Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Le courage de porter une bonne parole

Réflexion sur le sens politique du co-porte-parolat de Québec solidaire

Alors que la course au co-porte-parolat de Québec solidaire est entamée, une question s’impose : que cherchons-nous vraiment à élire ? Un simple relais du programme, ou une voix capable d’incarner, d’orienter et de bousculer ? Si nous abordons ce sujet aujourd’hui, c’est parce que la course actuelle met en lumière une question trop souvent laissée dans l’ombre :qu’est-ce que signifie réellement « porter la parole » d’un parti comme le nôtre ?

Les statuts du parti décrivent les tâches du poste — représenter le parti, relayer les luttes sociales, coordonner le travail parlementaire — mais ils ne disent presque rien de son articulation politique : comment ces responsabilités s’exercent, avec quelle marge d’initiative, et quelle vision du rapport entre le parti, la rue et les institutions.

Deux visions du co-porte-parolat

Depuis la fondation du parti, deux conceptions du rôle s’affrontent, souvent sans se dire.
D’un côté, une vision fonctionnelle : le co-porte-parole comme gestionnaire d’image, garant d’un ton et d’une ligne qu’il ne faut pas dépasser.

De l’autre, une vision politique et mobilisatrice : celle d’un co-porte-parole catalyseur, capable de nourrir le débat, de relier la rue et le parlement, d’incarner un horizon collectif.

Le débat ne porte donc pas sur des styles de communication, mais sur la nature même du parti : un parti qui administre le consensus ou un parti qui assume la conflictualité féconde et la délibération démocratique.

Clarifier ce rôle, ce n’est pas une question de forme, mais de fond démocratique : c’est redire qui parle au nom du parti, et au nom de qui cette parole est portée.

Le co-porte-parolat n’est pas une fonction administrative, c’est un mandat profondément politique. Il s’agit de choisir la direction que nous voulons donner à notre parti, la manière dont nous voulons renouer avec les luttes populaires et la vitalité démocratique de notre base.

Québec solidaire n’est pas un parti comme les autres : il est né de la rue, des mouvements, des colères et des espoirs de celles et ceux qui refusent la résignation. C’est à cette hauteur-là que doit se situer notre débat : non dans la gestion des apparences, mais dans la construction d’un projet de transformation.

Loin d’un rôle neutre

L’article 12.4.1 des statuts du parti définit les co-porte-paroles comme les personnes chargées de représenter le parti publiquement, d’exprimer ses positions et d’assurer les liens avec les mouvements sociaux, les organismes et les institutions.

Mais cette définition dit tout du faire, et rien de l’être. Elle décrit la fonction, pas l’incarnation politique. Car représenter n’est pas répéter : c’est porter, traduire, articuler.

Ce rôle n’est pas un simple relais neutre d’un programme figé, mais un espace d’orientation et d’inspiration. Un·e porte-parole incarne une lecture du moment, une manière de concevoir la parole du parti dans l’espace public. Parler au nom du parti n’est jamais un geste administratif : c’est un acte politique, donc nécessairement conflictuel et situé.

Chaque co-porte-parole imprime une direction, même sans l’affirmer ouvertement. Par les thèmes qu’il met de l’avant, la façon dont il relie l’action parlementaire aux luttes sociales, il oriente la trajectoire du parti.

Prétendre qu’il n’y a « pas de tendance » ou « pas de différence politique » dans le parti, entre les candidatures ou anciens co-porte-parole du parti, c’est nier cette évidence, son histoire et la situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons. Toute prise de parole est un choix politique. Le langage, les thèmes, les alliances mises en avant traduisent une conception du rôle de Québec solidaire — un parti d’opposition parlementaire, ou un mouvement de transformation sociale.

La neutralité, surtout dans un parti de gauche, n’est pas synonyme d’unité : elle devient souvent le masque de la normalisation. La politique naît de la clarté des désaccords et du courage de nommer les choix collectifs.

Assumer une orientation, une lecture du moment, une vision stratégique, ce n’est pas diviser : c’est éclairer. Le courage politique ne consiste pas à ne froisser personne, mais à ouvrir les débats là où ils sont nécessaires, à rendre explicite ce qui est implicite, à redonner à la parole du parti sa fonction première : porter la transformation, pas l’équilibre.

La parole revient — et reviendra toujours — aux membres

Le rôle des co-porte-paroles n’a de sens que s’il s’enracine dans la parole collective des membres. Leur légitimité ne découle pas du simple fait d’être élu·e·s, mais du lien vivant avec celles et ceux qui militent et portent le parti au quotidien.

C’est à travers eux que circule le souffle politique de Québec solidaire — celui d’un parti qui ne parle pas à la place de, mais avec.

Pour la première fois, les co-porte-paroles seront choisi·e·s par l’ensemble des membres, au suffrage universel et par vote préférentiel. Ce changement transforme le rapport entre la base et la direction : plus inclusif, mais aussi plus fragile. Le risque, c’est qu’il devienne un exercice de notoriété, détaché de la dynamique collective qui donne tout son sens au co-porte-parolat. Car un parti de gauche n’est pas une entreprise où l’on choisit un visage : c’est un espace où l’on construit une direction, ensemble.

Notre responsabilité collective est donc claire : faire de ce moment électoral un espace d’éducation populaire politique, un moment de clarté et de débat sur la trajectoire du parti.

Le choix du 8 novembre ne portera pas seulement sur une personne, mais sur une orientation, une conception du rôle du parti, une lecture du moment historique. Et ce choix ne s’arrêtera pas au vote. Car les membres ne sont pas les spectateurs d’un processus : ils en sont le cœur, la conscience et le contre-pouvoir. C’est à eux que revient, ultimement, la tâche de veiller à ce que la parole portée en leur nom reste vivante, fidèle et transformante.

C’est ainsi qu’on redonne chair à notre démocratie interne : en reconnaissant que la parole politique du parti ne part pas d’en haut, mais d’en bas. Qu’elle ne descend pas vers la base — elle en émane. Et que si le ou la co-porte-parole doit être le moteur du débat, les membres en demeurent la boussole et la force motrice.

La clarté politique est une forme de courage démocratique

Refuser de débattre au nom de la neutralité, c’est céder à un réflexe technocratique : celui qui croit que la politique se gère au lieu de se construire. Mais la clarté, elle, est une exigence démocratique. Elle permet à un parti vivant d’assumer ses désaccords, de nommer les tensions et de choisir lucidement sa direction.

Les membres ont le droit de savoir quelle lecture du moment inspire leurs co-porte-paroles. Ils ont le droit de choisir, non pas entre des tempéraments, mais entre des visions.

Clarifier, c’est rendre visible ce qui structure notre action collective. C’est refuser l’ambiguïté confortable au profit d’un engagement lucide.

La clarté politique n’oppose pas : elle rassemble sur des bases assumées, redonnant au parti la confiance nécessaire pour débattre sans se diviser.

Redonner au parti le goût du débat

Québec solidaire n’a pas besoin de porte-voix prudents, mais de porte-parole politiques : des femmes et des hommes capables de relier la rue au parlement, d’incarner une parole ancrée dans les luttes, capable d’émouvoir autant que de convaincre.

Une parole qui inspire, qui confronte, qui dérange parfois — parce qu’elle est vivante.

Un co-porte-parole, ce n’est pas quelqu’un qui s’efface pour ménager les équilibres, mais quelqu’un qui parle pour faire avancer. Quelqu’un qui assume de porter la voix des luttes, même quand elle dérange, parce qu’elle appartient à celles et ceux qu’on entend trop peu.

Le co-porte-parolat n’est pas une fonction neutre : c’est un engagement collectif, le lieu où s’exprime la cohérence entre la base et la direction, entre la mémoire des luttes et l’avenir que nous voulons construire.
Et si la parole peut encore changer les choses, alors faisons en sorte qu’elle soit vraie, forte et juste.

Le Verbe s’est fait lutte.

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