I. Le piège fédéraliste : de la négation du droit à l’autodétermination à l’illusion du bon gouvernement
À la suite de la défaite du référendum de 1995, le gouvernement fédéral s’est doté d’une série d’instruments légaux et institutionnels pour protéger l’intégrité de l’État canadien et nier la volonté d’autodétermination du Québec — notamment la Loi sur la clarté, qui confère au Parlement fédéral le pouvoir de juger de la validité de la question référendaire et du seuil de soutien requis pour ouvrir des négociations advenant une éventuelle victoire du OUI.
Depuis des décennies, les gouvernements fédéralistes québécois — libéraux ou caquistes — répètent la même promesse : gérer « efficacement » la province dans le cadre canadien et défendre les « intérêts du Québec », sans jamais remettre en cause la dépendance structurelle envers Ottawa et le capital financier.
La CAQ incarne cette illusion du « bon gouvernement ». Elle prétend défendre l’autonomie du Québec, mais refuse d’affronter les rapports de domination réels : le pouvoir du capital pétrolier et minier, le contrôle fédéral sur l’immigration et la fiscalité, la soumission aux accords commerciaux et à l’OTAN. Son projet de constitution provinciale vise à figer un nationalisme sans portée sociale, réduisant la nation à une identité culturelle plutôt qu’à une communauté politique capable d’agir.
Le Parti libéral du Québec va plus loin encore : il défend un fédéralisme intégral et s’oppose à toute forme de souveraineté populaire. Ses discours, fondés sur la peur, prétendent répondre aux enjeux immédiats — économie, coût de la vie, santé — tout en minimisant la question nationale. C’est une tactique éprouvée, utilisée lors des deux référendums.
En somme, le bloc fédéraliste ne promet qu’une gestion technocratique de la dépendance et un approfondissement de l’ordre néolibéral, tout en niant les effets de cette subordination sur le peuple québécois.
II. Le retour du Parti québécois : nationalisme conservateur et ambiguïtés stratégiques
La remontée spectaculaire du Parti québécois, après des années de déclin, s’explique par l’épuisement de la CAQ et la nostalgie d’un projet d’émancipation nationale. En promettant un référendum d’ici 2030, Paul St-Pierre Plamondon parvient à canaliser un désir réel de rupture. Il cherche à rassembler un large éventail de forces sociales et politiques autour de l’aspiration à un pays, sans définir le contenu économique ou social d’un Québec indépendant, anticipant des campagnes parallèles pour différents segments du mouvement souverainiste.
Le PQ ne remet pas en cause les fondements économiques et institutionnels du Québec néolibéral. Il évite toute confrontation avec les grandes puissances économiques et ne propose aucune stratégie de transformation sociale. Pire encore, il tend à redéfinir la souveraineté sur des bases identitaires : en associant crise de la langue, immigration et survie nationale, il glisse vers un discours conservateur aux accents xénophobes.
Sous couvert d’unité nationale, il appelle à « rassembler toutes les tendances » — de la gauche à la droite — autour d’un référendum abstrait, sans contenu social ni démocratique clair. Mais une indépendance qui ne remet pas en cause les rapports de pouvoir existants n’est pas une libération. Il suffit d’examiner ses positions sur les droits économiques et sociaux de la majorité populaire, ainsi que son silence sur les politiques trumpistes, pour constater que son refus de définir le contenu de l’indépendance relève de la manipulation la plus éhontée.
III. Le danger d’une convergence avec le PQ
Certaines voix, au sein du mouvement souverainiste, appellent à « renforcer le camp du Oui » en appuyant le PQ comme « moteur du processus indépendantiste ». Mais cette stratégie de convergence, déjà expérimentée et toujours décevante, conduit invariablement à l’effacement des forces de gauche dans un projet national centré sur l’État plutôt que sur le peuple.
Converger derrière le PQ, c’est se soumettre à une logique électoraliste qui subordonne la souveraineté populaire à la conquête du pouvoir parlementaire. C’est renoncer à l’indépendance comme processus de transformation sociale et démocratique. C’est, enfin, risquer de cautionner un nationalisme identitaire qui divise et affaiblit le camp populaire au lieu de le rassembler.
On ne peut parler d’alliance électorale sans examiner les orientations politiques réelles des partis indépendantistes. Or leurs visions de l’indépendance s’opposent profondément : d’un côté, une indépendance d’État, technocratique et conservatrice ; de l’autre, une indépendance populaire, écologique et féministe, fondée sur la participation de toutes et tous à la construction d’une société juste et égalitaire. À cet égard, les choix du PQ en matière d’environnement, de ressources naturelles, de droits sociaux et d’équité témoignent d’une orientation incompatible avec une véritable rupture avec le néolibéralisme.
La Charte des valeurs défendue par le PQ, puis reprise par le Bloc québécois, a contribué à légitimer les préjugés envers les personnes issues des minorités ethnoculturelles. [1]En opposant les travailleuses et travailleurs entre eux, elle a détourné le débat des véritables rapports de pouvoir et de domination. Cette logique identitaire, qui prétend défendre la laïcité tout en stigmatisant des communautés, contredit les principes de justice, de solidarité et d’égalité qui doivent fonder un projet indépendantiste émancipateur.
Lorsque Paul St-Pierre Plamondon associe la crise du logement à une « immigration incontrôlée » et prétend que des « seuils astronomiques » d’immigration nuisent à la natalité ou explique les difficultés d’accès aus soins de santé, il recycle les discours réactionnaires qui font des personnes migrantes les boucs émissaires des échecs du capitalisme québécois. [2]
Pour la gauche, le véritable défi n’est pas de se rallier au PQ, mais de construire une alternative indépendante, capable d’incarner l’indépendance comme un processus de libération collective.
La majorité indépendantiste dont nous avons besoin ne naîtra pas d’un pacte entre partis, mais d’une alliance vivante entre les classes populaires, les mouvements sociaux, les syndicats, les groupes écologistes, féministes, antiracistes et les nations autochtones. C’est dans cette alliance, enracinée dans les luttes concrètes et les solidarités de terrain, que pourra s’inventer une indépendance du peuple québécois — une indépendance qui rompe avec le capitalisme, le colonialisme et toutes les formes de domination.
IV. Faire l’indépendance, c’est remettre en question l’intégrité de l’État canadien
L’impérialisme canadien n’acceptera jamais la séparation du Québec sans y opposer une résistance farouche. Cette hostilité ne tient pas seulement à des figures politiques comme Jean Chrétien, Pierre Elliott Trudeau ou Mark Carney : elle découle directement des fondements mêmes de l’État canadien. C’est l’ensemble de ses institutions, de son intégrité territoriale et de son rôle dans le système impérialiste nord-américain qui seraient remis en cause par l’indépendance du Québec.
Cette rupture ne pourra advenir que sous la pression d’un vaste mouvement populaire, capable de se déployer à l’échelle de tout l’État canadien, particulièrement dans un contexte marqué par la montée de l’extrême droite au sud de notre frontière. Le mouvement ouvrier et populaire du reste du Canada n’a aucun intérêt objectif à défendre l’impérialisme canadien ni son État, qui mène aujourd’hui une offensive contre ses acquis sociaux et contre les droits des Premières Nations.
Il est donc impératif, pour le peuple québécois comme pour la classe ouvrière du reste du Canada, de construire des alliances durables et des solidarités actives avec les forces progressistes et les nations autochtones. C’est par cette unité des luttes que pourra émerger une alternative commune à l’ordre impérialiste et colonial : un projet de libération fondé sur la souveraineté des peuples, la justice sociale, la décolonisation et la transition écologique.
V. Pour une souveraineté populaire, démocratique et écologique
Québec solidaire a la responsabilité historique de redonner un sens émancipateur au mot « indépendance ». Celle-ci ne peut se limiter à la création d’un nouvel État : elle doit signifier la reconquête collective du pouvoir sur nos vies, nos ressources et nos institutions.
Cela implique une indépendance :
• fondée sur la nationalisation démocratique des secteurs stratégiques (énergie, mines, forêts, numérique) et sur la planification écologique de la production ;
• qui garantit le droit à la santé, à l’éducation, au logement et à la sécurité du revenu pour toutes et tous ;
• qui promeut un Québec féministe, reconnaissant le travail des femmes, luttant contre la violence patriarcale et inscrivant l’égalité réelle dans la Constitution ;
• construite dans le respect des nations autochtones, de leurs droits territoriaux et de leur autodétermination ;
• qui rompe avec l’extractivisme et réoriente l’économie vers une transition juste et la préservation du vivant.
Ce projet ne peut être imposé d’en haut. Il doit naître d’un processus démocratique large : une Assemblée constituante élue au suffrage universel, où le peuple déciderait lui-même de la forme et du contenu d’un Québec indépendant. C’est ainsi que l’indépendance deviendra le cadre d’un renouveau démocratique, et non la couverture d’une nouvelle domination.
VI. Construire la majorité pour un Québec indépendant, égalitaire, féministe et décolonial
La tâche de notre génération n’est pas de répéter les débats du passé, mais de construire la majorité politique et sociale qui rendra l’indépendance incontournable. Cette majorité ne se formera pas seulement dans les urnes, mais dans les luttes : contre la privatisation du système de santé, pour le logement social, pour la justice climatique, contre le racisme systémique et pour la souveraineté alimentaire et énergétique.
Chaque lutte qui remet en cause la logique du profit prépare les conditions d’un pays libre.
Notre camp du Oui doit être clairement défini :
Oui à la souveraineté populaire, non à la centralisation technocratique mise de l’avant par les fédéralistes.
Oui à l’égalité et à la solidarité et à un Québec inclusif, non au nationalisme conservateur et fermé.
Oui à la démocratie sociale, féministe, écologique et antiraciste, non à la continuité du Québec néolibéral.
Renforcer le camp du Oui, — mais à condition de redéfinir ce Oui sur nos bases, celles d’un projet d’émancipation et de transformation sociale. Autrement, nous risquons de devenir les compagnons critiques d’un référendum mené au nom du peuple, mais sans aucun élargissement de la démocratie citoyenne.
L’avenir du Québec ne se jouera pas derrière le PQ ni dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Il se construira dans les quartiers, les milieux de travail, les universités et les régions, là où s’inventent déjà les solidarités concrètes. C’est de là que surgira la majorité indépendantiste capable d’imposer un Québec indépendant, libre, juste et solidaire.
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