Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Pour un programme de rupture : socialiser l’économie, combattre le patriarcat et construire le pouvoir populaire

Présentation pour ouvrir la discussion à une rencontre du Parti de la rue, octobre 2025.

Le débat ouvert sur l’actualisation du programme de Québec solidaire n’en est qu’un premier moment. Ce qui se joue, ce n’est pas un simple ajustement de formulations : c’est la direction que prendra notre parti dans les années à venir. Le Parti de la rue défend une orientation qui vise à mobiliser largement afin de pouvoir rompre avec l’ordre établi.

Quand on lit le texte de la coordination nationale à propos de la préservation de la biodiversité, on voit bien qu’il se limite à juxtaposer des enjeux — biodiversité, climat, santé, alimentation — sans jamais en identifier la cause systémique : le capitalisme. Le cœur du problème est là. Tant que nous ne nommons pas le capitalisme comme la cause de la destruction des écosystèmes, de la marchandisation de la vie et de l’exploitation du travail, nous ne donnons pas tout son sens à notre lutte.

La décroissance ne se limite pas au secteur des industries polluantes

Depuis trop longtemps, Québec solidaire refuse d’assumer clairement une perspective de décroissance. Le Programme actualisé soumis à la discussion parle de décroissance des secteurs fossiles, comme si le problème se limitait à quelques industries polluantes. Mais la décroissance, c’est bien plus que cela : c’est une critique radicale du productivisme et de la recherche illimitée du profit. C’est une remise en cause de la logique capitaliste.

La décroissance, ce n’est pas produire un peu plus « vert ». C’est comme l’écrit l’amendement du CAP écologiste produire autrement, pour d’autres fins : satisfaire les besoins humains réels, préserver la vie et réduire la dépendance au marché. Elle implique la planification démocratique de la production, la socialisation des grands moyens de production et le renversement de la logique d’accumulation privée.

Socialiser, ce n’est pas seulement étatiser

C’est pourquoi la question de la socialisation est décisive. Dans le texte proposé dans l’actualisation du programme, la socialisation est définie comme une extension de l’économie sociale — OBNL, coopératives, entreprises collectives. Mais l’économie sociale ne sort pas du capitalisme : elle en est un aménagement partiel, elle en atténue certains impacts. Nous définissons la socialisation comme la prise de contrôle collectif des secteurs stratégiques — énergie, mines, forêts, banques, grandes entreprises industrielles — par les travailleurs, les travailleuses et les communautés.

Cela signifie aller au-delà de la simple étatisation, comme on l’a vu avec Hydro-Québec. L’étatisation a été un progrès à son époque, mais elle a concentré le pouvoir entre les mains d’une technocratie publique sans véritable contrôle populaire. Socialiser, c’est décentraliser, démocratiser, planifier collectivement. C’est faire de l’économie un bien commun, géré par les travailleurs, les travailleuses, les citoyens·es des territoires.

Rompre avec les monopoles

Aujourd’hui, les grands monopoles privés — miniers, forestiers, financiers — contrôlent notre économie, accaparent nos ressources et sabotent toute transition réelle. Ces entreprises n’ont aucun intérêt à la transformation écologique : elles en vivent. Leurs profits dépendent de l’extraction, de la surexploitation et de la destruction des milieux vivants. C’est pourquoi nous soutenons les propositions du CAP écologiste et des associations qui proposent la nationalisation/socialisation complète du secteur énergétique, la création de micro-réseaux municipaux publics, le refus de toute relance du nucléaire et la socialisation des entreprises fossiles pour en assurer le démantèlement.

La lutte, pas la simple régulation

Mais ces transformations ne viendront pas d’un futur gouvernement solidaire isolé au sommet de l’État. Elles viendront de la lutte sociale, de la mobilisation populaire, de la construction d’un rapport de force capable d’imposer la rupture. Notre programme doit être un instrument de lutte, pas un programme de gouvernement.

C’est pourquoi nous devons articuler nos revendications à des campagnes concrètes : contre les privatisations, pour la réduction du temps de travail, pour la salarisation des médecins, pour la gratuité scolaire et la démocratisation du réseau public. Ce sont ces luttes, et non les promesses électorales, qui transforment la société.

Le travail comme émancipation nécessite de briser l’exploitation

Quand on parle d’humaniser le travail, on peut se contenter de formules générales sur l’importance du temps libre. L’humanisation du travail passe par la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine, sans perte de salaire, par la répartition équitable de la richesse et par la démocratisation des lieux de travail. La véritable démocratie commence là où les gens passent le plus clair de leur vie : dans la production. Pour humaniser le travail, le programme doit identifier les luttes qui sont nécessaires pour contrer la surcharge au travail. Ce dont il faut parler, ce sont des combats à mener et à soutenir ici et maintenant, dans les milieux de travail et dans les mouvements sociaux.

Reconstruire le service public et le pouvoir populaire

Sur le système de santé et des services sociaux, le programme actualisé proposé est dramatiquement silencieux : rien sur la privatisation, rien sur le mode de rémunération des médecins, ni sur la nécessaire débureaucratiser le réseau. Ces questions, pourtant centrales, sont absentes du débat alors qu’elles devraient être au cœur d’un projet de réappropriation populaire du système de santé publique. Démocratiser le service public, c’est le rendre à ceux et celles qui le font vivre.

Sur la fiscalité, la famille et l’éducation, le texte propose des orientations globalement justes – redistribution de la richesse, lutte contre la pauvreté, approche féministe et inclusive- mais sans ancrage concret dans les luttes sociales. Parler de gratuité scolaire n’a de sens que si l’on se souvient que ce sont les mobilisations étudiantes de 2012 qui ont fait capoter les projets de hausse des frais de scolarité. Aujourd’hui encore, des enseignant·es en francisation qui se sont mobilisé·es contre les coupes budgétaires ont participé à la remise en question de l’austérité gouvernementale.

Sur la démocratie et la culture, les propositions d’élargir les droits politiques aux personnes résidentes permanentes ou en attente de statut vont dans le bon sens. Mais elles restent déconnectées des luttes actuelles contre les politiques migratoires racistes et les attaques contre les droits fondamentaux des personnes immigrantes. Un programme ne doit pas seulement dire ce qu’un gouvernement ferait ; il doit dire comment, dès maintenant, on s’organise pour défendre ces droits.

Sur la laïcité, même constat : des propositions positives existent, mais la discussion reste abstraite, sans lien avec les mobilisations nécessaires pour en finir avec la laïcité discriminatoire imposée par la CAQ.

Indépendance pour une véritable libération nationale

Sur l’indépendance, l’aveuglement est frappant. Dire qu’il n’y a rien à débattre aujourd’hui, c’est ignorer la recomposition politique en cours. L’impérialisme sous la direction de Trump menace le Canada d’annexion et lui livre une guerre commerciale. Le PQ promet un référendum tout en faisant des personnes immigrantes les responsables de tous les maux. Cette nouvelle donne pose à Québec solidaire des questions stratégiques fondamentales. Peut-on construire une majorité pour l’indépendance en s’alliant indistinctement à la droite et à la gauche, comme le propose le PQ ? Nous disons non. La majorité politique pour l’indépendance ne pourra émerger que lorsque la majorité populaire, forgée dans les luttes sociales, féministes, écologiques, antiracistes et décoloniales, fera de l’indépendance son propre projet.

C’est cette stratégie qu’il faut affirmer : faire de l’indépendance le prolongement d’un projet de société émancipateur.

L’indépendance c’est un moyen de libération collective. Elle ne se fera pas sans la conquête du pouvoir économique et sans la socialisation des richesses du Québec.

Pour un Québec écoféministe

Le Programme actualisé réaffirme la construction d’un Québec féministe et inclusif, intégrant la pluralité des genres. Les reformulations visent à actualiser le langage sans en modifier l’orientation politique.

L’amendement de l’Association de Jean-Lesage introduit une rupture majeure : la reconnaissance de l’écoféminisme. En articulant patriarcat, capitalisme et destruction de la nature, cette proposition relie les luttes des femmes à une critique systémique de l’économie capitaliste.

L’écoféminisme déplace le féminisme de l’égalité formelle vers une analyse de la reproduction sociale, du travail gratuit et de la domination violente. Il exprime l’articulation entre féminisme, écologie et économie du soin. En ce sens, il renforce la cohérence du programme solidaire autour du prendre soin comme principe organisateur d’une société égalitaire et met à nu le cœur du système capitaliste-patriarcal : l’exploitation du travail gratuit des femmes et la domination violente qui la soutient.

L’internationalisme contre l’impérialisme

De même, notre altermondialisme doit s’enraciner dans la solidarité active avec les peuples en lutte : de Palestine, d’Ukraine, peuples autochtones, migrants·es. Sortir de l’OTAN, refuser la militarisation et construire une diplomatie des peuples, voilà les bases d’un internationalisme concret, qui doit inspirer nos mobilisations contre les projets militaristes du gouvernement canadien.

Sur l’immigration, il faut rompre avec la logique hypocrite de la « capacité d’accueil ». Dans un monde ravagé par les crises écologiques et les guerres, nous devons défendre la liberté de circulation et d’établissement, et affirmer la responsabilité collective face aux déplacements forcés de personnes que le capitalisme engendre.

Pour un Québec solidaire de rupture

En définitive, notre programme doit redevenir ce qu’il a cessé d’être : une stratégie anticapitaliste de transformation sociale. Il doit articuler trois axes : la socialisation des moyens de production, la planification démocratique et la construction du pouvoir populaire.

La droite prépare sa rupture réactionnaire. À nous de construire la nôtre : une rupture émancipatrice, égalitaire, féministe, écologique et écosocialiste. C’est cette radicalité — claire, assumée, populaire — qui peut rallier la majorité sociale à la cause de l’indépendance et du socialisme.

En somme, nous devons ancrer notre programme dans les luttes sociales réelles, définir les revendications, les alliances et les moyens d’action qui permettent de construire le pouvoir populaire. Ce n’est pas en promettant une meilleure gestion du capitalisme que nous convaincrons : c’est en affirmant la nécessité d’une rupture radicale avec lui.

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Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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