Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Pour réaliser la transition socioécologique, reconnaître la réalité économique du secteur privé

Il est important de relire attentivement la section 1.2.2 du « Programme actualisé » proposée pour adoption par le congrès extraordinaire de 2025 de Québec solidaire. Et c’est d’autant plus important que cette section n’est pas présentée dans le Cahier de propositions et qu’elle pourrait être adoptée sans discussion s’il n’y a pas d’amendements à cette partie du Programme actualisé.

En résumé, ce passage de la proposition de programme affirme : que l’entrepreneuriat québécois et les petites et moyennes entreprises (PME) constituent un outil de choix pour l’habitation du territoire et la vitalité économique québécoise ; que le secteur industriel doit être mobilisé vers la transition socioécologique , qu’un gouvernement solidaire rendra l’investissement et l’aide gouvernementale aux entreprises conditionnels à des critères de responsabilité sociale et environnementale stricts ; qu’un gouvernement solidaire cessera d’accorder toute subvention et aide aux entreprises participant au maintien du capital fossile dans l’économie du Québec

Le secteur industriel au Québec, qui comprend majoritairement de PME, est dominé au niveau des investissements les plus stratégiques par les grandes entreprises (minières, forestières, pétrochimiques, métallurgiques) et par les banques. Ces grandes entreprises jouent un rôle déterminant dans l’exploitation des ressources et tiennent en sous-traitance nombre de PME. Une caractérisation de l’entrepreneuriat privé est donc nécessaire à l’établissement de politiques concrètes et différenciées en direction du secteur privé. C’est pourquoi nous suggérons une réécriture de cette section du Programme actualisé. (Pour lire cette section du Programme actualité, cliquez ici)

1.2.2. Reconnaître la structure du secteur privé et des industries

L’entrepreneuriat québécois et les petites et moyennes entreprises (PME) occupent une place essentielle dans l’économie et dans l’occupation du territoire. Souvent locales et familiales, elles répondent à des besoins concrets de la population et incarnent un savoir-faire propre au Québec. Elles représentent aussi un levier important pour la transition socioécologique. Toutefois, leur contribution demeure limitée et un important décalage existe entre l’intention et l’action . Ce dernier s’explique par plusieurs obstacles : manque d’incitations économiques claires, coûts de transition élevés, incertitudes opérationnelles, ainsi que les pressions de la rentabilité, de la compétitivité qui freine leur engagement. Pourtant, certains facteurs favorisent l’implication : la présence d’une expertise environnementale, l’engagement de la direction et des conseils d’administration, ainsi que la pression exercée par les clients, les employés ou encore la réglementation. Ces éléments démontrent qu’avec un environnement économique adéquat, les PME peuvent jouer un rôle beaucoup plus actif.

C’est pourquoi un gouvernement solidaire devrait leur offrir un soutien concret : mesures de protection face à la concurrence déloyale des multinationales subventionnées, réglementation pour limiter la spéculation, accompagnement financier et technique pour l’innovation verte à petite échelle. Ce soutien permettrait aux PME de privilégier les circuits courts, l’économie circulaire et les marchés locaux, tout en renforçant leur capacité à investir dans la transition énergétique.

De plus, pour assurer un véritable fonctionnement démocratique dans ces milieux de travail, il est essentiel de favoriser la syndicalisation des PME. Cela permettrait aux travailleuses et aux travailleurs de participer pleinement aux décisions touchant l’avenir de leur entreprise et de leur région, consolidant ainsi non seulement le tissu économique régional, mais aussi son ancrage social. En combinant consolidation, démocratisation et accompagnement vers la transition, le Québec peut transformer ses PME en acteurs centraux d’un tissu économique diversifié, enraciné dans les communautés, et capable de porter les changements écologiques et sociaux nécessaires.

Mais au-delà de ce tissu local, le secteur industriel et manufacturier est dominé par de grandes entreprises stratégiques, souvent filiales de multinationales étrangères, dans des domaines comme l’aluminium, l’exploitation forestière, l’aéronautique, le papier et les mines. Ces entreprises sont à la fois des émetteurs majeurs de gaz à effet de serre et des acteurs centraux de toute politique industrielle.

Leur logique actuelle de recherche du profit sans toujours tenir compte des limites de la planète, les place en tension avec les impératifs sociaux et écologiques. Pour qu’elles puissent contribuer réellement à la transition, il ne suffit pas de conditionner les aides publiques : il est nécessaire de prendre un contrôle collectif sur ces leviers de production. Cela implique une politique de nationalisation et de socialisation des grandes entreprises stratégiques afin que leurs orientations soient dictées non plus par la logique du marché mondial, mais par les besoins sociaux, écologiques et territoriaux du Québec.

La nationalisation, dans ce cadre, ne se limite pas à un transfert de propriété vers l’État. Elle doit être accompagnée d’une véritable socialisation, c’est-à-dire d’une démocratisation de la gestion des entreprises. La démocratie ne peut s’arrêter aux portes des usines ou des sièges sociaux : elle doit intégrer les travailleuses et travailleurs, ainsi que les citoyennes et citoyens des régions concernées, dans la définition des priorités de production et dans le suivi des pratiques sociales et environnementales. C’est de cette manière que l’on pourra construire une économie réellement planifiée de façon démocratique, tournée vers la satisfaction des besoins collectifs et respectueuse des limites écologiques.

Cette perspective est encore plus urgente face aux industries fossiles et extractives. Ces secteurs, dominés par de grands capitaux privés et intégrés aux marchés mondiaux, constituent le principal bloc de résistance à la transition. Leur modèle d’affaires repose sur l’utilisation et le commerce des hydrocarbures et des ressources non renouvelables, en contradiction frontale avec la lutte contre la crise climatique. Il ne suffit pas de leur imposer quelques contraintes : il faut procéder à la nationalisation de la pétrochimie, des entreprises de distribution de gaz, et des différentes entreprises liées au capital fossile pour en organiser le démantèlement graduel et planifié. Par ce contrôle collectif, il sera possible de mettre fin aux subventions nuisibles, de réorienter les investissements vers les énergies renouvelables et de garantir une transition juste pour les travailleurs et travailleuses de ces secteurs.

Le secteur financier, pour sa part, joue un rôle structurant. Les banques et la Caisse de dépôt continuent de soutenir massivement les énergies fossiles tout en affichant une ouverture opportuniste à l’économie verte. Pour que leur puissance serve réellement la transition, l’État doit imposer des mécanismes de réorientation des capitaux et créer des outils financiers publics et communautaires dédiés. La socialisation des leviers financiers est ici essentielle afin que l’épargne collective, plutôt que d’alimenter la spéculation ou l’extraction destructrice, serve le développement des filières stratégiques de la transition.

Ainsi repensée, la politique industrielle québécoise ne viserait plus à adapter l’économie aux marchés mondiaux, mais à relocaliser la production et à créer des emplois de qualité dans toutes les régions. Son cœur serait la transition socioécologique, portée par des entreprises socialisées, démocratisées et orientées vers le bien commun. Les filières stratégiques à développer sont nombreuses : électrification des transports, matériel roulant pour le transport collectif, équipements d’énergie renouvelable, économie biosourcée, valorisation du bois. En articulant ces secteurs autour de la planification démocratique et du contrôle collectif, le Québec peut construire une économie résiliente, innovante et capable de répondre à la crise climatique tout en renforçant son autonomie économique. Ce tournant créerait les conditions d’une véritable coopération avec les PME du Québec.

La même logique s’applique à la gestion des matières résiduelles. Considérer les surplus comme des déchets à éliminer est l’héritage d’un modèle de surconsommation. Une société solidaire doit tendre vers l’absence de déchets, en appliquant systématiquement le principe d’écoresponsabilité : réutilisation, compostage, consigne et valorisation des matériaux dans les secteurs industriels et commerciaux. Là encore, la démocratisation de la gestion des filières est essentielle pour impliquer les communautés locales, les travailleurs et les travailleuses dans la construction d’un cycle économique soutenable et collectif.

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Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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