sol de cet État. Toute constitution doit aussi, malgré la fixité souhaitée aux dires de Montesquieu, pour plus de stabilité dans l’espace et le temps, contenir une formule d’amendement, justement parce que nous évoluons dans un monde changeant et qu’il existe au sein de la nature humaine une inclination à orienter les lois d’une certaine façon susceptible de ne plus prévaloir dans l’avenir.
Ces précisions maintenant apportées, allons-y avec un nombre restreint de constats après lecture du projet de Constitution pour le Québec, présenté par le ministre de la Justice et également ministre responsable des Relations canadiennes.
Être rassembleuse
En tant que principale loi de la nation, la Constitution du Québec se doit de rassembler le plus possible l’ensemble de sa population qui accordera son consentement via éventuellement un référendum. L’article 1 dresse une liste d’attributs de l’État-nation, étant donc libre, française (par son identité, ses valeurs, sa culture, son histoire, son patrimoine et sa langue), reconnaissant un équilibre entre les droits collectifs et les droits et libertés individuels, de même que souscrivant à affirmer son identité nationale et culturelle. Or, la diversité s’avère atténuée, en plus d’exposer une hiérarchisation des principales communautés d’origine : celle française — surtout par la langue et la culture — vient au premier rang, suivie par la reconnaissance des peuples autochtones dont les droits ancestraux sont subordonnés aux droits collectifs ainsi qu’aux droits et libertés individuels, puis vient plus loin le respect accordé aux institutions de la communauté québécoise d’expression anglaise. Il aurait été préférable d’éviter ce genre de division ou de classification, afin de refléter davantage l’esprit d’une constitution québécoise rassembleuse. Les différentes origines devraient être placées côte à côte dans un même point, ainsi que les différents droits mis ensemble en un autre point. Cette modification n’empêche nullement d’attribuer une volonté chez la nation de respecter l’identité française, de faire donc de la langue française celle officielle, toujours en reconnaissant le commun accord des populations d’origine. S’il est dit dans le chapitre deuxième intitulé « De ses droits collectifs », précisément à l’article 13 (p. 9), que la population québécoise — dans son entièreté — peut disposer d’elle-même en vertu de « droits universellement reconnus », faisant du « principe de l’égalité de droit des peuples et de leur droit de disposer d’eux-mêmes » un principe à défendre, cela oblige d’entrée de jeu à favoriser une union solidaire des parties de la population québécoise d’origine, toujours dans cet esprit d’une Constitution du Québec rassembleuse. Pour compléter, cette avenue exige de revoir la formulation de l’article 50 (p. 12), faisant partie du Titre quatrième intitulé « De l’État national du Québec », au chapitre troisième « Du gouvernement du Québec », alors qu’il est écrit que le « gouvernement soutient activement l’essor des communautés francophones et acadienne » uniquement. Pourquoi ne pas privilégier plutôt cette formule : « Le gouvernement du Québec exprime sa volonté de soutenir toutes les communautés québécoises, sans exclusion, travaillant de concert au respect de la langue française » ?
Par ailleurs, l’intrusion soudaine de distinctions pouvant être rattachées à des droits collectifs, de même qu’à des droits et libertés individuels, en songeant ici au chapitre premier « Des principes fondateurs », toujours du Titre quatrième « De l’État national du Québec », risque de provoquer divers questionnements, alors qu’il existe déjà des chartes qui servent à détailler les grands principes. Nous faisons particulièrement référence aux articles 27 et 29 (p. 10) qui ciblent la protection des enfants et la liberté des femmes à interrompre leur grossesse. Pourquoi ne pas avoir inclut également un article sur la protection des aînéEs, qui peuvent être autant vulnérables que les enfants ? Pourquoi avoir ciblé les femmes au sujet de l’avortement ? Et pourquoi seulement l’avortement ? De nombreux cas de féminicide exposent également le besoin de protéger davantage les femmes, d’être donc plus interventionniste lors de moments de violence conjugale notamment. Introduire des spécificités de cette nature occasionne automatiquement une réaction à vouloir ajouter ce qui n’a pas été souligné. On s’éloigne encore une fois d’une constitution rassembleuse. Si on reconnaît le Québec comme « État de tradition civiliste » (chapitre premier « Des principes fondateurs », article 26, p. 10), donc de droit civil, cela permet aussi de ramener l’idée d’un fondement rassemblant les droits collectifs ainsi que les droits et libertés individuels, qui d’ailleurs apparaissent déjà au préalable « Des principes fondateurs » dans les Titres deuxième et troisième (p. 9). S’ajoute l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’article 28 (p. 10), qui s’avère certes louable et fondamentale, mais qui ne tient pas compte de la nouveauté contemporaine du phénomène LBGTQIA+, en se limitant à cette expression. L’égalité entre les femmes et les hommes pourrait donc être complétée par celle entre toutes personnes humaines, sans distinction.
Intégrité territoriale
Dans la Parti II du projet de loi concernant la « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », spécifiquement au chapitre IV intitulé « L’intégrité territoriale du Québec », les articles 18 à 21 (pp. 19-20) ramènent la notion de territoire aux terres, aux immeubles et aux biens publics. Selon Henri Dorion et Jean-Paul Lacasse (2011, p. 26), un territoire « se dit d’un espace terrestre (mais aussi maritime) avec lequel une communauté humaine ou un État entretient un faisceau de relations ». Autrement dit, le terrestre inclut tout ce qui est sur et sous le sol dans un souci d’utilisation, auquel s’ajoutent bien entendu les étendues d’eau, les rivières et donc les frontières maritimes. Il ne faut point non plus négliger l’air et la frontière aérienne. Par ailleurs, les biens privés font partie autant que les biens publics du territoire québécois, même si le gouvernement ne peut — dans le cadre de circonstances normales — les disposer à sa guise. Vouloir être plus précis sur la définition démontre l’importance de veiller à la défense du territoire dans ses plus infimes aspects, car le bien-être de la nation dépend de lui et de ses ressources. En lien avec ce dernier point, l’article 14 (p. 18), faisant partie du chapitre III sur « L’action gouvernementale », souligne les éléments à protéger et à promouvoir lors de négociations avec un autre palier de gouvernement du Canada. Outre la langue française, les droits collectifs, la culture, l’histoire, le patrimoine et l’autonomie québécoise, il est question de l’intégrité du territoire québécois. Or, celle-ci doit refléter également ce que Dorion et Lacasse mentionnent en termes de relations, ce qui insinue notamment l’activité économique. Si cet aspect n’apparaît pas dans l’acception même de la notion d’intégrité territoriale, cela signifie l’absence constitutionnelle d’une volonté de l’État québécois à protéger et à promouvoir l’économie du Québec. À noter toutefois un ajout en ce sens dans la Partie III du projet de loi intitulée « Loi sur le Conseil constitutionnel », alors qu’au chapitre II « Avis », à l’article 3 (p. 28), l’économie du Québec apparaît au point 7 des éléments que doit prendre en considération le Conseil constitutionnel afin de donner son avis au sujet d’une initiative fédérale.
Contestation de la loi et formule d’amendement
À l’intérieur d’une constitution, il doit y avoir une formule d’amendement ; par exemple, dans la Loi constitutionnelle du Canada de 1982, la Parti V présente la procédure de modification de la Constitution canadienne. En revenant à la Partie II du projet de loi concernant la « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », quelques modalités de modifications constitutionnelles sont exposées, c’est-à-dire essentiellement par motion au sein du Parlement. Le projet de loi reste quelque peu évasif sur ce qui peut mener à une modification, voire à un amendement, et sur les mesures de contestation qui pourraient en découler. Le plus surprenant est l’absence même d’un chapitre clairement identifié, afin de pouvoir nous y référer rapidement. Aucun référendum n’est prévu advenant une modification affectant les pouvoirs de l’État face aux citoyenNEs ou concernant les droits et libertés fondamentaux. Par ailleurs, le Parlement du Québec se donne la prérogative de la souveraineté parlementaire dans toute loi édictée (voir l’article 9 du chapitre II sur « L’action parlementaire », p. 16), sans possibilité de pourvoi judiciaire « fondé sur un droit ou une liberté visé par une telle disposition de souveraineté parlementaire, en vue de faire déclarer inopérante la loi ou la disposition visée par cette disposition de souveraineté parlementaire ». Il serait opportun d’être prévenant, de façon à apporter une précision d’usage, dans la mesure où l’exercice de la souveraineté parlementaire pourrait être remise en cause, lorsque des actions contraires à l’esprit de la loi (donc à l’esprit de la Constitution) surviendraient. C’est à ce niveau que la séparation des pouvoirs[1] reste essentielle, afin de permettre au judiciaire de freiner une législation susceptible de favoriser certains groupes au détriment de l’ensemble de la population, autrement dit, de s’opposer aux principes et aux droits déclarés dans la Constitution.
Prélude à la souveraineté « complète »
Guy Rocher (1996) avait noté dans le droit canadien une philosophie libérale, voire même un individualisme libéral, où les valeurs de liberté, d’égalité et de démocratie se rejoignaient dès l’origine. Mais cette vision « individualisée » de la société dans le droit civil se confrontait, et se confronte encore, à une autre collectiviste du droit public. En d’autres termes, dans le droit canadien se heurtent une vision axée sur les individus dans leurs relations entre eux, avec l’État ainsi qu’avec les biens du point de vue judiciaire, et une autre sociale qui concerne le législatif. Or, le Québec s’en sort mieux sur cet aspect, alors qu’il tend à réaliser l’équilibre des deux. Rocher a d’ailleurs comparé la Charte canadienne de 1982 avec la Charte québécoise pour aboutir à ces constats : la Charte canadienne en est une surtout politique, faisant de l’individu un citoyen, et donc se concentrant sur les relations entre les personnes et l’État, au point où la société civile n’a plus sa place ; tandis que la Charte québécoise tient compte à la fois des droits et des libertés de la personne, ainsi que des droits collectifs (économiques et sociaux), en plus de souligner la valeur de l’égalité. Ces différences se transposent évidemment dans les relations entre les gouvernements du Canada et du Québec. D’ailleurs, Rocher (1996, p. 59) a su éclairer dans le fédéralisme — soi-disant — équilibré, ce biais volontaire en faveur du pouvoir central fédéral qui s’est frayé un chemin jusqu’à la Cour suprême, au point de préciser : « Ce souci du rôle international du Canada, que l’on voulait voir assurer par le gouvernement central, explique peut-être pour une part que les revendications du Québec, principal tenant d’une conception plus décentralisée de la fédération canadienne, trouvent peu d’écho à la Cour suprême ». Cette supposition prend de l’importance en regardant plusieurs articles du présent projet de loi sur la Constitution du Québec.
Obtenir une représentativité à la Cour suprême et même au Sénat s’explique toujours du point de vue québécois (Partie II « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », chapitre V « La représentation du Québec », articles 22 à 24, p. 20). Mais on s’aperçoit surtout de l’utilité de la Constitution du Québec comme moyen de défense contre l’intrusion et l’ingérence du gouvernement du Canada dans les champs de compétences du Québec. Plus encore, se dénote une volonté d’autonomie et d’indépendance, susceptible — un jour — d’outrepasser la souveraineté parlementaire et culturelle. Même si le projet de la Constitution reconnaît la participation du Québec à la fédération canadienne, il y a mention dans la Partie II concernant la « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », précisément à l’article 3 du chapitre I sur « Les objectifs et le champ d’application » (p. 15), du fait que « [l’]État du Québec participe librement à l’union fédérale canadienne et contribue à son évolution [...] », ce qui à l’article 1 justifie l’affirmation de la souveraineté parlementaire du Québec, et ce, dans la défense « des intérêts supérieurs du Québec, son intégrité territoriale ainsi que sa représentativité au sein des institutions communes de l’union fédérale canadienne » (p. 15), à savoir aussi son autonomie constitutionnelle visant à permettre au Québec « d’exercer tous ses pouvoirs, d’accomplir toutes les responsabilités qui leur sont afférentes et de faire librement tous les choix qui en découlent, sans subordination à l’État fédéral et sans empiétements de celui-ci sur les compétences constitutionnelles du Québec » (p. 15). Les notions de liberté et d’autonomie se combinent ici. Agir librement dans les choix du Québec et souligner la participation libre à la fédération canadienne supposent tout autant le choix libre de ne plus y participer. En ce sens, le projet de Constitution du Québec, tel que rédigé, représente en quelque sorte une dernière chance à la fédération canadienne avant de basculer vers l’indépendance politique, même si l’intention consiste à mieux outiller le Québec contre les empiétements du fédéral. Autrement dit, apparaît cette épée de Damoclès ou cet avertissement d’une sortie de la fédération canadienne pouvant devenir réelle. Car demeure ce paradoxe — certainEs diront plutôt cette aberration — d’une Assemblée nationale souveraine, alors que la nation qu’elle représente ne l’est pas.
Qui plus est, l’autonomie exprimée et tendant vers une proximité à la souveraineté se révèle également dans les articles touchant les activités à l’international. Tout d’abord, dans la Partie I « Constitution du Québec », spécifiquement à l’article 58 du Titre cinquième intitulé « Des affaires extérieures » (p. 13), il est dit que « [s]eul l’État du Québec peut lier le Québec avec un autre État », forçant donc la main du fédéral à toujours discuter avec le Québec dans ses accords internationaux. Ensuite, à l’intérieur de la Partie II « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », à l’article 25 du chapitre VI « L’action internationale » (p. 21), on précise ce qui vient d’être cité en affirmant que « [l]e gouvernement peut déclarer que le Québec n’est pas lié par un engagement international ou une entente internationale conclu par le gouvernement fédéral et portant sur une matière relevant de la compétence du Québec lorsqu’il estime que sa participation à la négociation de cet engagement ou de cette entente n’était pas suffisante ». Ainsi, il n’est pas seulement question d’informer le Québec, mais de faire participer la province aux négociations du Canada avec l’international. Enfin, le projet de Constitution rappelle les propos de Rocher sur la vision décentralisée de la fédération canadienne du Québec, voire même sa définition de ce que cette fédération devrait être pour librement y participer. À ce titre, il est dit dans la Partie II « Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec », à l’article 13 du chapitre III « L’action gouvernementale » (p. 17), que les priorités du Québec « dans ses relations avec les autres partenaires fédératifs » doivent être tenue en compte, en plus d’identifier « les mesures pouvant susciter la participation des autres États fédérés dans la défense et la promotion d’intérêts communs ». En d’autres termes, la fédération canadienne rassemble des États autonomes — au mieux souverains — pour réaliser des buts communs, alors que chacun est partenaire dans cette union consentie, ce qui suppose le rôle de support du fédéral à ce partenariat et non sa prédominance sur les divers partenaires.
En définitive, si les caquistes à l’initiative du projet de Constitution ne sont pas indépendantistes, se constate néanmoins leur expression d’un droit à l’autonomie au sein d’une fédération canadienne « serviable » plutôt que « contraignante ». Mais l’avertissement reste clair sur une mesure extraordinaire, bien que non écrite, en lien avec l’éventualité d’une authentique indépendance.
Derrière le projet de Constitution
Pourquoi oser une telle initiative si tardivement dans le mandat du gouvernement ? En réponse, apparaissent les résultats des sondages défavorables au gouvernement actuel qui l’empressent à réagir afin d’éviter un désastre lors des prochaines élections. Face à l’avance du Parti québécois (PQ), la stratégie d’une Constitution québécoise force cet adversaire à se positionner. Certes, le PQ ne s’oppose point à l’idée d’une constitution. Par contre, l’indépendance du Québec y serait mentionnée et, idéalement, concrétisée au préalable. La Coalition Avenir Québec (CAQ) cherche donc à démontrer la possibilité d’une constitution, sans quitter la fédération canadienne, puisque la province possède déjà la liberté et le droit de le faire. Il n’empêche, comme nous l’avons noté, que l’ouverture à l’indépendance n’est pas oubliée. Mais il y a aussi un autre adversaire, à savoir le Parti libéral du Québec (PLQ), dont le chef est issu d’un ancien gouvernement fédéral et qui se dit prêt à signer la Loi constitutionnelle de 1982 dans la mesure où les cinq conditions à l’origine de l’entente du Lac Meech y soient incluses, pour ne pas dire enchâssées. Le projet de Constitution du Québec devient alors un défi pour un fédéraliste avoué. Par le fait même, la CAQ cherche à amener le chef du PLQ sur un sujet qu’il aurait assurément préféré éviter, d’autant plus que les faux pas peuvent et n’ont pas tardé à se produire chez ce dernier.
Par cette opération constitutionnelle, la CAQ tente de se présenter comme le parti capable de rassembler toutes les Québécoises et tous les Québécois : pour les électrices et électeurs plutôt fédéralistes et souhaitant des relations économiques avantageuses au sein du Canada, le projet de Constitution permet à la CAQ d’affirmer son intention de demeurer à l’intérieur de la fédération canadienne, mais aussi de démontrer son aptitude à pouvoir négocier avec le gouvernement fédéral, en se dotant donc d’une nouvelle arme de persuasion, tout en indiquant également aux électrices et aux électeurs souverainistes, peu favorable à un référendum, une éventualité de sortie, si nécessaire, parce qu’alors plus profitable pour le Québec. D’un côté, il est dit entre les lignes que la CAQ travaillera davantage aux intérêts des Québécoises et des Québécois en situation de fédéralisme, comparativement au PLQ qui risque d’être moins alerte et de laisser le fédéral empiéter dans les champs de compétences du Québec. De l’autre côté, la CAQ ne provoquera pas de référendum sur l’indépendance, d’autant plus que la population n’y est pas prête, comparativement au PQ qui dit vouloir aller en ce sens dès l’obtention du pouvoir. Voilà donc une manoeuvre qui, d’après la CAQ, pourrait influencer la suite des choses en vue de l’année électorale. Car le parti fixe le cadre législatif sur lequel il se basera pour obtenir un troisième mandat ; autrement dit, il se donne non seulement un outil électoral, mais un moyen d’informer la population québécoise de sa capacité à continuer son travail au gouvernement, et ce, en démontrant son intérêt pour l’avenir du Québec. Reste toutefois à savoir si cela se réalisera comme prévu.
Conclusion
En procédant tout d’un coup à l’élaboration d’un projet de loi pour offrir au Québec sa propre constitution, la CAQ a choisi d’imposer sa vision, forçant ainsi les autres partis à prendre à leur tour position. Le premier jet du projet de loi no 1 présente certains aspects intéressants et d’autres nous apparaissent comme totalement inacceptables (ou impertinents) et ne méritent pas d’y apparaître (exemples : le droit à l’avortement ; l’interdiction de contester devant les tribunaux certaines législations du gouvernement du Québec ; l’absence d’une véritable formule d’amendement ; la notion de « souveraineté parlementaire » qui peut donner lieu, éventuellement, à des manifestations assimilables à de l’absolutisme ou de l’autoritarisme, ce qui contrevient à une précaution selon laquelle il appartient aux tribunaux, et à eux seuls, de décider intimement si la volonté majoritaire des députéEs de l’Assemblée nationale est liberticide ou non, autrement dit constitutionnelle ou pas).
On ne peut faire du projet de Constitution du Québec un enjeu électoral, en raison de son importance pour l’avenir de la nation québécoise. La valeur du consensus apparaît, puisqu’une constitution ne peut être « colorée » politiquement par un parti. Ce point s’avère d’autant plus capital, dans la mesure où le consentement de la nation doit être aussi prise en compte, pour qu’ensuite l’Assemblée nationale procède à la mise en forme de la « loi des lois » pour le Québec. De là aussi l’enjeu de la souveraineté, ce qui insinue une réflexion sur ce que doit représenter la fédération canadienne et la place du Québec parmi les partenaires. En parallèle, elle peut aussi se déplacer du côté du paradoxe d’une souveraineté parlementaire pour une nation non souveraine. Mais l’ouverture du débat à venir laisse présager plutôt une avenue électorale, alors que le PLQ et son chef, anciennement du gouvernement fédéral, devront avancer sur un terrain glissant, tandis que le PQ devra manoeuvrer de façon à conserver son identité qui le maintien en position avantageuse d’après les sondages. Pour ce qui est de Québec solidaire, ses déchirements récents — et l’annonce du départ de certaines de ses figures de proue — en font un acteur qui se demande, à ce moment-ci, s’il survivra au prochain rendez-vous avec l’électorat. Rien n’empêche qu’il faut ne pas taire l’appel lancé par la cheffe parlementaire de la formation de gauche, madame Ruba Ghazal, aux autres chefs de l’opposition parlementaire (messieurs Rodriguez du PLQ et St-Pierre-Plamondon du PQ) à « bloquer l’adoption du projet de constitution québécoise de Simon Jolin-Barrette ».
Pour éviter un déroulement qui rappellerait le triste épisode de la domiciliation au Canada de l’AANB de 1867 et de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 — mieux connu sous le nom de Coup de force de Pierre Elliot-Trudeau —, toute entreprise de rédaction et d’adoption d’une loi dite constitutionnelle pour le Québec ou la Nation québécoise doit nécessairement prévoir clairement le cheminement suivant : la mise sur pied d’une Assemblée constituante ayant pour mandat de procéder à la rédaction d’une constitution prévoyant minimalement les droits et libertés des citoyennes et des citoyens, les pouvoirs de l’État et une formule d’amendement digne de ce nom ; le rôle des députéEs de l’Assemblée nationale dans ce processus ; et surtout, pour assurer ultimement la légitimité de la démarche, un référendum non pas consultatif, bien plutôt délibératif afin de clore le processus.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
24 octobre 2025
10h15 AM
Note
[1] Par séparation des pouvoirs, il est question de l’indépendance du judiciaire face à l’exécutif et au législatif.
Références
ANQ (Assemblée nationale du Québec). (2025). Projet de loi no 1. Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec. Présenté par M. Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable des Relations canadiennes (Deuxième session, quarante-troisième législature). Province de Québec : Éditeur officiel du Québec.
Dorion, H., & J.-P. Lacasse. (2011). Le Québec : territoire incertain. Québec, QC : Septentrion.
Fauquier, M. (2018). Une histoire de l’Europe. Aux sources de notre monde. Monaco, France : Éditions du Rocher.
Hermet, G. (2010). Constitution. Dans G. Hermet, B. Badie, P. Birnhaum & P. Braud, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques (7e éd. revue et augmentée, version numérique sans pagination). Paris, France : Armand Colin.
Locke, J. (1802[1690]). Traité du gouvernement civil. Paris, France : Calixte Volland.
Montesquieu, C. de Secondat. (XVIIIe siècle). De l’Esprit des Lois : Premier jet (Tome I, version manuscrite — archives de La Brède). Paris, France : NAF 12832.
Rocher, G. (1996). Études de sociologie du droit et de l’éthique. Montréal, QC : Les Éditions Thémis.
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