Édition du 16 décembre 2025

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Canada

« Je viens de la base » : Rob Ashton veut reconstruire le NPD à partir de la classe ouvrière

Ashton représente quelque chose de de plus en plus rare dans la politique fédérale : un leader issu directement de la base.

Depuis des années, des critiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Nouveau Parti démocratique avertissent que le parti s’éloigne de sa base historique. Élection après élection, le NPD a du mal à établir le contact avec les électeurs et électrices qu’il a été créé pour représenter : les personnes qui travaillent dans les entrepôts, les écoles, les docks, les bureaux, les hôpitaux et les usines du Canada, et qui se sentent de plus en plus abandonnées par une classe politique qui ne tient pas compte de leur opinion.

Tiré de Canadian dimension

10 décembre 2025

C’est dans ce contexte que Rob Ashton, docker et dirigeant syndical, a lancé sa candidature à la direction du NPD. Nouveau venu en politique au sens traditionnel du terme, M. Ashton n’a jamais occupé de fonction élective. Mais il a passé plus de trois décennies sur les quais et dans les salles syndicales, gravissant les échelons jusqu’à devenir président national de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU). À une époque où le Parlement canadien est dominé par des avocat·es, des consultant·es et des gestionnaires professionnel·es, Ashton représente quelque chose de de plus en plus rare dans la politique fédérale : un leader issu directement de la base.

La candidature d’Ashton est un pari sur le fait que le parti ne pourra renouer avec les électeurs et électrices de la classe ouvrière que s’il est dirigé par quelqu’un qui parle leur langage, non pas comme une tactique rhétorique, mais comme une expérience vécue. Il soutient que le NPD doit à nouveau nommer le conflit de classe pour ce qu’il est et se battre sans complexe pour les personnes écrasées par le pouvoir des entreprises et la complaisance politique.

Lorsque nous nous sommes assis pour discuter, Ashton a été catégorique : le NPD a perdu la confiance des électeurs et des électrices, non pas parce que ses valeurs ont changé, mais parce qu’il n’a pas su les communiquer clairement et de manière cohérente. Il estime pouvoir regagner ces électeurices (celleux qui se sont tourné·es vers les libéraux par peur ou vers les conservateurs par frustration) en proposant une politique ancrée dans les luttes quotidiennes plutôt que dans les calculs d’initiés.

Voici notre conversation sur l’avenir du NPD, les échecs de la classe politique canadienne et la tentative d’Ashton de reconstruire le parti à partir de la base.

Christo Aivalis : Une question que se posent de nombreux partisan·es du NPD est de savoir comment chacun des candidats à la direction va convaincre les électeurices de voter pour le NPD. Pourquoi pensez-vous être le mieux placé pour regagner l’électorat ?

Rob Ashton : Je viens de la base, Christo. J’ai vécu cette vie pendant 32 ans en tant que docker, et j’ai représenté les dockers pendant les dix dernières années en tant que président national. Je sais ce dont ils ont besoin et ce qu’ils veulent. Cette fois-ci, certain·es électeurices du NPD ont voté pour les conservateurs, d’autres pour les libéraux, inquièt·es de voir ce roi autoproclamé au sud et Pierre Poilievre prendre le pouvoir. Sous la direction du NPD, je peux ramener ces électeurices qui ont voté bleu, car je parle leur langue. Je connais les difficultés auxquelles ils et elles sont confronté·es. Dans le même temps, les partisan·es du NPD qui ont voté libéral, ainsi que d’autres libéraux, verront que Carney n’est pas celui qu’il prétendait être pendant la campagne électorale. Il est en fait plus conservateur, oserais-je dire, que Brian Mulroney. Ces électeurs et électices verront que le NPD est le parti auquel ils et elles appartiennent, celui qui représente véritablement la classe ouvrière. Je suis le candidat qui peut ramener tout le monde au NPD.

Les Canadien·nes sont de plus en plus préoccupé·es par le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et, bien que certain·es politicien·nes l’aient critiqué, peu ont appelé à son abolition comme vous l’avez fait. Pourquoi est-il temps de mettre fin au programme des TET ?

Le programme des TET est conçu pour la classe dirigeante. Il permet de faire venir des gens dans le pays uniquement pour les forcer à accepter des emplois moins bien rémunérés et plus précaires. Vous n’avez pas la possibilité de vous syndiquer, ni de refuser un travail dangereux. Car si un travailleur ou une travailleuses ose s’exprimer, les employeurs ont le droit de le ou larenvoyer dans son pays d’origine. Nous devons nous débarrasser de ce programme. Nous devons créer un système qui fonctionne pour tous les travailleurs et toutes les travailleuses, qu’ils et elles soient citoyen·nes canadien·nes ou résident·es temporaires, car c’est ainsi que ce pays devrait fonctionner. Et c’est ce que défend le NPD : améliorer la situation de toutes les travailleuses et tous les travailleurs et leur offrir un lieu de travail sûr.

Il y a eu récemment de nombreux exemples d’entreprises qui ont quitté le Canada et délocalisé des emplois à l’étranger, même après avoir reçu des subventions du gouvernement spécifiquement destinées à préserver ces emplois. En tant que chef, comment comptez-vous mettre fin à cette situation ?

Prenez l’exemple de l’industrie automobile et d’Aloma Steel, qui vient de recevoir 400 millions de dollars du gouvernement fédéral et 100 millions de dollars du gouvernement provincial, et qui prévoit de se séparer de plus de la moitié de ses employé·es. Ou encore, dans le cas du secteur automobile, ils partent tout simplement au sud de la frontière. Le problème sous-jacent est que l’on distribue l’argent public pour rien. Sous un gouvernement néo-démocrate dirigé par moi-même, il y aurait des conditions à respecter. Si nous vous donnons de l’argent, la première chose à faire est de vous assurer que les Canadien·nes continuent à travailler. Pas d’externalisation, pas de suppression d’emplois, pas de fermeture et pas de départ. Si vous prenez l’argent et que vous partez, vous devrez le rembourser avec des intérêts. C’est la promesse que nous faisons aux Canadien·nes : nous protégerons vos emplois et l’argent public que nous donnons pour soutenir ces entreprises.

Êtes-vous favorable à la propriété publique et des travailleuses et des travailleurs comme moyen de prévenir ce type de pratiques d’externalisation ?

Bien sûr. L’une de nos politiques consiste à faire siéger des travailleurs et travailleuses au conseil d’administration des entreprises de ce pays afin que nous ayons véritablement notre mot à dire sur leur gestion. Lorsque les travailleurs et travailleuses contribuent à orienter une entreprise, celle-ci se développe d’une manière qui profite réellement à ceux et celles qui la font fonctionner. Nous l’avons déjà constaté en Colombie-Britannique, où une usine qui était sur le point de fermer a été sauvée grâce à l’intervention conjointe des travailleurs et des travailleuses, de leur syndicat et du gouvernement. Cette usine est toujours en activité aujourd’hui. Donc oui, la propriété publique et des travailleuses et des travailleurs est une option tout à fait viable.

Une chose que j’ai remarquée dans votre campagne, c’est que vous n’hésitez pas à parler en termes de conflit de classes. Les politicien·nes libéraux et conservateurs sont clairement d’un côté de cette guerre des classes contre les travailleurs et travailleuses canadien·nes, mais même le NPD a parfois hésité à nommer cette réalité directement. Pourquoi est-il important pour vous de rompre avec cela et de le dire clairement ?

Le message de la guerre des classes correspond à la façon dont j’ai vécu toute ma vie, non seulement en tant que leader, mais aussi en tant que docker. C’est une guerre des classes, pure et simple. Tout ce qui s’est passé dans ce pays depuis la colonisation relève de la guerre des classes. Même les questions environnementales en font partie, car la classe dirigeante les utilise pour diviser les travailleurs et les travailleuses en opposant les militant·es écologistes à ceux et celles qui font le travail. Une fois que nous aurons commencé à communiquer clairement ce message et que les travailleurs et travailleuses auront compris qu’ils et elles font partie de cette guerre des classes, nous sommes convaincu·es qu’ils et elles reviendront vers le parti. Car le gouvernement Trump au sud, le gouvernement Carney ici et l’opposition Poilievre feront tout leur possible pour enrichir leurs ami·es tout en maintenant la classe ouvrière sous l’eau. Ce sont des messages que nous continuerons à diffuser, jusqu’à ce que nous en ayons assez de les répéter, et ensuite nous les diffuserons encore plus fort.

Dans le même ordre d’idées, vous avez mentionné dans des interviews précédentes que les Canadien·nes sont en colère contre le statu quo, et à juste titre. Mais nous avons également vu cette colère se manifester de manière déplaisante, souvent à l’encontre des éléments vulnérables de la société. Considérez-vous qu’une campagne axée sur les conflits de classe est un moyen utile de canaliser cette colère ?

Tout à fait. La colère que nous observons dans la société canadienne est en grande partie liée à la lutte des classes qui fait rage actuellement. Écoutez, lorsque les gouvernements ou les partis politiques sont dirigés par des gens comme Donald Trump – et d’autres comme lui, oserais-je dire, presque fascistes –, ils mènent leur campagne avec haine et vous disent de blâmer votre voisin·e pour vos problèmes. Mais ce n’est pas votre voisin·e qui vous empêche de payer votre loyer ou d’acheter vos provisions ; il ou elle n’a aucun contrôle là-dessus. Il faut plutôt se tourner vers les gouvernements et les entreprises qui ont mis en place ce système, un système créé par la classe dirigeante pour la classe dirigeante, afin que les riches s’enrichissent et que les travailleurs et travailleuses restent dans leur condition. Et quand je parle de travailleurs et travailleuses, je parle de toutes les personnes qui sont exploitées : les personnes handicapées, les bénéficiaires de la sécurité de la vieillesse et toutes celles qui essaient de joindre les deux bouts.

Comme la plupart des candidats à cette élection, vous ne siégez pas actuellement au Parlement. Si vous devenez chef du NPD, quel est votre plan pour entrer à la Chambre, où envisageriez-vous de vous présenter et envisageriez-vous une élection partielle pour y parvenir ?

Je n’ai pas de siège au Parlement, et ce n’est pas une mauvaise chose. À l’heure actuelle, nous avons sept député·es solides qui défendent les travailleurs et les travailleuses et s’opposent à la législation dépassée de la classe dirigeante, comme Leah Gazan qui œuvre à l’abrogation de l’article 107 et Alexandre Boulerice qui se bat pour un meilleur programme d’assurance-emploi. Le fait de ne pas avoir de siège me donne la liberté de voyager à travers le pays, de parler aux gens et de me rendre dans des endroits où le NPD n’a pas été vu depuis des années, qu’il s’agisse de communautés rurales ou de nations autochtones, afin d’écouter leurs préoccupations et d’expliquer comment notre parti compte y remédier. En ce qui concerne un siège à la Chambre, je vis dans la vallée du Bas-Fraser, en Colombie-Britannique, et je compte donc me présenter quelque part dans cette région. Mais si une élection partielle est organisée, je ne vais pas simplement me présenter et accepter le siège. Nous discuterons avec l’association locale de la circonscription pour voir si elle a déjà un·e candidat·e, si elle est d’accord pour que je me présente et si je peux vraiment représenter la communauté. Tout cela doit être pris en considération.

Enfin, de nombreux observateurs et observatrices ont soulevé la question du bilinguisme dans cette course à la direction, et votre nom a été mentionné aux côtés d’autres candidat·es. Quelles mesures concrètes prenez-vous pour vous assurer de pouvoir communiquer efficacement votre vision en français ?

Oh oui, j’ai fini par participer à l’émission This Hour Has 22 Minutes à cause de mon français épouvantable [rires]. Blague à part, le français est vraiment important pour moi. Je ne me suis engagé pleinement dans cette course qu’il y a environ deux mois et demi, et je n’aurais jamais imaginé me présenter à la direction du parti. Je vis en Colombie-Britannique et je n’ai pas beaucoup d’ami·es francophones ici, mais j’ai commencé à prendre des cours et à parler avec les francophones de mon équipe de campagne, qui m’aident à apprendre. Si je suis élu le 29 mars, j’ai l’intention de m’immerger dans la langue et la culture françaises au Québec.

Hier soir, j’étais à un événement à Saguenay, où j’ai discuté avec des gens qui m’ont expliqué l’importance de la langue française. Dans les années 1950, la classe dirigeante du Québec parlait anglais tandis que la classe ouvrière parlait français, puis vint la Révolution tranquille dans les années 1960, lorsque les Québécois·es commencèrent à revendiquer leur identité et leur pouvoir. C’est dire à quel point la langue française est importante, non seulement pour les Québécois·es, mais aussi pour les francophones de tout le Canada. Il ne s’agit donc pas seulement d’apprendre la langue, mais aussi de comprendre les identités des différentes communautés, qu’elles soient francophones ou autochtones. En tant que dirigeant du Canada, vous devriez toujours chercher à en savoir plus sur la société que vous servez.

Christo Aivalis

Christo Aivalis est commentateur politique et historien, titulaire d’un doctorat en histoire canadienne de l’Université Queen’s. Ses articles ont été publiés dans Jacobin, The Breach, Ricochet, Maclean’s, le Globe and Mail et le Washington Post.

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