Bloc 1 — Économie et transition socioécologique
Le premier bloc articule une vision où la crise climatique et la transition socioécologique constituent la base d’un nouveau modèle économique. La thèse centrale du texte initial Programme actualisé) est que les dérèglements climatiques sont à la racine des crises multiples et qu’ils exigent un redéploiement des priorités économiques autour d’une « économie verte et solidaire ».
La proposition 1.3 (Option B) du CAP écologiste, du CAP Indépendance du Québec et de l’Association de Viau vise à radicaliser cette orientation en reliant explicitement l’effondrement de la biodiversité et la crise écologique à la logique capitaliste. Cet amendement incarne la ligne de rupture, car il identifie clairement la logique capitaliste comme cause de la destruction du vivant.
L’opposition entre les versions « coordination nationale » et « CAP écologiste » ne porte pas sur les constats écologiques, mais sur le niveau de confrontation avec le capitalisme. Alors que la version officielle reste centrée sur la protection et la préservation, la proposition 1.8 Option B introduit la critique de la surproduction, du gaspillage et des industries destructrices (armes, obsolescence programmée, luxe). Ces propositions visent à inscrire explicitement le programme dans une logique de décroissance planifiée et de sobriété collective.
Sur le plan institutionnel, la tension principale réside entre une approche axée sur le développement de l’économie sociale et une approche de socialisation démocratique des grands secteurs économiques.
Plusieurs associations (1.13 – CAP écologiste, CAP Indépendance et NDG) réclament la remise en question de la propriété privée des grands moyens de production et la socialisation des monopoles stratégiques — notamment les banques, l’énergie et les grandes entreprises minières et forestières — sous contrôle populaire décentralisé. Cet amendement définit une ligne de rupture anticapitaliste, en opposition aux amendements plus modérés qui limitent la transformation à un élargissement du modèle coopératif ou collectif.
Le débat sur les critères à appliquer en cas de nationalisation illustre cette tension : d’un côté, une vision centrée sur des critères économiques (caractère stratégique des entreprises, capital nécessaire de l’État, échec du privé) ; de l’autre, une vision politique fondée sur la souveraineté populaire, l’emploi et la transition écologique (1.16). Les propositions les plus radicales plaident pour la nationalisation sans compensation, notamment dans les secteurs minier et énergétique, accompagnée d’un contrôle démocratique des travailleurs, des travailleuses et des citoyen·nes.
Les amendements sur l’entrepreneuriat (1.2.2) prolongent ce clivage : la version initiale tend à valoriser les PME comme moteur du développement local, tandis que les CAP écologiste et intersyndical dénoncent l’intégration du capital québécois aux logiques extractives et fossiles. Leurs propositions appellent à différencier les orientations économiques selon les secteurs (PME, grandes entreprises, capital extractif) et à nationaliser/socialiser le secteur industriel des grandes entreprises pour le mobiliser au service de la transition énergétique.
Enfin, les propositions sur la gouvernance territoriale (création de Conseils régionaux de transition) visent à décentraliser la planification écologique et à démocratiser les choix d’investissement. Elles introduisent une dimension nouvelle de planification démocratique régionale.
Bloc 2 — Habitation, énergie, ressources naturelles et travail
Le deuxième bloc relie les questions du territoire, de l’énergie et de l’habitation à celle de la souveraineté populaire sur les ressources. La thèse de fond est celle d’un habiter écologique et collectif du territoire, conciliant logement, biodiversité et aménagement démocratique. Les amendements introduisent des précisions importantes : protection de 30 % du territoire, création d’un service public de la biodiversité, reconnaissance juridique d’entités naturelles comme le fleuve Saint-Laurent. Ces propositions traduisent un déplacement vers une approche écocentrée du droit, où le vivant devient sujet de droit et non simple ressource.
Sur l’habitation, les divergences sont plus modestes : le débat se limite à des reformulations autour de la lutte contre la spéculation immobilière, de la régulation du marché locatif et de la part du revenu consacrée au logement (30 % ou 25 %). L’esprit général demeure celui du logement comme droit social, avec un accent sur les modèles communautaires, coopératifs et intergénérationnels.
C’est dans le domaine énergétique et des ressources naturelles que les clivages sont les plus nets. Les propositions du CAP écologiste et de Jean-Lesage appellent à la nationalisation complète du secteur énergétique, à la création de microréseaux municipaux publics, au refus de toute relance nucléaire et à la socialisation des entreprises œuvrant dans les énergies fossiles. Elles insistent sur la planification industrielle et la réduction radicale de la consommation d’énergie. La version officielle, plus prudente, parle plutôt de revaloriser les énergies renouvelables et de renforcer la résilience du réseau, sans remettre en cause la structure de propriété.
Le même débat traverse la section sur les mines et forêts : plusieurs amendements demandent le passage sous contrôle démocratique, l’expropriation sans compensation des multinationales et la gestion publique des forêts par les travailleur·euses, les communautés locales et les Premières Nations. Ces propositions visent une véritable socialisation des ressources, alors que le texte de base reste dans une optique de régulation publique.
Les amendements introduisent aussi la reconnaissance des droits des Premières Nations et la cogestion territoriale comme conditions de la transition.
Enfin, sur le travail, les amendements au chapitre Humaniser le travail soutiennent une réduction immédiate du temps de travail à 35 heures, puis à 32 heures, avec maintien du salaire, égalité des droits pour le temps partiel et extension des congés parentaux. La transition socioécologique s’y lie à la reconquête du temps de vie, dans une perspective féministe et antiproductiviste.
Bloc 3 — Santé et services sociaux
Le troisième bloc renoue avec la tradition de la santé publique universelle et de la prévention sociale. Le texte de base affirme que la santé passe par la lutte contre la pauvreté et le renforcement des services de proximité, notamment les CLSC. Les amendements de Notre-Dame-de-Grâce introduisent une orientation plus interventionniste : interdiction graduelle de la publicité sur les produits nocifs (alcool, tabac, jeu, véhicules polluants), traduisant une volonté de réencadrer culturellement la consommation dans une optique de santé publique.
Les amendements les plus nombreux de ce bloc concernent la reconnaissance des médecines traditionnelles. Plusieurs options s’affrontent :
• certaines (Options A, E, F) veulent reconnaître les savoirs millénaires, notamment autochtones, dans une logique de sécurisation culturelle ;
• d’autres (Options B, G) insistent sur la validation scientifique et la réglementation de ces pratiques ;
• une dernière (Option D) exige l’approbation des autorités compétentes avant intégration au système public.
Ces divergences traduisent un clivage entre une approche pluraliste et décoloniale de la santé et une approche rationaliste et scientifique stricte. L’option B (Rouyn-Noranda) cherche un équilibre en intégrant ces pratiques sous évaluation publique — une forme d’ouverture contrôlée, innovante sans rupture. Cette ligne propose un pluralisme responsable, tandis que celle de l’option la plus prudente (G) maintiendrait une santé publique plus conservatrice.
Bloc 4 — Fiscalité, familles, éducation et justice
Le texte original du Programme actualisé réaffirme la vision d’un État solidaire, fort et revitalisé, garant de la justice sociale et du financement adéquat des services publics. Le texte insiste sur la reconnaissance de l’action communautaire autonome, dont il entend respecter l’autonomie tout en assurant un financement stable à la mission des organismes. Plusieurs amendements soulignent le refus explicite de toute austérité, affirmant que l’investissement social n’est pas un luxe, mais une nécessité pour assurer la cohésion et la dignité collectives.
La section sur la fiscalité met l’accent sur une redistribution plus équitable des richesses et sur la lutte contre la pauvreté. En santé, le programme défend une approche globale centrée sur la prévention, l’accessibilité, la décentralisation, l’interdisciplinarité et l’universalité des soins, incluant un accès universel aux médicaments et une approche féministe et inclusive.
La réforme du filet social vise à assurer des services sociaux de qualité et accessibles, à revaloriser la protection de la jeunesse et à renforcer la sécurité résidentielle. La politique familiale proposée se veut inclusive, articulée autour de l’égalité dès la petite enfance, de la reconnaissance de la diversité des formes familiales et du droit de vieillir dans la dignité.
En matière d’éducation, QS réaffirme que l’égalité passe par un accès universel au savoir. La gratuité scolaire complète, de la petite enfance à l’université, fait l’objet d’un débat majeur : certaines propositions étendent la gratuité à tous les ordres d’enseignement, incluant la formation professionnelle et la francisation, tandis que d’autres insistent sur une priorisation progressive selon les capacités de l’État. Les discussions autour de la fin de l’école à trois vitesses témoignent d’une volonté commune d’unifier le réseau scolaire, mais des divergences subsistent sur le statut des écoles privées et sur les mesures concrètes pour garantir la réussite de tous les élèves, notamment ceux en difficulté (HDAA). Les amendements oscillent entre des formulations plus inclusives et d’autres plus normatives, sans opposition idéologique nette.
La section sur la justice est globalement consensuelle. Les modifications proposées portent surtout sur le rôle de la police : plusieurs contributions insistent pour que la force policière soit comprise comme un instrument de protection et non de répression, tout en reconnaissant les problématiques spécifiques vécues par les minorités racisées et nationales.
Bloc 5 — Culture et démocratie
Le programme réaffirme la vision d’une culture en commun, appuyée sur un réseau public de bibliothèques, de maisons de la culture et d’institutions locales ouvertes à la communauté. L’ajout d’une dimension de réutilisation du patrimoine bâti à des fins sociales et communautaires (logement social, hébergement d’organismes) reflète une conception de la culture ancrée dans le tissu vivant des collectivités plutôt que limitée à la conservation patrimoniale. Ces ajouts font consensus.
Sur le plan démocratique, Québec solidaire défend une réforme du mode de scrutin et de la carte électorale visant à renforcer l’équité et la représentation territoriale, tout en préservant l’indépendance des institutions électorales. Deux propositions concurrentes sur le droit de vote des personnes immigrantes cristallisent un clivage :
• la première (5.13, option A) l’accorde aux personnes ayant obtenu la résidence permanente depuis au moins deux ans ;
• la seconde (5.15, option B) l’étend aux personnes ayant déposé une demande de résidence permanente. Cette dernière est perçue comme plus inclusive.
Les sections sur la décentralisation et la laïcité reprennent les orientations du programme actuel. Un ajout important de Hull (5.18) condamne explicitement le détournement réactionnaire de la laïcité utilisé pour stigmatiser les minorités, notamment les femmes musulmanes, recentrant la laïcité sur ses fondements d’égalité et d’émancipation. Cet ajout se démarque de la rhétorique de la CAQ et du PQ en réaffirmant la laïcité inclusive et antiraciste de QS.
Bloc 6 — Indépendance et altermondialisme
Le chapitre sur l’indépendance articule une conception populaire, féministe et inclusive du projet de pays. Le texte du Programme actualisé propose d’associer l’ensemble des composantes sociales du Québec à la démarche constituante et de garantir les droits des personnes pendant la période de transition, incluant la protection des travailleurs fédéraux, des programmes sociaux et des statuts des personnes immigrantes.
Le débat majeur porte sur la composition et le mode de désignation de l’Assemblée constituante. Les propositions varient entre un tirage au sort, une élection au suffrage universel et des amendements qui proposent de ne pas se prononcer actuellement sur le sujet. La synthèse privilégie l’élection démocratique avec parité de genre et représentation proportionnelle de la diversité sociale, afin d’éviter la dépolitisation de l’exercice.
Les différentes options stratégiques pour la construction d’une majorité indépendantiste (A à F) ne reflètent pas de clivage de fond, mais des nuances d’expression. Elles convergent vers une vision de l’indépendance comme projet de société de rupture, anticapitaliste, anticolonial, écologique et démocratique, arrimé aux luttes sociales et aux mouvements populaires. L’enjeu principal demeure la manière de transformer la mobilisation sociale en force politique réelle. Présenter six options en discussion alors que celles-ci partagent la même orientation, comme cela se reflète dans les argumentaires, est difficilement compréhensible.
La dimension altermondialiste du Programme actualisé vise à inscrire un Québec indépendant dans un ordre mondial fondé sur la paix, la solidarité et la souveraineté des peuples. Les amendements principaux (CAP altermondialiste) renforcent cette orientation : l’option B maintient la ligne historique de QS, opposée à la participation à l’OTAN ou au NORAD et favorable à une refonte démocratique de l’ONU. Ce choix explicite marque une fidélité au pacifisme internationaliste du parti et rejette les formulations jugées trop vagues.
Bloc 7 — Féminisme, identités et peuples autochtones
Le Programme actualisé réaffirme la construction d’un Québec féministe et inclusif, intégrant la pluralité des genres. Les reformulations visent à actualiser le langage sans modifier la direction politique. L’amendement 7.4 (Jean-Lesage) introduit une rupture majeure : la reconnaissance de l’écoféminisme. En articulant patriarcat, capitalisme et destruction de la nature, cette proposition relie les luttes des femmes à la critique systémique de l’économie politique. Elle déplace le féminisme de l’égalité formelle vers une analyse de la reproduction sociale, du travail gratuit et de la domination violente — une vision révolutionnaire du care comme fondement du commun. Cette articulation entre féminisme, écologie et économie du soin renforce la cohérence du programme solidaire autour du prendre soin comme principe organisateur d’une société égalitaire.
Bloc 8 — Immigration, inclusion et langue française
Le bloc sur l’immigration met de l’avant une conception plurielle et inclusive du Québec, opposée à toute forme de racisme, de transphobie et de capacitisme. La proposition 8.6 (Comité de coordination national) est une proposition de rupture : elle critique les politiques migratoires dictées par le marché et redéfinit l’immigration dans une logique solidaire et planifiée, refusant la notion instrumentale de « capacité d’accueil ».
À l’inverse, la 8.8 (Hull) demeure purement quantitative et n’opère pas la rupture nécessaire avec la notion de capacité d’accueil.
Les propositions 8.11 à 8.13 convergent vers une intégration inclusive, mais c’est la 8.12 (CAP écologiste) qui maintient la dimension communautaire et territoriale. Enfin, la 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste) défend la régularisation massive des sans-papiers, position de rupture démocratique fondamentale.
Les amendements précisent que la langue française est à la fois instrument démocratique et socle du projet collectif, et que l’État doit garantir à chacun·e les moyens de l’apprendre. En matière d’intégration, les propositions convergent vers un modèle régionalement différencié, mais centré sur le financement adéquat des organismes communautaires.
Une proposition importante, 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste), défend la régularisation massive des sans-papiers et l’égalité de droits entre toutes les personnes résidant au Québec, consacrant ainsi la vision universaliste de QS d’une citoyenneté fondée sur la résidence et la participation plutôt que sur le statut administratif.
En somme
L’analyse des blocs 1 à 3 fait apparaître deux orientations divergentes :
1. Une orientation écosociale, qui privilégie la régulation publique, l’économie sociale et la transition progressive ;
2. Une orientation éco-socialiste de rupture, portée par plusieurs CAP (écologiste, indépendance, Jean-Lesage, Viau, etc.), qui prône la socialisation des secteurs stratégiques, la planification démocratique décentralisée et la confrontation explicite avec le capitalisme extractif.
Au niveau de son orientation économique et écologiste, le congrès de 2025 devra trancher entre une transition verte ou sa définition comme un parti de transformation anticapitaliste, démocratique et populaire de l’économie et de l’État québécois.
Les blocs 4 à 8 du Programme actualisé témoignent d’un resserrement du projet solidaire autour de trois axes :
1. Un État social fort, garant de la redistribution, de la justice et des services publics accessibles ;
2. Une démocratie inclusive et décentralisée, reconnaissant la pluralité nationale, culturelle et territoriale du Québec ;
3. Une indépendance populaire et altermondialiste, inséparable des luttes féministes, écologiques, antiracistes et autochtones.
Les divergences entre amendements dans les blocs 4 à 8 ne traduisent pas des ruptures idéologiques profondes, mais des choix significatifs entre des formulations techniques et d’autres plus militantes, entre la volonté de clarté stratégique et la prudence institutionnelle.












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