— Marvens Jeanty : Que représente pour toi le Mois Créole de Montréal ?
— Gayacaona : C’est un retour à la maison. Même si je suis née ici, j’ai grandi dans un environnement où le créole était parfois perçu comme une langue du passé. Ma mère est une fervente chrétienne qui m’a permis d’exercer le muscle de la foi, mais ne me parlait pas en créole, d’où la raison pour laquelle j’ai longtemps été gênée de le parler, et mon père un passionné de la musique qui me faisait constamment don du rythme haïtien à travers des musiques en créole. Tout ceci pour dire que j’ai grandi quand même dans un environnement où le créole haïtien a pu jouer un très grand
rôle. Le Mois Kreyòl , c’est l’occasion de montrer que cette langue vit, respire, évolue. C’est un espace de fierté.
— Marvens Jeanty : Ton nom d’artiste évoque la résistance et la mémoire. Pourquoi ce choix ?
— Parce que je voulais rendre hommage à nos ancêtres spirituels. La Reine Anacaona, dans l’histoire des Taïnos, représente la dignité. C’est un symbole de femme libre. En prenant ce nom, j’ai voulu me rappeler que chaque chanson que je chante est une lutte pour la beauté et la liberté.
— Marvens Jeanty : Quelle place occupe la femme dans ton œuvre ?
— Une place centrale. Je chante les femmes de ma famille, celles qui ont prié, souffert, résisté. Je veux leur donner une voix à travers la mienne. Et puis, la femme créole, c’est la mémoire du monde : elle porte le feu et la tendresse.
— Marvens Jeanty : Comment définirais-tu ta musique ?
— C’est une musique de passage. J’aime dire que je fais du “folk créole contemporain”. J’emprunte aux traditions, mais je les transforme. Je veux que mes chansons parlent aussi bien aux jeunes d’Haïti qu’aux jeunes du Québec.
— Marvens Jeanty : Que ressens-tu quand tu chantes en créole devant un public québécois ?
— De la fierté. C’est une manière d’ouvrir le dialogue. Souvent, les gens viennent me voir après un concert et me disent : “Je ne comprenais pas tous les mots, mais j’ai tout ressenti.” Et c’est ça la magie du créole : c’est une langue qui se comprend avec le cœur.
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Dans la mosaïque musicale de Montréal, où les langues se croisent et les cultures se répondent, s’élève une voix singulière, chaude, vibrante, enracinée dans deux mondes. Gayacaona, de son vrai nom Sanya Michel Élie, est une artiste haïbecoise (mot-valise formé à partir de Haïti et de Québec), un mot qu’elle fait sien pour désigner son identité double, entre Haïti et le Québec. Née et grandie à Montréal de parents haïtiens, elle est le fruit d’un métissage culturel fécond où se rencontrent les tambours du Sud et la neige du Nord.
En 2024 et 2025, elle a participé successivement aux 23e et 24e éditions du Mois Kreyòl de Montréal, un événement majeur initié par le KEPKAA (Komite Entènasyonal pou Pwomosyon Kreyòl ak Alfabetizasyon / Comité International
pour la Promotion du Créole et de l’Alphabétisation). Deux participations consécutives qui ne relèvent pas du hasard, mais d’une reconnaissance : celle d’une artiste qui, par sa voix, porte la langue créole au cœur du Québec, et la fait résonner comme une mémoire partagée.
Une voix entre deux mondes
Chez Gayacaona, tout est question de passage. Entre les continents, entre les langues, entre les héritages. Son univers musical s’ancre dans la tradition haïtienne , les rythmes du rara, du konpa, du twoubadou, mais les réinvente à travers des sonorités plus modernes : jazz, soul, reggae, électro.
Elle n’imite pas, elle dialogue, elle redonne vie à des chansons qui méritent d’habiter l’éternité. Elle fait se rencontrer les mondes.
« J’ai toujours senti que ma voix appartenait à deux terres, confie-t-elle. En Haïti, mes racines chantent ; au Québec, mes ailes s’ouvrent. »
Cette double appartenance, loin d’être un déchirement, devient pour elle une force. Gayacaona incarne une génération d’artistes diasporiques qui refusent de choisir entre deux identités. Être haïbecoise, c’est être pont et passage, mémoire et avenir.
Sur scène, sa voix a quelque chose d’incantatoire. Elle ne chante pas seulement : elle raconte, elle invoque, elle tisse des liens entre les âmes. Ses performances au Mois Kreyòl de Montréal en témoignent : un mélange de ferveur et de douceur, où la parole poétique et l’engagement épousent la transe musicale.
Le Mois Kreyòl : célébrer la langue et les racines
Le Mois Kreyòl de Montréal, fondé et porté par le KEPKAA, est devenu l’un des événements les plus importants de la diaspora créole au Canada. Chaque automne, il rassemble artistes, chercheurs, écrivains et musiciens autour
d’un même idéal : célébrer la langue créole sous toutes ses formes.
Durant les 23e et 24e Édition, Gayacaona y a tenu une place de choix. Sa voix, à la fois enracinée et aérienne, a séduit le public. Mais plus encore, elle a porté un message de fierté et de continuité culturelle.
« Sans minimiser les autres langues, le créole haïtien c’est ma manière d’aimer le monde, dit-elle. C’est une langue qui a survécu à la douleur, qui a appris à danser avec la mémoire. »
Sur la scène du Mois Kreyòl , elle chante non seulement pour le plaisir, mais aussi pour la transmission. Ses performances deviennent des cérémonies d’appartenance, où la diaspora haïtienne reconnaît en elle une ambassadrice
de son héritage.
Ses chansons, souvent écrites en créole et en français, évoquent la mer, les ancêtres, la résilience des femmes et la beauté du métissage. Dans un Québec en quête de diversité culturelle, sa présence incarne la vitalité du
patrimoine créole.
Un nom, une symbolique : Gayacaona
Le choix du nom Gayacaona n’est pas anodin. Il puise dans la mémoire des Taïnos, les premiers habitants des Caraïbes avant la colonisation. Gaya pour dire brave et Anacaona pour dévoiler la reine qui l’habite dès son enfance . D’ailleurs, la Reine Anacaona était une figure de résistance, une femme de courage et de dignité.
En adoptant ce nom, Sanya Michel Élie inscrit sa démarche artistique dans une continuité historique et spirituelle. Elle rend hommage à toutes celles qui ont tenu tête au silence, à l’oubli, à l’exil.
« Pour moi, Gayacaona, c’est la femme qui parle quand on lui dit de se
taire. C’est celle qui chante même quand le monde brûle. »
Dans sa musique, cette symbolique se traduit par une alliance de douceur et de force. Sa voix oscille entre prière et cri, entre mélancolie et espérance. Chaque chanson devient un territoire où la femme noire, la migrante, la poétesse et l’artiste se rencontrent.
Une artiste de la diaspora consciente de sa mission
Au-delà de la scène, Gayacaona s’engage dans plusieurs initiatives communautaires. Elle participe à des ateliers d’écriture théâtrale et à des projets éducatifs visant à valoriser le créole. Pour elle, l’art n’est pas une fin en soi, mais un outil de conscientisation. Elle parle couramment l’anglais et le français, mais laisse toujours la place au créole haïtien
partout où elle passe.
Elle se voit comme un pont culturel entre générations, un relais entre la mémoire haïtienne et la créativité montréalaise.
Dans ses chansons, les thématiques de la femme, de la terre et de la résilience reviennent souvent. Son univers est empreint d’une spiritualité douce, presque mystique, où le chant devient une prière.
« J’aimerais que mes chansons donnent du courage, dit-elle simplement. Qu’elles rappellent aux gens que la beauté peut encore naître de la douleur. »
L’art de la présence : entre poésie et conscience
Assister à un concert de Gayacaona, c’est vivre une expérience. Ses performances ne relèvent pas du simple divertissement. Il s’y passe quelque chose de plus profond : un échange d’énergie, un rituel d’écoute.
La scène devient un espace sacré où elle invoque la mer, les ancêtres, la mémoire des tambours. Sa voix, tour à tour grave et lumineuse, semble dialoguer avec l’invisible.
Cette dimension poétique s’inscrit dans une tradition haïtienne de la parole chantée, celle des troubadours, des prêtresses du vodou, des poètes de la négritude. Mais Gayacaona y ajoute une conscience contemporaine, une
esthétique de la fusion.
Elle fait de la musique, oui, mais aussi de la poésie incarnée. Et dans un monde saturé de bruits, elle choisit la justesse plutôt que le volume.
Une étoile montante de la créolité montréalaise
À travers ses deux participations au Mois Créole, Gayacaona s’impose désormais comme une figure montante de la scène afro-créole montréalaise. Son parcours inspire une génération d’artistes haïtiens et caribéens du Québec à affirmer leur voix, leur langue et leur héritage sans compromis.
Le succès de ses prestations témoigne d’une réalité nouvelle : la créolité montréalaise n’est plus marginale, elle devient un pilier de l’identité culturelle du Québec contemporain. Et Gayacaona, par son authenticité et son engagement, en est l’un des visages les plus lumineux.
Pour le moment Gayacaona travaille sur de multiples projets, dont celui de participer à une présentation théâtrale, et le 15 novembre elle sera sur scène avec l’illustre chanteur haïtien Alan Cavé dans le cadre de la 7ème anniversaire du Gala Radio Vertière.
Entre mer et neige se trouve Gayacaona
Entre la mer d’Haïti et la neige du Québec, la voix de Gayacaona trace un chemin de lumière. Elle chante pour rassembler, pour guérir, pour se souvenir. Sa musique est un lieu de passage, un pont suspendu entre la mémoire et le rêve.
Dans la blancheur du Nord, résonne la chaleur du Sud.
Et dans cette vibration, Montréal découvre ou redécouvre l’essence même de la créolité : une manière d’être au monde, libre, métissée, habitée par la beauté du multiple.
Marvens Jeanty
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