Car un parti qui n’évolue plus, qui se méfie du débat, de la conflictualité et de l’autocritique, finit par se figer dans sa propre inertie. Or, une gauche de rupture ne peut craindre ni la critique ni la refondation : elle doit au contraire s’en nourrir. Il faut redonner à notre organisation la capacité de penser contre elle-même, d’accueillir le dissensus comme moteur de vitalité démocratique et de se remettre en mouvement — quitte à reconnaître qu’un véhicule politique n’est jamais éternel, et qu’il peut, s’il se détourne de sa mission, devoir être remplacé par un autre.
Le rôle d’un co-porte-parole ne peut pas être défini indépendamment de la santé démocratique du parti qu’il incarne. Si le co-porte-parolat traverse aujourd’hui un questionnement, c’est aussi parce que Québec solidaire est lui-même à la croisée des chemins : entre la fidélité à ses origines populaires et l’adaptation aux logiques parlementaires, entre la parole collective et la personnalisation du message, entre le projet de transformation sociale et la tentation gestionnaire.
Refaire du co-porte-parolat une fonction d’ancrage et d’articulation
Comme je l’ai défendu dans la première partie, le co-porte-parolat n’est pas qu’une fonction de communication. Il est — ou devrait être — un poste d’articulation politique : un espace de circulation entre la base militante, les mouvements sociaux et la parole publique.
Aujourd’hui, cette fonction s’est en partie dévitalisée : elle tend à se réduire à la gestion médiatique d’un message, à la défense ponctuelle d’un programme, ou à l’administration du « ton juste ». Pourtant, le rôle du co-porte-parole ne peut se limiter à être un interprète prudent de la ligne nationale. Il doit être un vecteur de politisation et un catalyseur de débats internes, capable de relier le parti à la société réelle — celle des luttes, des solidarités et des contradictions.
Redonner du souffle au co-porte-parolat, c’est d’abord le sortir du huis clos parlementaire. C’est remettre la politique sur le terrain, dans les quartiers, les villages, les syndicats, les collectifs, les universités et les espaces culturels. Cela suppose une conception itinérante du rôle : un co-porte-parole qui se déplace, qui rencontre, qui écoute, qui aide à organiser la colère plutôt que la canaliser.
Il faut donc recréer des espaces vivants de dialogue politique :
● Des assemblées de cuisine, modestes, mais profondes, où l’on parle du quotidien, du logement, du travail, de l’école, et où la politique se redéfinit à partir de la vie réelle.
● Des caravanes militantes, pour traverser le Québec et aller à la rencontre de celles et ceux qu’on n’entend jamais, non pas en période électorale, mais comme travail politique continu.
● Et surtout, une école de formation politique populaire, ouverte au-delà du cercle des membres.
Cette école ne serait pas un simple espace de formation technique sur le programme, mais un lieu de culture politique : on y apprendrait l’histoire des luttes sociales, les bases de l’économie politique, les outils d’analyse féministe, décoloniale et écologiste, mais aussi les savoirs de la pratique militante — comment s’organiser, débattre, construire un rapport de force.
Elle pourrait devenir le noyau d’une renaissance intellectuelle et collective de la gauche québécoise, une forme de contre-hégémonie concrète.
Et pour sortir de l’entre-soi, il faut oser le festif et le populaire : pourquoi ne pas imaginer une grande fête annuelle de la gauche québécoise, à la manière de la Fête de l’Humanité ? Un moment à la fois politique et culturel, où se croiseraient débats, arts, syndicats, cuisines collectives et mouvements sociaux.
Un lieu où le parti serait non seulement une organisation, mais aussi un mouvement vivant, à la fois critique et joyeux, où l’on apprend à rêver ensemble en préparant les luttes de demain.
Dans cette conception, le co-porte-parole ne serait plus seulement un messager : il deviendrait un animateur politique permanent, un passeur entre les mondes, garant de la démocratie vivante du parti. Il ne serait pas redevable d’une ligne figée, mais d’un mouvement collectif en transformation.
Il aurait pour tâche d’incarner cette gauche de rupture qui ne se contente pas de dénoncer, mais qui propose et construit : celle qui rompt avec le cynisme et le repli, pour rouvrir l’horizon du possible — dans les institutions, mais surtout dans la société.
Clarifier notre articulation politique
Québec solidaire est né d’une coalition des gauches et des forces progressistes, dont la richesse tenait justement à la pluralité. Mais cette pluralité ne doit pas devenir une neutralisation. Le parti a souvent confondu inclusion et dilution : en cherchant à rassembler tout le monde, il a parfois cessé d’incarner quelque chose de tranché. Or, un parti de gauche n’avance pas en cherchant le centre. Il déplace la fenêtre d’Overton, il change les termes du débat. Et, comme on le dit souvent, personne ne choisit du beige face aux bruits des bottes noires.
Face à la montée de la droite identitaire, de l’extrême-droite décomplexée et du cynisme ambiant, notre tâche n’est pas de ménager les angles, mais de retrouver le courage de dire ce qui dérange — avec rigueur, mais sans tiédeur.
Québec solidaire ne peut plus se contenter d’être « une option progressiste parmi d’autres ». Il doit redevenir ce qu’il aurait toujours dû être : le bastion d’une gauche de rupture. Mais pas une rupture abstraite ou purement rhétorique : une rupture vivante, stratégique et populaire.
Une rupture avec la politique poussiéreuse des calculs et des équilibres temporaires.
Une rupture avec l’ordre capitaliste et les institutions qui le protègent.
Une rupture avec le Canada, qui demeure un État colonial au service des puissances économiques.
Une rupture avec les énergies fossiles et les modèles productivistes qui détruisent nos conditions de vie.
Mais une rupture n’est pas un geste de destruction : c’est un acte de création politique.
C’est le choix d’inventer de nouvelles pratiques démocratiques, de nouvelles solidarités, de nouvelles formes d’action collective.
C’est ce qu’a incarné QS à sa fondation, quand il a réussi à articuler les luttes féministes, syndicales, écologistes et indépendantistes dans un même horizon de transformation.
C’est cette étincelle que nous devons rallumer.
Surmonter les contraintes démocratiques actuelles : pour une conflictualité assumée
Depuis quelques années, la direction semble penser que l’unité ne peut se préserver qu’au prix du silence, que le consensus est la condition de la crédibilité. Or, c’est précisément cette illusion que dénonce la philosophe Chantal Mouffe : vouloir évacuer le conflit du champ politique, c’est livrer la démocratie à la technocratie. Le conflit, selon elle, n’est pas un échec du politique, mais son moteur.
Jacques Rancière, dans La Mésentente et dans Les trente inglorieuses, rappelle de son côté que la démocratie n’est pas l’art de pacifier les désaccords, mais celui de les rendre visibles, audibles et féconds. La mésentente n’est pas un bruit à faire taire, mais une épreuve de vérité : c’est par elle que la parole politique retrouve sa densité. Plus récemment, Sébastien Roman, dans Nous, Machiavel et la démocratie, parle du « conflit civil » comme d’une force vitale à réinvestir dans nos pratiques démocratiques — non pas pour entretenir les divisions, mais pour revitaliser l’imagination politique.
Ces auteurs convergent sur un point : une démocratie sans conflit, sans débat réel, finit toujours par se vider de son contenu. QS ne peut prétendre à la rupture s’il craint la confrontation d’idées en son sein. Un parti transformateur ne peut pas fonctionner comme une administration : il doit assumer sa conflictualité comme une richesse. Le rôle d’un co-porte-parole est précisément de canaliser cette tension créatrice et de la politiser.
Réhabiliter le dissensus comme principe structurant de notre vie démocratique interne et surtout à l’externe. Cela implique de redonner à la base militante le droit d’initiative politique, de rouvrir les espaces de débat programmatique et de repenser nos pratiques d’écoute : transformer les consultations en véritables délibérations, où la diversité des points de vue n’est pas diluée, mais mise en dialogue.
Le co-porte-parole doit être à l’avant-garde de cette culture du débat : non pas un arbitre neutre, mais un facilitateur politique. Un parti démocratique n’est pas un espace sans contradictions, c’est un espace où elles deviennent productives. Et c’est là que réside la maturité politique : dans la capacité à confronter les désaccords sans rompre le lien collectif.
Si nous ne refondons pas, d’autres le feront
Un parti qui refuse l’autocritique signe sa propre stagnation.Un parti qui se protège du réel pour préserver son confort interne finit toujours par se vider de sa substance politique. Et un parti de gauche qui se coupe du conflit social perd le droit moral de parler au nom du peuple.
Québec solidaire est à la croisée de ces chemins. Il n’est pas en crise ouverte, mais dans une forme de somnolence : celle d’un mouvement qui avance sans trop savoir où, en comptant sur son inertie pour durer. Or, aucun projet de transformation ne peut se maintenir sans tension créatrice, sans remise en question, sans audace.
Si nous voulons que QS soit autre chose qu’un parti « correct », il nous faut retrouver l’esprit de refondation qui l’a vu naître. Ce n’est pas un luxe intellectuel : c’est une urgence politique. Car l’histoire récente nous enseigne une vérité simple et brutale — quand la gauche cesse d’incarner le changement, c’est la droite qui s’en empare.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’être la version polie d’une colère populaire que d’autres exploitent avec cynisme. Le danger, aujourd’hui, n’est pas seulement la montée de l’extrême droite : c’est aussi la normalisation d’une gauche qui a cessé de croire qu’elle pouvait renverser la table.
Si un parti n’est plus capable de vivre, de s’adapter, de se remettre en mouvement, alors il devient une coquille. Et il ne faut pas craindre de le dire : les partis ne sont pas éternels. Ils sont des véhicules, des instruments historiques — et, comme tout instrument, ils peuvent être remplacés si leur fonction n’est plus remplie.
Ce n’est pas trahir Québec solidaire que de le dire. C’est, au contraire, être fidèle à ce qui l’a fait naître.
Car QS lui-même est né de cette conscience : celle que les anciens partis de gauche avaient cessé de représenter le monde du travail, les mouvements féministes, écologistes, antiracistes et communautaires.
La refondation de 2006 fut un geste de rupture, mais aussi un geste d’amour pour la politique : le refus de la résignation.
Si QS se ferme à l’autocritique, si la direction préfère la gestion à la refondation, si le débat est étouffé au nom de la discipline, alors il faut être lucides : le mouvement social trouvera un autre véhicule.
Peut-être sous la forme d’un nouveau parti des travailleurs et travailleuses, ancré dans les syndicats de combat, dans les milieux communautaires, dans la jeunesse précaire et dans les luttes environnementales.
Peut-être d’une coalition citoyenne post-partisane, plus souple, plus démocratique, plus horizontale. Mais cette possibilité existe déjà, et elle s’affirme dans chaque frustration militante, dans chaque débat évacué, dans chaque congrès verrouillé.
Il ne s’agit pas d’appeler à la scission, mais de rappeler que la loyauté ne peut pas être confondue avec la docilité. Être loyal envers un parti de gauche, c’est exiger qu’il reste à la hauteur de sa promesse. Nous devons pouvoir dire à Québec solidaire : si tu veux demeurer notre maison politique, il te faut redevenir un lieu de lutte, de conflit fécond et de rêve collectif.
Le rôle d’un co-porte-parole politique, dans cette perspective, n’est pas de défendre le statu quo, mais d’ouvrir les fenêtres. De redonner souffle et direction, même au risque du désordre. Car c’est seulement en acceptant la possibilité de sa propre transformation qu’un parti peut rester vivant.
La gauche québécoise doit redevenir un champ d’expérimentation politique, pas une institution de gestion électorale. Et si cette refondation ne se fait pas à l’intérieur de Québec solidaire, elle se fera ailleurs. Car la soif de justice, elle, ne disparaît jamais. Elle cherche toujours un chemin — et tôt ou tard, elle le trouve.
Vers un nouvel horizon
Les contraintes démocratiques actuelles ne sont pas une fatalité. Elles peuvent être surmontées si nous réaffirmons que la politique n’est pas l’art de gérer, mais celui d’imaginer collectivement.
Une gauche, une gauche de rupture, cette alternative, elle ne se décrète pas du haut : elle se construit dans les pratiques, les liens, les lieux de débat et les gestes d’organisation. C’est en ce sens que le co-porte-parolat, compris comme fonction d’articulation, peut redevenir le cœur vivant de Québec solidaire — un moteur de refondation démocratique, intellectuelle et populaire.
La gauche de rupture, c’est celle qui refuse la résignation, qui oppose à la logique du TINA — There Is No Alternative — la conviction profonde que there is always an alternative.
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