Du monocrate au nanocrate
Il s’agit de son ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Au sujet de son projet d’inscription dans une éventuelle constitution québécoise du droit des femmes à l’avortement, il prononce des déclarations loufoques, ronflantes et complètement insignifiantes, lire même absolument débilitantes. Il est convaincu que l’inscription de ce droit dans un document législatif, pompeusement coiffé du titre de « Constitution », en ferait une chose immuable et intouchable par les prochaines et les prochains parlementaires. Pour ce qui est des éléments de démonstration irréfutables à ce sujet ? Ils se font attendre. Monsieur Simon Jolin-Barrette n’apporte aucun fait vérifiable ou incontestable ici. Il demande, autrement dit, à être cru sur parole. Au Canada, l’immuabilité constitutionnelle n’existe pas, sauf erreur de notre part, il ne semble y avoir que les droits ancestraux des autochtones qui semblent jouir d’une protection à l’épreuve du temps et des gouvernements changeants (voir à ce sujet les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982). La preuve que des modifications constitutionnelles sont possibles au Canada la voici : le gouvernement du Québec est parvenu, en 1997, à faire modifier, avec l’assentiment des deux chambres du Parlement canadien et de l’Assemblée nationale du Québec, l’article 93 de l’AANB de 1867[1]. Nous en avons déjà trop d’avoir à endurer un monocrate. Il ne faut quand même pas nous prendre pour des cruches à remplir jusqu’à ras bord. Nous ne vivons pas encore dans une nomocratie, c’est-à-dire un régime dans lequel une loi s’avère fixée ad vitam aeternam, une fois pour toutes ou à tout jamais. Ce qui n’est pas le cas des lois en vigueur au Canada et au Québec. Il est même prévu, à l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, une formule d’amendement concernant « la charge de la Reine ». Même le principe monarchique peut être modifié ou aboli éventuellement au Canada. S’imaginer que l’inscription du droit à l’avortement dans la « Constitution du Québec » protègerait ce droit à tout jamais, relève du domaine de la fabulation fantaisiste, d’une idée saugrenue, d’une illusion absurde et du mensonge grotesque.
Sur le caractère démo-autoritaire du gouvernement Legault
En cette dernière année d’exercice du pouvoir par François Legault, si personne ne l’arrête, ou le rappelle à la raison, nous semblons nous diriger vers un gouvernement qui présente les caractéristiques d’un État démo-autoritaire. C’est-à-dire, quand le groupe parlementaire majoritaire s’incline devant la volonté du chef du gouvernement, quand la direction politique du chef s’exerce de manière autoritaire (en voulant notamment interdire aux associations, aux groupes, aux organismes, etc., leur droit de contester devant les tribunaux certaines lois déclarées par le gouvernement comme protégeant la « nation québécoise »), il y a lieu de s’interroger sur la nature de ce pouvoir politique qui s’appuie sur des résultats électoraux largement minoritaires et décide de suspendre, au nom d’un principe discutable, le droit de contester certaines lois gouvernementales devant des juges. On peut se demander si la démocratie parlementaire ne prend pas alors une direction autoritaire, c’est-à-dire, pour être plus précis, une direction démo-autoritaire.
Sur la légitimité du gouvernement Legault
Il faut rappeler ici que lors de l’élection générale du 3 octobre 2022, sur 6 302 789 électrices et électeurs inscritEs, la Coalition avenir Québec a obtenu 1 685 573 votes (soit 26,74% des voix). Elle a fait élire 90 députéEs sur 125. Un résultat étonnant qui présente une distorsion aberrante. La CAQ a certes la légitimité de pouvoir gouverner, mais jusqu’à quel point peut-elle prétendre être l’incarnation de la voix du peuple ? À une certaine époque, la volonté du roi était réputée conforme à celle du peuple : Rex est populus. Il y a, par contre dans une démocratie élective, une limite à avoir à supporter une fiction sans mot dire et sans maudire… Il n’y a, en ce moment, comme depuis fort longtemps, en raison du mode de scrutin uninominal à un tour, aucune adéquation automatique entre la volonté gouvernementale ou celle du premier ministre avec la volonté du peuple. Jusqu’à quel point avons-nous à accepter les fantasmes législatifs ou constitutionnels d’un seul homme ? Nous ne sommes pas dans un régime de souveraineté absolue. Ce gouvernement moribond, qui est à la traîne dans les sondages, peut bien prétendre se référer à la nation, il n’en reste pas moins que nous sommes témoins d’une démarche de François Legault qui relève de la volonté chimérique d’un politicien provincial qui veut affaiblir les syndicats et se présenter, sur d’autres enjeux, en authentique pseudo défenseur des droits des femmes. Les alignements du premier ministre comptable et affairiste trouvent plutôt leur inspiration dans une pure volonté de commandement unilatéral, car tout porte à croire qu’en ce moment, hors de son point de vue et de ses croyances, point de salut !
Une réaction compréhensible néanmoins
Malgré les critiques avancées, auxquelles s’ajoutent notamment des tergiversations qui ont fait réagir (la saga du troisième lien), des investissements perdus (Northvolt), des dépassements de coûts excessifs sur certains projets numériques (SAAQclic) et des décisions sur l’augmentation de salaires des députéEs, avant de régler les conventions collectives, il y a lieu de reconnaître qu’aucun parti politique n’est parfait (ce qui inclut le nôtre). Mais c’est devant l’adversité que se mesure la valeur d’un parti. Autrement dit, les représentantEs de la CAQ, en premier lieu le premier ministre, ont alors le devoir de démontrer à la population québécoise à la fois leur humilité par rapport aux décisions prises qui ont mené à des résultats douteux et de contrebalancer le défaitisme à leur égard en mettant l’accent sur des réalisations positives autant passées qu’à venir. Un grand facteur joue malheureusement contre le parti, c’est-à-dire le temps. Dans l’empressement, les faux pas peuvent se produire plus souvent qu’autrement, d’où l’importance de choisir des objectifs avec finesse. Cela signifie donc d’identifier des projets en nombre limité, mais suffisamment importants pour attirer les regards et susciter la curiosité. Mais la tâche exige aussi d’établir un échéancier plausible, tout en exposant la justesse de la planification en cours qui mériterait d’être poursuivie par ses initiatrices et initiateurs déjà en position de pouvoir.
Si la démarche suggérée insinue en quelque sorte une stratégie de charme auprès de la population, une seconde partie exige de miser non sur l’image à communiquer, mais sur les compétences des personnes ; autrement dit, sur leur capacité à la fois de dresser les étapes d’élaboration des projets – de loi ou autres –, de définir les échéanciers et surtout d’expliquer, dans l’art de la communication claire, les raisons derrières ces initiatives. Ces raisons ne doivent pas simplement reposer sur ce qui est attendu, bien plutôt sur les effets recherchés au nom de l’État et de la société civile, tant du point de vue économique, certes, que du point de vue social et sociétal, ce qui devient présentement essentiel en situation d’incertitude provinciale, nationale et avec l’international, à laquelle s’ajoute la morosité exprimée à l’endroit de l’actuel gouvernement.
Sans conteste, la pente est ardue pour les caquistes. L’annonce d’une constitution québécoise semble donc faire partie des quelques projets sur lesquelles le parti mise afin d’attirer les regards et donc d’inciter une discussion. Or, le temps devient un facteur majeur qui peut créer l’inverse de ce qui est recherché. En restant abstrait dès le départ sur les étapes de la discussion, les échéanciers ainsi que la valeur ajoutée perçue et susceptible d’être désirée par la population québécoise, le ministre Jolin-Barrette dévie de l’idéal d’une planification qui donnerait plus de poids à sa démarche. Voilà les risques de l’empressement, alors qu’un autre projet aurait peut-être été préférable dans les circonstances. L’enjeu du temps crée en plus une tendance à vouloir tout mener de front, sans recul, ce qui donne l’impression d’un autoritarisme qui peut effectivement devenir réel. Cette poigne sert à qualifier ipso facto la personne placée à la tête du parti, à savoir le chef et premier ministre. Bien que cette situation ne soit pas désirée par le principal intéressé, ses actions prouvent le contraire et donnent du poids à l’explication par l’empressement, du moins en raison du contexte, en espérant qu’il ne s’agit point d’une volonté délibérément disposée en ce sens. Si les présidents et premiers ministres autoritaires semblent avoir la cote, avec tous les effets pervers sous-jacents, il y a lieu de se questionner sur le type de dirigeantE que souhaite avoir les Québécoises et les Québécois. Une déduction rapide voudrait que leur choix penche du côté d’une personne raisonnable, soucieuse du bien commun, apte à réagir devant l’adversité, mais jamais celle-ci ne devra brimer les droits et libertés des individus et des collectivités.
Néanmoins, il y a une réaction, même si certaines personnes la juge trop peu trop tard. Pour la CAQ, il s’agit d’être convaincante aux yeux de la population québécoise, peu importe les critiques journalistiques et autres. Reste à savoir si les projets associés à cette réaction peuvent résonner jusque dans les intentions de vote. À la lumière de la présente critique, il faudrait faire plus et mieux. Le projet d’une constitution québécoise ne peut se faire sans un grand débat, ce qui ne semble pas apparaître jusqu’ici dans les intentions de la CAQ.
Conclusion
Le projet de constitution comporte une disposition qui vise à neutraliser, voir annihiler, la possibilité pour certains groupes de contester juridiquement certaines lois votées par l’Assemblée nationale. Ceci, selon nous, ouvre toute grande la porte à l’arbitraire de la décision politique. Place dorénavant – si le projet annoncé est adopté – à l’absolutisme du « décisionnisme caquiste ». Le souci d’affirmation de la suprématie de la souveraineté (parlementaire ou non) risque de l’emporter sur celui de la gouvernementalité. Il fait de moins en moins de doute que nous sommes maintenant devant un gouvernement qui présente des signes inquiétants de « décisionnisme discrétionnaire » habité par de l’inimitié, de la haine et de la vengeance face aux organisations syndicales.
Il faut oser interroger la légitimité des fins poursuivies par le gouvernement Legault. La légitimité s’articule ou prend forme sur le consentement des citoyenNEs et, lors de la dernière élection générale au Québec, c’est légèrement plus d’unE électeurTRICE sur quatre qui a accordé son vote à la CAQ. Nous pouvons aussi nous demander qu’en sera-t-il des lois imposées unilatéralement – pour ne pas dire à la va-vite – par un gouvernement de fin de mandat, voire de fin de règne ? Le prochain gouvernement n’aura probablement pas d’autre choix que de « scrapper » (pour reprendre une expression de Jacques Parizeau) ce que le premier ministre – mal avisé en ce moment – veut imposer, le tout grâce à sa majorité parlementaire aux assises électorales fragiles et largement minoritaires.
Le gouvernement de la CAQ ferait mieux de faire adopter des lois pour combattre la crise du logement, la dégradation du climat, le sous-financement de l’éducation, la pauvreté qui atteint de nouvelles couches de la population et ce autant chez les personnes âgées que les jeunes, etc…
La droite que représente François Legault n’est pas l’incarnation du droit. Le droit implique le droit de s’adresser au juge qui elle ou lui aura à définir le juste, le légal ou le constitutionnel. Il découle de ce précepte que nulle ou nul, selon nous, ne doit voir son droit limité par le législateur de contester devant les tribunaux la constitutionnalité des lois adoptées par une législature ou un Parlement. Et nous ajoutons que le droit des femmes à l’avortement n’a pas besoin d’être inscrit dans une loi ou une constitution.
Dans son Testament politique, Richelieu a écrit ceci : « en matière d’État, qui a la force a souvent la raison ». Nous ajoutons et précisons à notre tour que le parti qui détient la majorité parlementaire n’a pas nécessairement raison dans les orientations qu’il veut imposer unilatéralement et arbitrairement à la population ou à certains groupes ciblés.
Terminons le tout par une brève remarque de Hobbes (1971, p. 717) au sujet de la tyrannie : « Le nom de tyrannie ne signifie rien de plus, ni rien de moins, que celui de souveraineté ».
François Legault semble vouloir profiter des derniers mois qui lui restent, à titre de premier ministre, pour agir en souverain… souverain tyran, au sens hobbesien bien entendu.
Yvan Perrier
Guylain Bernier
17 octobre 2025
22h
Note
[1] Il y a eu huit modifications à la Constitution du Canada depuis 1982 : « 1. Proclamation de 1983 modifiant la Constitution – Modification multilatérale sur les droits des Autochtones, selon la règle des sept provinces représentant 50 % de la population. 2. Modification constitutionnelle de 1987 (Loi sur Terre-Neuve) – Portait sur l’inscription dans la Constitution des droits des écoles confessionnelles des Assemblées de la Pentecôte à Terre-Neuve. 3. Proclamation de 1993 modifiant la Constitution (Loi sur le Nouveau-Brunswick) – A consacré l’égalité des communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick. 4. Modification constitutionnelle de 1994 (Île-du-Prince-Édouard) – A dégagé le Canada de l’obligation d’assurer un service de traversier à l’Île-du-Prince-Édouard une fois que serait achevée la construction du pont de la Confédération. 5. Modification constitutionnelle de 1997 (Québec) – A permis au Québec d’offrir un système scolaire linguistique plutôt que confessionnel. 6. Modification constitutionnelle de 1997 (Loi de Terre-Neuve) – A permis à la province de créer un système scolaire laïc. 7. Modification constitutionnelle de 1998 (Terre-Neuve) – A permis à la province d’abolir le système scolaire confessionnel. 8. Modification constitutionnelle de 2001 (Terre-Neuve-et-Labrador) – A changé dans les conditions de l’union de Terre-Neuve le nom de cette province, qui est devenu « Terre-Neuve-et-Labrador » (https://www.canada.ca/fr/affaires-intergouvernementales/services/sujet-canada.html. Consulté le 17 octobre 2025).
Références
Hobbes, Thomas. 1971. Léviathan. Paris : Éditions Sirey, p. 717.
Thucydide. 1966. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Tome I. Paris : GF-Flammarion, p. 151 (II : chap. LXVI).
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