Édition du 11 novembre 2025

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Ontario : Des millions de dollars de subventions pour l'exploration minière et des Autochtones lésés

Les allégements fiscaux accordés par le gouvernement financent des projets miniers sur le territoire de Grassy Narrows, au détriment des droits des Autochtones et des réserves d’eau de la région.

Tiré de Canadian Dimension
Le 6 octobre 2025 / DE : Anna Stanley
Traduction Johan Wallengren

La Première Nation de Grassy Narrows, soucieuse de préserver ses terres et ses eaux de la contamination industrielle, est à nouveau aux prises avec une société minière canadienne, puisqu’elle s’oppose cette fois au projet de Kinross Gold, société basée à Toronto qui a l’intention de déverser des eaux usées traitées contenant du sulfate dans le réseau fluvial dont elle dépend pour la pêche. Le projet a été initialement approuvé par le gouvernement de l’Ontario, mais la société a dû déposer une nouvelle demande après qu’un tribunal provincial distinct a jugé le projet déraisonnable. Selon les experts, le sulfate, qui ne sera pas éliminé des eaux usées, représente un danger supplémentaire pour la rivière Wabigoon, qui a déjà subi une contamination au mercure résultant de décennies de déversements industriels.

Le soutien de l’Ontario au projet Great Bear de Kinross va bien au-delà d’une réglementation laxiste. Au lieu de protéger Grassy Narrows et son environnement, la province, en collaboration avec le gouvernement fédéral, a discrètement subventionné une grande partie de l’exploration de manière à saper les efforts de la Première Nation pour protéger ses terres et ses eaux. Le projet Great Bear a reçu des subventions fédérales et provinciales totalisant plus de 63 millions de dollars, ce qui a permis de poursuivre une exploration qui, sans cela, n’aurait probablement pas trouvé de financement – et ce malgré les objections de la Première Nation de Grassy Narrows.

La plupart des activités d’exploration entreprises par Great Bear Resources ont été financées à l’aide d’actions accréditives, un mécanisme de financement fiscal dans le cadre duquel les risques liés à l’exploration sont « lessivés » pour les investisseurs.

Les états financiers préparés par Great Bear Resources – société à laquelle Kinross a récemment racheté le complexe dont il est question ici – et déposés auprès des Autorités canadiennes en valeurs mobilières révèlent que la société a levé un peu plus de 118 millions de dollars en actions accréditives entre décembre 2017 et février 2021. Cela représente une subvention fédérale et provinciale combinée de plus de 63 millions de dollars et des bénéfices après impôts pour les investisseurs pouvant atteindre 29 millions de dollars. La société a également reçu 100 000 dollars du Programme ontarien d’aide aux petites sociétés d’exploration minière pour financer l’exploration initiale du site.

Destinées aux particuliers fortunés dont les revenus seraient autrement imposés au taux le plus élevé, les actions accréditives récompensent les investisseurs en substituant un allègement fiscal à la croissance. Les investisseurs ne paient aucun impôt sur la valeur de leur investissement l’année où ils investissent. Lorsqu’ils vendent leurs actions, le produit de la vente est imposé comme un gain en capital à un taux inférieur à celui du revenu personnel. En outre, les investisseurs ont droit à un crédit d’impôt fédéral non remboursable équivalant à 15 % du prix d’achat des actions (appelé crédit d’impôt pour l’exploration minière ou CIEM), ainsi qu’à un crédit d’impôt similaire de 5 % pour l’exploration spécifique à l’Ontario. Le CIEM a récemment été porté à 30 % pour les investissements dans l’exploration minière critique.
Les dimensions coloniales de ces subventions méritent d’être examinées de près. L’opposition, la résistance et les revendications juridiques de la partie autochtone accroît encore la volatilité par rapport au caractère déjà spéculatif de l’exploration, au-delà de ce que même le « capital-risque » le plus tolérant est prêt à supporter. Sans subventions et en l’absence du consentement de la partie autochtone, l’exploration ne peut progresser et les concessions minières expirent.

Or, le financement accréditif permet de financer une exploration qui serait autrement trop risquée par le truchement de l’abandon organisé de recettes fiscales qui se matérialise par l’allégement des déclarations fiscales de particuliers fortunés. Le mécanisme en question joue un rôle essentiel pour ce qui est de faire avancer de force l’exploration en contournant la résistance autochtone, et il suppose une ponction massive de recettes fiscales.

À la différence des investisseurs derrière le financement des activités d’exploration, la province ne remplira guère ses goussets avec celle-ci. Les dernières déclarations fiscales montrent que Kinross n’a payé aucun impôt aux gouvernements fédéral ou provincial en 2024 (ce qui n’est pas surprenant, puisque l’exploration est subventionnée et non imposée). En revanche, les actionnaires de la société, notamment les banques canadiennes et d’importants fonds de pension du secteur public tels que le Régime de retraite des enseignants de l’Ontario, la Société de gestion des investissements de l’Ontario et Investissements PSP, auraient empoché plus de 20 millions de dollars américains (sur la base des participations actuelles) grâce aux dividendes versés par Kinross au cours d’un seul trimestre financier en 2024.

Si l’exploitation de la mine démarre, il n’est pas non plus évident qu’elle générera des recettes fiscales appréciables. Selon ce que prévoit le régime fiscal de l’Ontario, les deux premiers millions de dollars de bénéfices nets ne seraient pas imposés, pas plus qu’une exemption annuelle de 500 000 dollars de bénéfices. Une redevance de 10 % s’appliquerait à tous les bénéfices restants. En outre, comme l’ont souligné les experts, les sociétés ne manquent pas de moyens légaux pour dissimuler leurs bénéfices et éviter de payer des impôts. Kinross possède plusieurs filiales enregistrées dans des paradis fiscaux connus, notamment des sociétés de portefeuille au Luxembourg et aux îles Caïmans qui ne déclarent aucun personnel. En 2024, Kinross a déclaré un chiffre d’affaires brut de 5,14 milliards de dollars américains pour l’ensemble de ses activités et n’a payé que 337 millions de dollars d’impôts.

Le gouvernement de l’Ontario n’a cessé d’entraver les efforts déployés par la Première Nation de Grassy Narrows pour réhabiliter son bassin versant : il a ignoré une déclaration foncière établie en vertu du droit autochtone qui interdit l’exploitation minière et toute autre utilisation industrielle des terres ancestrales de la Première Nation ; il a refusé de reconnaître la création d’une aire protégée et de conservation autochtone ; et il s’est traîné les pieds dans l’enquête sur l’un des sites de contamination industrielle les plus notoires et les plus dévastateurs de l’Ontario. Au mépris total des droits autochtones et des lois de la Première Nation, le gouvernement Ford a présidé à l’exploitation de centaines de milliers d’hectares du territoire ancestral de celle-ci, principalement pour l’or, et a délivré des permis d’exploration sans l’en informer ni la consulter. Ces initiatives sont directement soutenues par des subventions à l’exploration, qui transfèrent le risque financier au public tout en enrichissant les investisseurs privés.

L’enjeu n’est pas seulement la politique fiscale ou le financement des sociétés, mais la santé d’un peuple et l’intégrité de son bassin versant. Pour la Première Nation de Grassy Narrows, le choix est clair : oui à une eau propre, à une véritable remise en état et au respect des droits et acquis autochtones, non à un autre projet industriel subventionné menaçant d’aggraver une situation déjà désastreuse.

* Dr Anna Stanley est professeure adjointe au département de géographie, d’environnement et de géomatique de l’université de Guelph.

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