Édition du 18 novembre 2025

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Canada

Nous savons à quoi ressemble un accord commercial conclu par Trump, et c'est pire que vous ne le pensez

Les droits de douane imposés par Trump causent peut-être des difficultés économiques au Canada, mais ses récents « accords commerciaux » avec d’autres pays montrent que la situation pourrait empirer considérablement.

Tiré de Rabble

10 novembre 2025

Dans un récent article d’opinion publié dans le Globe and Mail, le chroniqueur Andrew Coyne a fait valoir que lorsque le Canada doit choisir entre un mauvais accord commercial et l’absence totale d’accord, la seule bonne décision est de « ne pas jouer ». Nous avons maintenant pris connaissance des détails des accords conclus par Trump avec le Royaume-Uni, l’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud, et il a raison. Signer un tel accord avec notre plus grand partenaire commercial serait une terrible erreur.

Conclure des accords avec Trump est périlleux. Même après les menaces, les insultes et les gesticulations, les accords eux-mêmes sont d’une rapacité éhontée. De plus, ces soi-disant accords existent dans une zone grise diplomatique. Il ne s’agit pas d’accords juridiques ratifiés par les parlements de toutes les parties comme l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) sur le libre-échange des marchandises. Ce sont des mémorandums soutenus par un décret, et c’est ce que souhaite Trump. Il peut les réviser quand bon lui semble, et les petites économies doivent se taire et l’accepter.

De mauvais accords

Après beaucoup de tapage, le Japon a conclu un accord douloureux en juillet. Les détails ont été révélés en septembre, notamment un droit de douane de 15 % sur les voitures japonaises et l’engagement d’investir la somme colossale de 550 milliards de dollars provenant de fonds publics aux États-Unis, au cours des trois prochaines années. Ce montant est si énorme que le nouveau gouvernement japonais est déjà en train de reconsidérer son engagement.

Plus important encore, cet argent sera géré par l’United States Investment Accelerator, un nouveau bureau du département du Commerce. C’est le gouvernement américain qui décide où investir, et non le Japon.

À la fin du mois d’octobre, la Corée du Sud a également été poussée à signer un accord. Une tendance commence à se dessiner. Les voitures Hyundai et Kia entreront désormais aux États-Unis avec un droit de douane de 15 %. Washington a de nouveau exigé une injection massive de liquidités. La Corée investira 200 milliards de dollars aux États-Unis et partagera les bénéfices avec les Américain·es. Un investissement supplémentaire de 150 milliards de dollars sera consacré à un partenariat dans le domaine de la construction navale.

Lors de la cérémonie de signature, la Corée a offert une couronne en or à Trump. Le symbolisme n’a échappé à personne.

À quoi le Canada peut-il s’attendre ?

Tous ces accords présentent quatre caractéristiques : des droits de douane punitifs, des investissements massifs aux États-Unis, des engagements excessifs en matière de sécurité et de dépenses militaires et un accès privilégié aux exportations pour les biens et les industries américains.

Jusqu’à présent, le gouvernement Carney n’a pas cédé à la pression. Mais Trump exige quelque chose de similaire pour le Canada, avec en plus l’humiliation de démanteler l’industrie automobile. Il veut que Ford, General Motors et Stellantis transfèrent leur production aux États-Unis. En octobre, les constructeurs automobiles ont commencé à se conformer à cette exigence lorsque Jeep et d’autres chaînes de production ont été transférées vers des usines américaines dans le Midwest.

Nous ne devrions pas être surpris·es. La Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada dans les années 1950, le rapport Watkins de 1968 et la Société de développement du Canada créée en 1971 ont tous prédit que la propriété américaine servirait les intérêts des États-Unis et non ceux du Canada. La succursale suivra toujours les directives du siège social lorsque les choses tourneront mal.

Dans un article du Wall Street Journal sur la situation actuelle en matière de droits de douane, le Canada arrivait en deuxième position parmi une douzaine de grandes économies, avec des droits de douane imposés de 35 %, auxquels s’ajoutent les 10 % supplémentaires promis par Trump pour avoir cité Ronald Reagan. Nous devons nous attendre à ce que l’offre finale de l’administration comprenne des droits de douane allant de 15 à 50 %. Les taux exorbitants sur le bois d’œuvre, dépassant 50 %, resteront très élevés, tout comme les droits de douane sur les métaux canadiens.

Nos industries de l’acier et de l’aluminium sont en grande difficulté et les travailleuses et travailleurs de l’Ontario et du Québec perdent leur emploi. Si nous voulons un accord qui préserve un certain accès au marché américain, nous devrons faire ce que l’UE, la Corée et le Japon ont déjà fait, et offrir des centaines de milliards de dollars en espèces que les Américain·es investiront dans ce qu’ils veulent.

En outre, nous devrons verser des dizaines de milliards de dollars à des dispositifs de sécurité américains tels que Golden Dome, en plus de l’augmentation des dépenses consacrées à notre propre armée. En échange, Trump pourrait accepter de réduire les droits de douane sur des secteurs cruciaux. Ou peut-être pas. Ou il pourrait modifier l’accord dès qu’il estimera pouvoir nous soutirer davantage.

Les producteurs d’énergie canadiens à forte participation étrangère bénéficieront d’un taux tarifaire réduit de 10 %, afin de maintenir les prix du gaz américain à un niveau bas tout en renforçant la position de la première ministre Danielle Smith lors du prochain référendum sur l’indépendance de l’Alberta.

La situation peut toujours empirer

Les observatrices et observateurs chevronnés savent que le Canada a peu d’options. Nous pouvons accepter un mauvais accord et le qualifier de victoire. Ou nous pouvons nous retirer des négociations et espérer que Trump n’intimidera pas le Congrès pour qu’il rejette l’ACEUM. 

Le gouvernement Carney adopte une position intermédiaire, gagnant du temps tout en négociant un accord moins ambitieux. Le Cabinet espère que les élections de mi-mandat et la Cour suprême réduiront la capacité de Trump à nuire à l’économie canadienne. C’est un pari risqué, mais les alternatives sont pires.

Rassembler des soutiens

Les principales industries canadiennes ont été durement touchées par les bombes commerciales de Trump. Les exportations forestières ont chuté de 25 % en raison des droits de douane américains. Les exportations de métaux et de minéraux ont perdu des parts de marché. Les exportations automobiles ont chuté de près de 10 % en juin par rapport à l’année précédente. Les biens de consommation ont chuté de 15 % en avril.

Au-delà des accords scandaleux signés jusqu’à présent, il n’y a pas de processus politique significatif dans le monde de Trump, pas de consultation approfondie, pas de voie claire à suivre. Personne ne sait où mènera la personnalisation autoritaire du pouvoir aux États-Unis. Et personne ne sait quel rôle joueront les institutions clés du Congrès et de la Cour suprême dans la révolution tarifaire de Trump.

Il est significatif que, après neuf mois de négociations, le public canadien ne sache pratiquement rien de nos positions sur les questions clés. Nous en savons plus sur les négociations de Trump avec la Chine que sur celles d’Ottawa avec Washington.

Si nous voulons traverser les années Trump sans que notre économie ne soit affectée, il est temps de commencer à sortir des sentiers battus. Mais nous avons besoin d’une créativité appropriée. Jusqu’à présent, tout ce que nous voyons de la part de nos amis européens et asiatiques, ce sont des variations sur le thème de la capitulation.

Carney doit mobiliser les Canadien·nes pour ce qui va suivre. Nous devons connaître les limites de notre gouvernement et savoir ce dont nous devrons peut-être nous éloigner. Avec 76 % de nos exportations destinées à un seul marché, le Canada est une proie facile pour Trump. Il n’est pas garanti que l’on puisse rallier le soutien du public pour s’opposer au géant américain, mais les discussions discrètes autour de la table des négociations ne fonctionnent clairement pas.

Nous arrivons rapidement à un point où faire beaucoup de bruit pourrait être notre dernière et meilleure carte à jouer. En d’autres termes, avec un soutien public actif très visible et une stratégie ciblée d’action collective, Carney pourrait bien acquérir le levier dont il a tant besoin pour conclure l’accord du siècle. Rester les bras croisés n’est plus une option.

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